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Procès Hissein Habré: Tribulations de la répression hadjaraï
Publié le jeudi 1 octobre 2015  |  Enquête Plus
Ouverture
© AFP par SEYLLOU
Ouverture du procès de Hissène Habré
Dakar, le 20 Juillet 2015 - Le procès de l`ancien président tchadien Hissène Habré s`est ouvert, ce matin, à Dakar. L`ancien chef d`État réfugié au Sénégal depuis 1990 est jugé pour "crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes de torture".




Les témoins et victimes qui se sont constituées partie civile ont décrit la situation macabre qui a prévalu au Tchad, après la mort de l’ancien ministre des Affaires étrangères de Habré, Idriss Miskine, en janvier 1984. Quatre personnes qui ont été au centre des événements sont passées devant la barre hier pour reconstituer les événements lugubres, sous le règne de l’accusé.



Purge ethnique pour l’accusation, climat insurrectionnel quasi-général pour la défense. Chaque partie s’est accrochée à ses certitudes hier, au deuxième jour du témoignage des victimes, pour interpréter les exactions subies par l’ethnie hadjaraï. Cela a été la tactique de part et d’autre pour enliser ou décharger Hissein Habré, grâce aux témoins des occurrences funèbres de cette répression. Y-a-t-il eu volonté d’extermination de ce groupe ethnique ? C’est ce qu’a essayé de prouver le parquet général depuis que le crime de génocide a été soustrait de l’accusation contre Hissein Habré.

Agdoudja Khamis, cultivateur de 55 ans, fait partie d’une escouade de villageois qui a enterré des corps sur la demande de leur chef de village, en 1985. Opposants du CDR ou simples victimes civiles ? Le témoin ne s’est pas embourbé dans des détails, mais a été péremptoire sur le nombre de morts : douze. ‘‘Des personnes qui allaient au marché ont vu les corps et sont allés informer le chef de canton. Ce dernier a saisi le chef de village pour qu’on les enterre. Nous avons creusé la fosse. Ils étaient douze. C’était à Gadjira, à un kilomètre de Mongo. Elles ont été exécutées sur la montagne. C’était de nuit, personne n’a vu qui les a tuées’’, a-t-il témoigné devant la barre, avant de s’expliquer, à la demande du parquet, sur l’omerta générale qui a suivi cet enterrement secret. ‘‘C’était un moment de peur. Chacun est retourné à ses occupations, sans piper mot. Le chef de village nous a demandé de retourner chez nous.’’

Des assertions que l’avocat de la défense Me Mounir Ballal a tenté de faire s’écrouler. ‘‘Confirmez-vous que vous ne savez pas qui est, ou qui sont les auteurs de cette tuerie ?’’ ‘‘Je ne sais pas. Ils ont été exécutés la nuit. Comment je peux savoir ?’’ a rétorqué le témoin. Même s’il est sûr que des arabes du Conseil démocratique révolutionnaire (CDR) ont été massacrés, il n’a pas pu imputer le crime. Malgré l’insistance pressante de l’avocate de la partie civile Jacqueline Moudeïna, Agdouja Khamis a été constant sur un point. ‘‘Je n’ai pas dit que les Forces armées du Nord (FAN) ont tué les gens, après le départ du CDR. J’ai juste vu douze cadavres’’, s’est-il défendu.

Mariam Hassan Bagueri, qui l’a précédé à la barre, est également sans nouvelles de son époux, l’importateur de véhicules Hissein Saleh Ngaba dit Hissein Michelin, depuis le 29 mai 1988. ‘‘La Mercedes de mon mari, qui avait été saisie, a été retrouvée à la Présidence de la République, après la chute de ‪Hissein Habré. Selon la rumeur à N'Djamena, ‪Hissein Habré a égorgé mon mari de ses propres mains’’, a-t-elle raconté devant la barre.

Mardi et jeudi, jours d’exécution

Quant à Daboubou Gagolmo, receveur-percepteur, né en 1952, il a passé neuf mois en cellule. D’ailleurs, il se faisait appeler ‘‘le revenant’’, après avoir survécu. Ce témoin, qui s’est constitué partie civile, est clair sur les intentions de l’ancien homme fort de N’Djaména : ‘‘En 1987, il avait pris l’initiative d’exterminer le peuple tchadien, visant particulièrement la communauté hadjaraï qui se trouve au centre du Tchad.’’ Racontant son cauchemar du 26 mai 87, il a décrit comment il a survécu. ‘‘On m’a appelé sous prétexte que le sous-préfet avait besoin de moi. Ils m’ont conduit directement au camp militaire. On était 20 dans la prison. Chaque nuit, à partir de 0 heure, on prenait 2 à 3 pour interrogatoire. L’ordre de nous exécuter est tombé en juin 1987. On nous a embarqués et on est arrivés près d'une montagne. On a fusillé 16 personnes. Elles ont été exécutées par balle, séparées de nous à une cinquantaine de mètres, derrière un rocher. C’étaient des civils qui ont été exécutés au pied du mont Guera’’, a-t-il relaté, ajoutant que les quatre restants ont été épargnés, parce qu’ils ‘‘avaient de la chance’’.

Dans ce semestre sinistre où mardi et jeudi étaient les jours d’exécution, une mission était venue spécialement de N’Djamena. Gagolmo a été libéré en février 1988, en compagnie de quatre autres hadjaraï. 600 mille francs avaient disparu de son compte et 37 bœufs de son troupeau envolés. Me Mounir Ballal s’en est pris aux déclarations apocryphes du témoin, avec beaucoup de ‘‘on’’ dans sa déposition. Intrigué par le fait qu’il soit resté en vie, il lui a demandé pourquoi cette exception. « C’est M. Bidon qui m’a interrogé. Il m’a dit qu’on avait de la chance ». « La chance, c’est tout ? » « La chance c’est tout ! »

Arrachage d’ongles

Mahamat Nour Dadji avait 17 ans à l’époque. Il est le fils du leader de l’aile politique des hadjaraï, Ahmad Dadji. La déchéance de sa famille date du 28 mai 1987, quand les hommes de la DDS, dont 'El djonto' et Guihini Koreï sont venus cueillir son père sur ordre de Habré. En compagnie de son grand frère, de son cousin et deux gardes du corps, ils ont rejoint les locaux de la Brigade spéciale d’intervention rapide (BSIR), bras armé de la DDS, à 23 heures. Sa conviction qu’Habré est impliqué est renforcée par le fait que son père a été embarqué séparément à bord d’une voiture du type de celles qu'utilisait la présidence, immatriculée PR 02. Plus de 150 dans une chambrette de 6 mètres sur 3, et l’exposition à des scènes de tortures comme l’arrachage des dix ongles d’un militaire hadjaraï avec une pince, avant chaque interrogatoire sur une cache d’armes supposée de leur père. ‘‘Ce qui était une manière de dire : crachez le morceau, sinon vous allez subir le même sort. Je ne saurais vous dire les motifs de notre arrestation. Mon père était le chef de file des hadjaraï. C’est pour ça que nous avons été arrêtés ’’, a-t-il lancé.

Il a été libéré après deux semaines d’incarcération. Mais ils ont été complètement déposséder de leurs biens, dont deux demeures. Et pour couronner le tout, il était sans nouvelles de son père Ahmad Dadji. ‘‘Qu’il (Habré) me dise ce qu’a fait mon père ? Pourquoi cet acharnement ? C’était son compagnon de lutte pourtant. Il aurait pu l’enfermer juste le temps de faire des enquêtes pour savoir’’, a-t-il lancé en direction de l’accusé tout de blanc vêtu. Seul le balancement des pieds de Hissein Habré lui a répondu, devant l’indignation de l’avocat belge de la défense, Me Beauthier.

‘‘Donc tout votre PV est nul ?’’

S’il a été ferme dans ses déclarations, la défense lui a toutefois mené la vie dure. L’exécution en plein jour de hadjaraï dans N’Djaména dont il a fait état dans son procès-verbal à la police fédérale belge, en décembre 2001, n’est ‘‘peut-être qu’un lapsus’’, a-t-il fini par admettre devant un Me Mounir Ballal d’attaque. ‘‘Ils tiraient dans les pieds ceux qui tentaient de s’enfuir’’, a-t-il rectifié. Une rétraction qui concerne aussi l’empoisonnement supposé d’Idriss Miskine, opposant politique, qui ne serait que rumeurs. ‘‘Donc tout votre PV est nul ? ’’ lui a demandé Me Ballal. ‘‘Ne m’enlevez pas ce que j’ai vécu’’, a-t-il rétorqué.

Me Abdou Gningue s’est appesanti sur le contexte conflictuel de l’époque où les réunions séditieuses constituaient une menace à la sûreté de l’Etat. Me Mbaye Sène a failli faire s’écrouler l’ossature de l’accusation, en s’agrippant aux contradictions du témoin. ‘‘Confirmez-vous que hadjaraï signifie habitant de la montagne et pas une ethnie ? ’’. A la réponse affirmative de Dadji, l’avocat commis d’office lui a signifié que toute l’ordonnance de renvoi est fondée sur une idée d’épuration éthique des hadjaraï. ‘‘C’est une erreur grave de l’accusation, puisque vous Tchadiens dites qu’il n’existe pas d’ethnie hadjaraï ’’, s’est exclamé Me Abdou Gningue. Ce qui a obligé Mahamat Dadji à repréciser sa pensée. ‘‘Bien sûr qu’elle existe. Je veux dire simplement que c’est la collectivité des 22 ethnies’’, s’est-il justifié.
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