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Djiby Diakhaté, sociologue, sur les couacs récurrent dans l’organisation du Hadj: "Il faudra que les autorités arrêtent de concilier commissariat au pèlerinage et politique"
Publié le mercredi 23 septembre 2015  |  Sud Quotidien
Première
© aDakar.com par DF
Première édition des "mercredis de la Police"
Dakar, le 05 août 2015 - La Police nationale a initié une série de conférence dénommé "Les mercredis de la Police" dont la première édition s`est tenue, ce mercredi. Cette manifestation a réuni de hauts cadres de la Police, des représentants du corps diplomatique, des membres d’autres corps habillés, des universitaires, entre autres. Photo: Dr Djiby Diakhaté, sociologue




Le commissariat général au pèlerinage a manifesté véritablement des lacunes dans l’organisation du Hadj de cette année. Et pour corriger cela, il faudra que les autorités arrêtent de concilier commissaire ou commissariat au pèlerinage et politique ou appartenance politique. C’est la conviction du sociologue Djiby Diakhaté. Dans cet entretien qu’il nous accordé jeudi 17 septembre dernier, alors que les pèlerins laissés en rade étaient encore au hangar de l’aéroport de Dakar et menaçaient de se donner la mort plutôt que de retourner dans leurs familles, Djiby Diakhaté donne des explications sociologique à cette position extrême, revient sur les tare de pratique religieuse au Sénégal, le rapport de musulmans sénégalais avec leur religion, avec Dieu, avec l’autre, le voisin. Bref la pratique cultuelle au quotidien.

Cette année encore l’organisation du pèlerinage a connu beaucoup de failles avec plusieurs pèlerins laissés en rade. Certains d’entre eux ont même menacé de se suicider. Qu’est-ce qui explique, sociologiquement, qu’on en arrive à penser à cette décision extrême pour des croyants, si l’on sait que la religion musulmane interdit formellement le suicide ?

Il faut d’abord parler des problèmes liés à l’organisation. Depuis quelques années, on se rend compte que la structure chargée de manager le pèlerinage à la Mecque se heurte à un certains nombres de difficultés. Disons que c’est une structure qui manifeste un certains nombres de lacunes et de failles en terme d’organisation. Parce qu’en réalité c’est absolument difficile de comprendre qu’il y ait des candidats au pèlerinage qui ont déposé leur candidature depuis longtemps et à qui on a fait subir des formalités administratives, médicales, etc. et au moment de prendre l’avion pour réaliser leur devoir de musulman, se voient pratiquement mis devant le fait accompli. (…) La deuxième chose qu’il faut dire maintenant, c’est que ces pèlerins qui ont dit à leurs familles, à leur communauté, parce que ça se passe comme ça chez nous, l’individu, avant qu’il ne s’engage à aller à la Mecque pour effectuer une obligation cultuelle, le plus souvent, il y a ce qu’on appel en wolof «le tagato». Il faut aller voir la famille élargie, aller voir les voisins, rencontrer les acteurs de la communauté leur demander pardon et solliciter leurs prières et les gens, aussi, vous demande en retour de prier pour eux. Alors, ces formalités sociales ont été déjà faite par ces candidats qui prennent le véhicule à partir de régions très éloignées le plus souvent pour rallier l’aéroport de Dakar afin de prendre l’avion. Et, en ce moment-là, on leur dit que vous n’avez pas la possibilité d’aller à la Mecque, il y a donc un problème profond vécu par ces derniers.

De ce fait, ils ont une difficulté, pour eux, de retourner chez-eux. C’est comme si c’est un échec de leur part, un rêve qui a été entretenu quelque part et qui se termine par un cauchemar. Cette situation devient, pour certains pèlerins, un fardeau absolument difficile à porter, d’autant plus que quelque part, ceux-là qui sont chargés de l’organisation n’ont certainement pas pensé à des mesures d’accompagnement c’est-à-dire comment accompagner ces candidats à rentrer chez-eux. Si on se rappelle des candidats à «Barça» ou «barsakh», lorsqu’ils revenaient de Dakar, on leur distribuait juste des sandwichs et 10.000 F Cfa pour rentrer chez-eux. Ici, il s’agit de mettre en place un dispositif d’accompagnement plus souple et plus humain qui tienne en compte la situation et qui respecte la dignité, l’intégrité physique et morale de ces candidats au pèlerinage.

Voilà pourquoi ces gens se sentent frustrés et humiliés. Et, le terme «humiliation» a été utilisé par certains d’entre eux. C’est dire qu’il est très difficile de rentrer chez-eux, c’est même une sorte d’offense que de devoir retourner dans leur communauté et que les gens les voient comme des personnes qui avaient signé leur au-revoir et qui revienne avant la lettre. Ainsi, c’est un sérieux problème qui se présente et la situation la plus grave c’est qu’il n’y a pas une mesure d’accompagnement pour essayer d’atténuer le choc comme les accompagner jusque dans leurs communautés et qu’ils soient renforcés sur le plan psychologique pour que les uns et les autres comprennent que cela ne relève pas de leur faute. Ce n’est pas un échec personnel, mais c’est plutôt une organisation mal pilotée qui a conduit à ce fiasco.

Et au même instant, lorsque les pèlerins sont plus ou moins à court d’information, perturbés, désorientés et restés dans le hangar pendant plusieurs jours dans des situations excessivement difficiles, on se rend compte qu’au lieu d’une communication orientée vers l’apaisement de la situation, donner les informations les plus utiles leur permettant de se calmer, c’est plutôt des invectives, des menaces, des injures de part et d’autre.

Alors, qu’est-ce qu’il faut faire pour éviter ce genre de désillusions qui commencent à devenir récurrentes ?

Je pense qu’il y a véritablement des lacunes manifestées par la commission. Et pour corriger cela, il faudra que les autorités arrêtent de concilier commissaire ou commissariat au pèlerinage et politique ou appartenance politique. Il faut alors arrêter cela de façon définitive car c’est une affaire de management. Ce qu’il faut faire, c’est plutôt de confier cette commission a des gens qui ont des habilités managériales parce qu’il s’agit de gérer des hommes, de gérer des groupes, de donner des informations, de communiquer, d’orienter, d’accompagner, de concilier, etc. Ainsi, c’est des habilités managériales qu’il faut mettre en avant mais pas une appartenance politique ou une autre considération. A travers cette situation, on constate qu’on a une commission qui présente des failles.

Au-delà de cet aspect, il y a des gens qui sont, si on peut dire ainsi, des abonnés du hadj car ils vont à la Mecque chaque année. Qu’est ce qui explique cette propension à vouloir, chaque année, faire le hadj alors qu’en Islam il est recommandé d’effectuer au moins une fois le pèlerinage?

Parmi ces personnes qui effectuent chaque année le pèlerinage, on peut y trouver, au moins, trois catégories de familles d’acteurs différents. Pour la première catégorie de famille d’acteur, il y a ceux qui le font par conviction, ils ont les moyens, ils pensent que c’est une obligation cultuelle et que dans la religion, c’est important de se rendre à la Mecque et qui y vont pour eux ou pour leurs parents. C’est une façon d’en arriver à un niveau supérieur dans l’adoration de dieux. C’est des gens qui sont essentiellement mus par des considérations religieuses. C’est lié à la conviction, lié à la foi et donc, cette pratique itérative du pèlerinage, pour ces gens, c’est une façon de mieux se réconcilier avec leur Dieu ou d’aller chercher des éléments pour renforcer leur foi. C’est aussi une façon de revenir sur des pratiques beaucoup plus orthodoxes et qui sont en phase avec les commandements divins. Concernant la deuxième famille d’acteurs, on peut considérer que c’est plutôt quelque chose qui relève du regard social. Donc on cherche un prestige social. Quelque part, on pense qu’aller à la Mecque et revenir ça change le nom parce qu’on accède au grade de «El hadj» ou de «adjiaratou». Et, dans certains milieux, ce n’est pas n’importe quoi, c’est une station sociale plus ou moins commode et ça confère a l’individu un prestige social, une façon de dire que «moi, je suis nantie sur le plan économique». Ce poids économique devra avoir une résonnance sur le plan social. Avoir de l’argent, aller à la Mecque, c’est montrer aux gens que «j’ai un statut qui est particulier parce que je suis plusieurs fois hadji». A la limite on pourra parler d’«une super hadjaratou ou d’un super hadj» qui dépasserai le simple niveau du premier pèlerinage. C’est comme si, quelque part, on a le cercle des «VIP» en matière de pèlerinage car, c’est le prestige social qui est recherché. Dans une société ou l’avoir est entrain de l’emporter sur l’être, on a tendance à mettre l’accent sur les symboles, sur l’habit plutôt que sur ce qui se cache derrière. C’est une société ou les apparences deviennent de plus en plus importantes.
Il y a une dernière catégorie de famille d’acteurs mobilisée essentiellement pour des raisons commerciales. C’est des commerçants ou des commerçantes qui vont régulièrement à la Mecque parce qu’ils sont dans le domaine des affaires. Il faut aussi, noter que le hadj est un moment important d’affaire sur le plan du commerce, sur le plan du service et que certains s’y rendent pour aller chercher des biens afin de renforcer leur capital. Donc, on a plusieurs catégories qui se mobilisent dans cette affaire. Mais malheureusement, la famille d’acteur qui a tendance à émerger le plus, c’est celle-là qui mette l’accent plus sur une considération de prestige social. Aller à la Mecque, ce n’est pas n’importe quoi, c’est avoir une certaine reconnaissance sociale et être considéré d’une certaine manière et dans les jeux sociaux occuper une place stratégique au niveau des communautés.

Pour certains, la recherche effrénée du titre d’El hadj ou d’adjaratou est en train de plus en plus de prendre le dessus sur l’aspect religieux même du pèlerinage. Est-ce votre constat ?

Je crois que malheureusement, toutes les festivités qui accompagnent le pèlerinage à la Mecque, chez-nous, montrent qu’on met l’accent sur des considérations ostentatoires. On a besoin de se faire voir, montrer à tout le monde qu’on y va. C’est important car il faut solliciter les prières des autres mais, parfois, au-delà des prières, on veut que l’information soit à la disposition de tout le monde. Et au retour de la Mecque, c’est de grandes fêtes qui sont organisées pour cela, c’est des bœufs ou des moutons qui sont égorgés. Même les vendeurs de moutons, après la tabaski, restent pour attendre les pèlerins.
Ainsi, c’est de grandes fêtes qui sont organisée, c’est beaucoup d’argent qui est mobilisé et c’est une certaine façon, aussi, de marquer son empreinte et son territoire. Cette grande tendance festive montre qu’on est plus attaché à ces apparences, à ces considérations sociales et on est plus attaché à ça qu’a des convictions de type religieux. On peut ainsi dire que s’il y a une catégorie qui ne met l’accent que sur des convictions, malheureusement, il y a une autre très attachées au folklore, a l’image social, au regard des autres. Et celle-ci a tendance à faire beaucoup de bruit au moment de leur départ et de leur retour.

Il y a une autre catégorie qui se signale de plus en plus, c’est-à-dire des hommes politiques qui, maintenant, s’illustre dans la distribution des billets de pèlerinage que certains «accusent» d’être à l’origine des couacs notés ces dernières années. Selon vous, qu’est-ce qui est derrière cette générosité des hommes politiques?

C’est une générosité politique très calculée. Il s’agit le plus souvent, de fidéliser des militants mais il s’agit aussi de donner le signal aux autres et de dire: «venez vers moi parce que je distribue des billets». Il faut noter que cette pratique est souvent l’apanage du régime au pouvoir. C’est le parti au pouvoir qui a plus de moyens de distribuer le plus de billets. Du temps du Parti socialiste (PS), c’est eux qui distribuaient plus de billets, c’était le même cas au temps de Wade (ancien président Abdoulaye Wade, ndlr) et cela se répété avec le régime de Macky Sall. Ça signifie qu’il y a une générosité derrière qui est calculée et orientée vers le recrutement de nouveaux militants et vers la fidélisation. C’est une sorte de récompense en réalité. Et si cela repose sur ces réalités, on oubli l’aspect religieux c’est-à-dire qu’on s’écarte de la sphère religieuse. D’ailleurs, ils les distribuent de façon à ce que tout le monde le sache, en organisant de grandes cérémonies. Des fois, il y a des querelles autour de la distribution de ces billets car certains se sentent lésés et d’autres disent que c’est eux qui ont le mérite, etc. Tout cela montre que c’est un jeu de type politicien qui se noue à niveau.
Au-delà de cette distribution des billets, il y a la tendance forte des politiciens à aller à la Mecque et à sur communiquer pour leur départ, donc beaucoup d’images des leaders, qui sont montrées en train de prier aux lieux saints de l’Islam. Toutes ces choses sont des opérations de charme sur le plan politique. C’est une façon de cerner la communauté qui est composée de 95% de musulmans, donc un électorat important. Beaucoup de leaders politique ont cherché a joué sur ce levier. On l’a vu avec Abdou Diouf et à un certain moment on a voulu l’appelé «l’homme de Taif». Ensuite Abdoulaye Wade a joué sur ces représentations en se présentant plusieurs fois à la Mecque en se faisant ouvrir la Kaaba par lui-même accompagné par certains des grands dignitaires saoudiens. Et le président Macky Sall n’a pas aussi manqué d’activer ce levier avec ses compagnons. C’est une façon de dire que cette proximité avec l’Arabie Saoudite pourra avoir des retentissements sur le plan politique comme une sorte d’investissement. Et on attend un retour sur investissement, et c’est des cartes, c’est des votes que l’on attend des populations. Le politicien, de ce coup, joue sur deux registres: d’abord, ils donnent des billets pour fidéliser des militants et pour attirer des clients et ensuite font une promotion autour de leur pèlerinage.

Ce qui veut dire qu’il reste encore du chemin pour une pratique religieuse désintéressée, un pèlerinage tourné vers Dieu?

Il y a maintenant un grand symbole qui nous est donné par le khalife général des mourides qui, n’ont seulement donne des billets a des gens qui ne sont forcements pas des mourides car, pour la dernière occasion, dans le lot des pèlerins, ses disciples en constituent une minorité, la majorité est constituée par des disciples des autres confréries. Et, le khalife au retour, leur demande, uniquement de prier pour le pays. On a besoin d’une pratique religieuse plus ou moins écartée de nos calculs d’intérêts égoïste, saine, alignée sur les normes et les dogmes et qui vise essentiellement à réconcilier l’acteur avec son Dieu et avec lui-même. On ne peut pas comprendre qu’on est un pays à 95% musulman et qu’en retour on manifeste de la méchanceté entre nous, on gaspille les biens publics et il y a des situations de détournement. Dans ce cas, nous devons voir nos rapports avec la religion parce que le rapport avec la religion n’est pas seulement de s’acquitter d’obligations cultuelles mais c’est le fait au quotidien de respecter l’autre, de respecter la dignité de l’autre, de donner à l’autre toute la place et toute l’importance que son Créateur lui a confié en le mettent au monde. Ces éléments la, on a tendance à les oublier: quel rapport entretenons nous dans nos lieux de travail ? Est-ce que nous travaillons à l’heure ? Est-ce que nous travaillons suffisamment ? Est-ce que nous gérons bien les deniers qui nous sont confiés ? Est-ce que nous souhaitons à l’autre ce que nous souhaitons à nous-mêmes ? Est-ce que nous disons du bien des autres à leur absence ? Est ce que je me dis que charité bien ordonné commence par les autres et non par moi ? Est-ce que je souhaite la réussite de l’autre ? Finalement, on se rend compte que sur certaines questions de notre conduite au quotidien, nous sommes totalement éloignés des préceptes de la religion. Mais quand il s’agit d’aller à la Mecque ou dans les grands gamous, nous nous bousculons, nous montrons que nous sommes pieux, etc. Et, quand nous sortons de ces milieux, nous changeons complètement de comportements. Ainsi, nous incarnons des comportements totalement éloignés des préceptes de la religion. Je crois que c’est à ce niveau la qu’on doit travailler et avoir un nouvel homo senegalensis qui soit quelqu’un de bon et qui est en phase avec les recommandations religieuses. Alors, ces recommandations nous demandent d’être bons pour nous, avec les autres et avec la communauté.
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