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Art et Culture

Mots choisis: « Lumières de Pointe-Noire » d’Alain Mabanckou Editions Seuil
Publié le mercredi 9 septembre 2015  |  Enquête Plus




Alain Mabanckou nous avait promené dans ses souvenirs d’enfance avec « Demain j’aurai vingt ans. » Il nous revient avec « Lumières de Pointe Noire » qui pouvait aussi s’intituler « Hier j’avais eu vingt ans » ou « Que sont devenus mes vingt ans ? », vingt trois ans après avoir quitté Pointe-Noire.

Maman Pauline est morte, il ne fit pas le déplacement.

Il se laisse croire que sa mère est encore en vie parce qu’il ne l’a pas vue vieillir, il ne l’a pas vue mourir. Pourtant, il admet aujourd’hui cette mort.

Léon Tolstoï dans « Guerre et Paix » nous décrivait comment devant la mort de nos parents, toute notre enfance rejaillit pour nous plonger dans des souvenirs d’une certaine époque. Alain Mabanckou revoit les images d’une mère cuirassée contre les tracasseries de la vie quotidienne, ce masque de sérénité qu’elle portait tout au long de sa brève existence, l’achat de litre de pétrole et des mèches de rechange pour leurs deux lampes tempêtes Luciole marquant ainsi toute la précarité de leur vie, Massengo, l’épouvantail totem….

Il revoit cette modeste paysanne de Louboulou obligée de quitter son bled afin d’oublier ce lieu où celui qui allait être son époux a pris la poudre d’escampette sans laisser un mot, l’abandonnant avec sa grossesse. Elle choisit alors de vivre telle une femme de nulle part dans le bourdonnement de la ville de Point-Noire. Elle y sera délivrée de sa grossesse pour donner naissance à un garçon en une nuit torride et glaciale de 24 février 1966. Ce garçon était la prunelle de ses yeux, « le signe indéniable d’une immortalité ». Pourtant, il lui eût été dit que ce garçon serait un ingrat, quitterait le pays à l’âge de vingt ans et serait à des milliers de kilomètres d’elle le jour où elle pousserait son dernier soupir. Hélas ! Cette prédiction se réalisa…

En réalité il ne fit pas le déplacement parce que redoutait le face-à-face avec le corps de cette femme qu’il avait laissée souriante et pleine de vie. Les dernières images de sa mère se présentent à lui avec une si grande netteté qu’il revoit leur dernière rencontre en 1989, quelques heures avant son départ pour la France. Elle était venue lui dire au revoir, parcourant plus de cinq cents kilomètres pour rallier Brazzaville, lieu d’embarquement. Il réentend ses propos, il revoit ce regard sombre, la gorge serrée par l’émotion…, les larmes couler. Elle réentend la prédiction de sa cousine. Oui, elle va se réaliser parce que la France et le Congo ont comploté pour lui arracher ce qu’elle avait de plus cher, sa raison de vivre… Elle avait compris depuis ce temps-là qu’elle l’avait définitivement perdu. Tout juste priait-elle pour « qu’il devienne celui qu’il voudra être ». C’était leur dernière rencontre.

Des années après, à l’occasion d’un séjour organisé par l’Institut français, Alain Mabanckou ouvre son album souvenirs parce qu’il a cessé de croire que sa mère est toujours en vie. L’enfant unique qu’il était nous rappelle les croyances anciennes qui entouraient sa vie, le souvenir de ce père adoptif Roger réceptionniste à l’hôtel Victory Palace, le souvenir de Miguel, ce chien membre à part entière de la famille.

« Demain j’aurai vingt ans » nous avait déjà familiarisés avec la plupart des personnages et des lieux de « Lumières de Pointe-Noire ». Ils se prénommaient Tonton René, Maman Pauline, Maman Martine, Yaya Gaston, Georgette…, la tribu de Papa Roger avec sa première femme Maman Martine…. La vie se déroulait au Cinéma Rex, au « Quartier Trois Cents »…, des lieux mythiques de la vie ponténégrine. Que sont-ils devenus vingt trois ans après ?

Maman Pauline, Tonton Roger, Maman Martine et Tonton René ne sont plus de ce monde. Yaya Gaston qui dans « Demain j’aurai vingt ans » incarnait le playboy, l’homme raffiné qui faisait tomber toutes les filles, est devenu une loque humaine, un soulard en pente vers la clochardisation. Georgette, la cinquantaine révolue, refuse le verdict de l’âge, se blanchit la peau et se teint les cheveux. Ils sont devenus comme des fauves qui guettent son apparition pour lui soutirer quelques francs CFA au nom de ce sang qui les rapprochait et non au nom de ce qu’ils ont vécu ensemble, au nom de ce père qu’ils avaient en commun : Papa Roger qui était plus un père biologique qu’un père adoptif pour l’auteur. Pour lui non plus, il n’était pas là pour les funérailles et la tribu réclame le remboursement de sa part dans les frais funéraires.

Il retrouve une famille avec des absents presque toujours présents et a maintenant conscience qu’il s’est « arrêté au bord du ruisseau des origines, le pas suspendu, dans l’espoir d’immobiliser le cours d’une existence agitée par ces myriades de feuilles détachées de l’arbre généalogique ».

Le cinéma Rex, espace mythique de projections de films, est devenu une église pentecôtiste dénommée la Nouvelle Jérusalem où des serviteurs de Dieu vendent des tickets de paradis à leurs ouailles.

Le « Quartier Trois Cents » dont le nom rappelle la guerre entre prostituées zaïroises et ponténégrines quant au prix de la passe, adopte une nouvelle conscience par la voix de Madame Claude.

Les lumières projetées sur Pointe-Noire vingt trois ans après révèlent les souffrances de l’auteur, la nostalgie des temps heureux, des années d’insouciance où il vivait entouré de Maman Pauline et de Papa Roger. D’ailleurs, il n’est pas parti se recueillir devant leur tombe au cimetière Mont-Kamba parce qu’ils sont venus vers lui.

Avec ce livre hommage, Alain Mabanckou vient de faire son deuil et, définitivement.

Nous regrettons seulement que l’auteur ne nous ait pas parlé de cet ami qu’était Lounès et sa sœur Caroline, son premier amour dans « Demain j’aurai vingt ans », du lieu qui abritait le bar « Le crédit a voyagé » si admirablement décrit dans « Verre Cassé ».

Ce livre est un des plus authentiques d’Alain Mabanckou et, grâce à son talent, il nous fait partager ses souvenirs avec une grande tendresse….
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