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Multiplications des meurtres: Les séries macabres made in Sénégal
Publié le jeudi 20 aout 2015  |  Enquête Plus
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© Autre presse par DR
À Yoff, un espagnol a tué sa femme avant de se donner la mort




Cinq homicides volontaires en 15 jours, le décompte est macabre et inquiète. Au Sénégal, il est devenu très facile, trop facile même de tuer. Certains se croiraient peut-être en Play station. Le nombre de meurtres ne se comptent plus. Chaque citoyen est devenu une potentielle victime. Et il n’est pas besoin d’avoir les experts de Miami, car les meurtriers sont presque sans mobile. Pour un oui ou un non, on peut facilement rejoindre l’autre monde, victime d’une cruauté quasi-gratuite.



La criminalité a-t-elle élu domicile dans la société sénégalaise ? Il n’est certainement pas exagéré de se poser des questions sur ce phénomène. Non seulement les cas d’agression, de cambriolage et de violence se multiplient, mais aussi et surtout des meurtres en série sont notés, depuis quelque temps. Le dernier en date est celui de Ndiaga Fall, plus connu sous le nom de ‘’Baye Fall’’, tué devant les locaux de Walfadjri. Cet assassinat (puisqu’il s’agit d’un acte prémédité) de Baye Fall a eu lieu, moins de 48 heures après le meurtre d’un taximan à Louga.

Papa Ndiaye a été poignardé par des individus. Il a perdu beaucoup de sang. Et malgré l’intervention des sapeurs-pompiers qui l’ont évacué à l’hôpital régional Amadou Sakhir Mbaye, cet homme d’une quarantaine d’années a succombé à ses blessures. Alors que sa famille avance la thèse d’un cambriolage qui a fini dans le sang, les sources policières ont indiqué à la presse qu’il s’agirait plutôt d’un règlement de comptes. Puisque la victime avait reçu quelques coups de fils de ses bourreaux et a été, à deux reprises, dissuadée par sa femme de sortir, intriguée par des appels nocturnes. Que finalement, c’est ‘’le bruit d’un moteur en marche provenant de son taxi stationné devant le domicile qui l’a finalement contraint à sortir’’. Il se fera tuer par la suite.

La semaine d’avant, précisément le mercredi 12 août, c’est Yoff qui a été sous les projecteurs, à cause d’un couple sénégalo-espagnol. Manuel Sanchez a abattu son épouse Fama Diop d’une balle de pistolet dans la tête, avant de se donner la mort. Là aussi, plusieurs thèses sont avancées, notamment, la jalousie. Ce qui est sûr, c’est que le couple, à défaut d’être parti avec tous ses secrets, a au moins emporté une bonne partie.

Deux jours avant, le nommé Moustapha Ngom s’est illustré de la plus macabre des manières. Cet individu s’est introduit dans un daara à Thiès. En l’absence du maître des lieux, il s’est acharné sur trois pauvres talibés. Le petit Pape Ndiaye devait sans doute être sa cible principale. Il a été retrouvé mort, le lendemain. Sa famille affirme que son meurtrier lui a assené 47 coups de couteau. La presse affirme d’ailleurs qu’il a été égorgé. Les deux autres, Médoune Lô et Djiby Kassé, sont plus chanceux, mais ils s’en sont tirés ‘’éventrés’’. Au total, c’est cinq meurtres en quinze jours. Et le décompte macabre se poursuit.

Absence de mobile compréhensible

En janvier dernier, la dame Rama Ndiaye, âgée de près de 80 ans, a été poignardée par son petit-fils au quartier Pikine Sor Daga de Saint-Louis. A l’origine du drame, une dispute familiale. L’étudiant Saer Boye a été tué devant le restaurant Central du Coud pour une affaire de respect ou non du rang. Son sort d’ailleurs diffère diamétralement de celui de Bassirou Faye, puisque personne ne réclame justice pour lui. En 2013, Amadou Sékou Diallo a été tué par Ismaïla Bâ au marché Grand Yoff. A l’origine du drame, 50 F Cfa. Une dame avait acheté du poivre chez Ismaïla, elle s’est fait trancher ses oignons par Amadou Diallo dont c’est l’activité au marché. Elle a donné 200 F à Ismaïla pour qu’il remette les 150 F à Amadou. Mais ce dernier a estimé que son service valait 200 F. Une altercation s’en est suivie et Ismaïla a poignardé son vis-à-vis pour aller se coucher ensuite chez lui, où il a été cueilli.

D’autres crimes sont encore frais dans les mémoires. Bineta Mané a perdu la vie aux Hlm 5 pour avoir tenu tête à ceux qui voulaient la violer. Rokhaya Diallo tuée à l’unité 9 des Parcelles Assainies. À Saly, en 2010, Ibrahima Diallo a ôté la vie à sa maîtresse Rosina qui la logeait. Le tort de cette dernière : avoir expulsé Ibrahima au profit de son rival. Quant à Fama Niane, son nom est resté gravé dans la mémoire collective. La liste est loin d’être exhaustive. Il ne se passe presque pas deux à trois jours, sans que l’on entende parler de meurtre.

Le plus inquiétant dans tout cela, ce sont les mobiles et les circonstances des crimes. Une bonne partie relève presque de l’assassinat, en plus d’avoir une cause à la limite insignifiante. A Walf, il s’est agi, dans un premier temps, d’une provocation gratuite. Ensuite il y a eu des menaces, puis l’exécution des menaces quelques jours après. A Grand Yoff, c’est pour une modique somme de 50 F. A Saly, pour une histoire de délogement. Les cas du taximan, du couple sénégalo-espagnol ainsi que d’autres comme le boulanger de Keur Massar et le daara de Thiès restent à élucider. Mais à première vue, il n’y a aucun motif qui pourrait être jugé assez solide pour justifier un de ces meurtres. A la limite, chacun peut se faire tuer à tout moment et n’importe où. Face à cette situation, ils sont nombreux les citoyens qui, sur la toile, ont plaidé en faveur de la peine de mort. Le débat est encore relancé.

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REACTIONS

A la suite de la série de meurtres notés au Sénégal ces derniers jours, le débat a été relancé sur la peine de mort. EnQuête a interrogé quelques acteurs de la société pour qu’ils donnent leur point du vue sur les crimes et le retour ou non de la peine capitale.



SEYDINA FALL, DEPUTE INITIATEUR DE LA LOI SUR LA PEINE CAPITALE

‘’Si la loi pour la peine de mort passe à l’Assemblée, elle sera votée’’

‘’J’ai déjà déposé la proposition de loi (pour le retour de la peine de mort) à l’Assemblée nationale. J’ai même reçu la décharge. Moi je suis pour l’application de la peine de mort. Dans quelques jours, l’Assemblée va démarrer les sessions, je ferai tout pour réactiver la loi. Regardez ce qui se passe actuellement. Chaque jour, il y a mort, c’est inadmissible. Dernièrement, quelqu’un a tué à Guédiawaye, il s’est fait tuer par les populations. J’espère que la loi sera proposée aux députés. Si elle passe à l’Assemblée, elle sera votée. Je ne me fais pas de doute. Nous avons plus de 50 députés qui sont prêts. Mon seul souci est de savoir si elle passera ou pas. On m’avait dit qu’il y avait des lois qui l’ont précédée, ce sont elles qui passaient. Nous ne pouvons pas écouter les défenseurs des droits de l’Homme. Ils ne font que défendre les indéfendables, les meurtriers, les homosexuels, ceux qui jettent des pierres au Président…

Avant de déposer la loi, nous avions fait un décompte dans lequel en un mois, il y a eu 9 meurtres. Si les gens étaient sûrs d’être tués, ils ne tueraient pas. Personne ne veut mourir. Imaginez un père de famille sur qui tout repose, il se fait tuer, sa famille plonge dans la misère et le meurtrier est libre au bout de 5 à 10 ans. Nous allons tout faire pour réactiver cette loi. J’appelle tous les Sénégalais à nous soutenir. J’ai déjà eu le soutien d’oustaz Dame Ndiaye qui devait d’ailleurs me recevoir avec son association. Imam Youssoupha Sarr aussi. Nous sommes des musulmans, Dieu est plus Miséricordieux que nous et c’est Lui qui demande la peine de mort.’’

AHMADOU MAKHTAR KANTE, IMAM A LA MOSQUEE DE POINT E

‘’L’application de la peine de mort est une exception en islam’’

‘’Je suis choqué par ces meurtres, avec une fréquence de plus en plus importante. Pour rien du tout, on tue un individu. La religion a sa part, mais il faut voir les autres aspects : économiques, sociologiques…. Ce serait très prétentieux de la part d’un chef religieux de dire qu’il a des solutions. C’est une question très complexe avec des facteurs interdépendants. La vie est un tissu unique. Il faut voir l’éducation, le rôle des médias, la cohésion sociale, la législation sur le port d’armes, la mentalité de démission individuelle et collective. Beaucoup de drames se produisent dans un quartier, les habitants vous diront que le problème a commencé depuis un an. Mais personne n’essaie de trouver une solution. On ne saisit ni l’imam, ni le chef de quartier. On attend le pire pour expliquer. Il y a des ressorts dans la société qui ne fonctionnent plus. On voit des vieux qui font la belotte (jeu de cartes) ; à quelques mètres, des jeunes se battent. Mais qu’est-ce qu’ils disent : laissez-les s’entretuer, ils ont de la force.

La peine de mort n’est pas une panacée. Des enquêtes ont montré que dans certaines sociétés où elle est appliquée, elle ne résout pas le problème. Les Etats-Unis par exemple. L’application de la peine de mort est une exception en islam. Durant les 10 ans du Prophète (PSL) à Médine, elle ne s’est appliquée que sur deux personnes qui se sont dénoncées elles-mêmes. Il faut voir et comprendre pourquoi les gens sont faibles et pensent que le meurtre est la solution ? Qu’est-ce qui dicte leur réaction dans certaines situations ? Pourquoi ils font le mauvais choix au lieu d’être calme et de se référer à la loi ? Il faut voir les perspectives, l’insertion, l’éducation, la cohésion sociale, l’environnement familial.

Il s’y ajoute que la peine de mort me fait peur si on voit les manipulations de la justice. Beaucoup de verdicts sont rendus et par la suite, on se rend compte qu’il y a eu une main derrière. J’ai des réserves sur l’autonomie et l’indépendance de la justice. Or, donner le pouvoir de tuer, ce n’est pas une petite affaire. Ceux qui n’ont pas de soutien politique ou n’ont pas de marabout sont les seuls à en pâtir. De plus, on ne peut pas avoir la peine de mort à elle seule. Il y a beaucoup de préalables édictés par l’islam et qui ne sont pas effectifs. Il y a une question de cohérence. On ne peut pas être dans une société où il y a l’usure, le vol, le détournement et vouloir la peine de mort. C’est très dangereux de prendre la peine de mort comme une panacée.’’

SEYDI GASSAMA, AMNESTY INTERNATIONAL

‘’Un Etat civilisé ne doit pas rendre justice sur la base de sentiment de vengeance’’

‘’Nous constatons une multiplication des meurtres. Je pense qu’il faut s’interroger sur les moyens pour lutter contre la criminalité. Il faut également analyser les facteurs criminogènes. Ceux-ci sont presque universels. Il y a la pauvreté, la drogue et l’alcool. On voit que ce ne sont pas des gens issus de milieux aisés qui s’adonnent à ces actes. Il s’agit de ceux qui ont connu une enfance difficile ou qui habitent dans des quartiers pauvres. Tous les facteurs sont réunis dans ce pays, surtout dans certains quartiers. Je ne veux pas stigmatiser, mais la plupart de ceux qui commettent les meurtres habitent la banlieue. Il y a aussi l’application du régime sur l’acquisition et le port d’armes blanches. La plupart des meurtres le sont par armes blanches. La loi existe mais elle n’est pas appliquée. La police doit descendre sur le terrain et faire la saisie des couteaux. Les couteaux ne sont autorisés que sur les lieux d’utilisation tels que la boucherie et la cuisine.

Nous persistons à penser que la peine de mort n’est pas une solution. Il faut s’attaquer aux causes et non aux effets. Ce qui est attendu des parlementaires, c’est de voter des lois qui permettent de s’attaquer aux causes. La peine de mort existe en Gambie, en Iran, en Arabie Saoudite, en Chine, aux Etats-Unis, etc.. Tous les jours, il y a des gens qui sont exécutés. Et pourtant, on continue à tuer. Le sentiment de vengeance est propre à l’être humain. C’est l’instinct primaire. Or, la vengeance n’est pas une solution. Un Etat civilisé ne doit pas rendre justice sur la base de sentiment de vengeance ou de clameur populaire. Tous les peuples veulent l’application de la peine de mort. Même dans les sociétés où c’est aboli, si on fait un référendum, les gens s’exprimeraient pour le retour de la peine de mort. Nous pensons qu’il y a des peines autres que la peine de mort. Dans notre pays, il y a beaucoup d’erreurs judiciaires, des enquêtes sont menées sur la base de tortures et d’insultes. Ce qui manque au Sénégal, c’est une peine de sûreté, que le coupable de meurtre ne puisse sortir de prison avant de purger sa peine.’’
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