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Sénégalais expulsés du Gabon: Les douloureuses péripéties d’un retour au pays natal
Publié le vendredi 14 aout 2015  |  Enquête Plus
Arrivée
© Agence de Presse Africaine par El Hadj Assane Gueye
Arrivée des sénégalais rapatries du Gabon
12 Août 2015. Dakar. 52 sénégalais rapatriés sont arrivés à Dakar




Partis à la recherche de l’Eldorado, les Sénégalais rapatriés du Gabon ont vécu l’enfer. Les conditions de détention, les tumultes du voyage, etc., tout a été une épreuve sans précédent. Pour eux, tout ne s’est pas passé pour le mieux dans le meilleur des mondes. Les autorités les ont invités à cultiver leur lopin de terre.



Dans une salle du Cices, un groupe d’une trentaine de jeunes, entre 17 et 26 ans. Ils ressemblent à n’importe quel autre Sénégalais, de par leur physique et leur habillement : ce sont les aventuriers rapatriés du Gabon. Même si les yeux pétillent de soulagement, les visages n’en affichent pas moins une mine fatiguée. Les épreuves d’un long et pénible voyage ont fait disparaître les sourires, malgré le soulagement de retrouver le pays natal. Entre les quelques heures passées au Sénégal et l’enfer vécu au Gabon, le fossé est abyssal. Tout a basculé le jour où un nombre important d’étrangers se sont retrouvés dans un seul endroit, contre leur volonté.

Les autorités gabonaises ont décidé d’arrêter tous les étrangers en situation irrégulière. Les maçons, les employés de restaurant, ceux qui gèrent leur commerce, bref, tout ceux qui sont en rupture avec la loi ont été cueillis et conduits à la Direction générale de la documentation et de l’information (DGID). Gardés dans un camp, ils y ont vécu une expérience qu’ils ne sont pas près d’oublier. Lors des trois premiers jours, les infortunés devaient se contenter d’une alimentation non seulement insuffisante mais invariable. ‘’On avait droit chacun à un demi-pain au petit-déjeuner, un pain-beurre au déjeuner, et un demi-pain pour le dîner’’, raconte Ibrahima Diallo.

Arrêtés dans leurs lieux de travail, ils n’avaient comme habits que ce qu’ils portaient, au moment de leur arrestation. Ils avaient certes un endroit pour se laver, mais pas d’habits pour se changer. Certains étaient dans leur tenue de maçon ou d’ouvriers. Pendant trois jours, ils ont été obligés de se soumettre à cette rigueur presque carcérale. Pendant ce temps, à l’extérieur, des tractations se menaient, mais il était impossible de leur venir en aide. ‘’Au début, les autorités gabonaises ont refusé que l’ambassadeur puisse les voir. Le ministre (sénégalais) des Affaires étrangères a parlé avec son homologue pour que l’ambassadeur soit enfin accepté’’, explique le directeur des Sénégalais de l’extérieur, Sory Kaba.

Au bout de trois jours, l’alimentation a connu un petit changement. Le repas de la mi-journée est passé d’un pain-beurre à un ‘’mauvais plat de riz’’. Une quantité si petite que d’aucuns n’en faisaient qu’une bouchée. Mais d’autres ont commencé à être éprouvés par les mauvaises conditions de détention. Et l’appétit s’en est allé petit à petit. ‘’Il y en a qui ne voulaient plus manger. Ils ne parvenaient plus à terminer leur plat.’’

Repas empoisonnés

Au dortoir par contre, rien n’avait changé. Un matelas d’une personne à partager par trois gaillards. Les deux essayaient tant bien que mal de rester sur le matelas. Le troisième cherchait juste à poser la tête sur un bout de matelas, le reste du corps gisait par terre. ‘’C’était très difficile de passer la nuit dans ces conditions. Beaucoup ont préféré tout simplement dormir sur les carreaux. Moi qui vous parle, j’ai toujours dormi par terre’’, ajoute Ibrahima. A ces mots, son visage se crispe davantage. Le regard vide, fixé au sol, il a l’air absent, comme s’il venait de se réveiller d’un mauvais rêve. Il faut attendre quelques petites secondes de silence avant que le récit ne reprenne.

Une petite lumière ne tarda pas à jaillir dans ce trou noir qu’est le camp. Informés des conditions de vie de leurs compatriotes, les Sénégalais jouèrent la carte de la solidarité. Une bonne volonté envoya une somme de 300 000 F aux ‘’détenus’’. Ce qui leur a permis de se retrouver avec chacun une somme de 5 000 F Cfa comme argent de poche. Les autres ont apporté, qui des denrées alimentaires, qui des habits. Des plats furent préparés au bénéfice des arrêtés. Une aubaine pour tous ceux qui ne mangeaient pas à leur faim et n’avaient pas quoi se changer après le bain.

Mais les Gabonais continuèrent à leur mener la vie difficile. ‘’Ils disaient que les repas, ce n’était pas sûr. Les Sénégalais pouvaient empoisonner la nourriture. Ils obligeaient tous ceux qui amenaient les plats à en prendre une poignée avant de partir, afin de s’assurer qu’il n’y avait rien dedans’’. Pourtant, les autorités, comme les rapatriés, affirment tous que les ressortissants sénégalais ont bénéficié d’un traitement de faveur. On se demande alors ce qu’il en était du sort des fils des autres pays.

Les vertiges et les vomissements

Quoi qu’il en soit, ce calvaire va durer 21 lunes. Arrive enfin le jour du départ. Ce qui ne veut dire nullement que les camarades d’infortune vont entrevoir les portes de la délivrance. Les trois jours du voyage se révéleront particulièrement compliqués. En fait, le déplacement en bateau est presque tout aussi éprouvant que le camp, surtout que c’est une première pour bon nombre d’entre eux. Certains commencent à avoir le mal de mer : migraines et vomissents. En plus, dans le bateau, la question de la nourriture se pose à nouveau. Un petit plat de riz à 1 500 F se révèle trop cher pour des ‘’captifs’’ aux poches trouées. La faim conjuguée aux vomissements, certains ont vu leurs forces les abandonner au milieu de l’océan, ce grand miroir mouvant. ‘’Il y en a parmi nous qui, en un moment donné, ne pouvaient plus se tenir debout. Ils sont restés couchés pendant deux jours.’’

Pourtant, en dépit des épreuves, la conviction religieuse n’a jamais vacillé, du moins pour certains. Il n’était pas question de manquer aux recommandations divines, malgré la fatigue. Du coup, la prière se fait par des gestes mimétiques à la place des mouvements indiqués, faute d’énergie pour accomplir correctement les actes. Après trois jours, le bateau arrive enfin à bon port. Mais comme si le destin avait décidé d’y ajouter une couche, le navire ne put accoster, le quai étant occupé. Il fallut patienter jusqu’au quatrième jour pour avoir le droit de poser le pied sur la terre ferme de Kalaba. De là, ils furent conduits au Bénin, le bout du tunnel.

Là-bas, Sory Kaba les attendait pour leur apporter l’assistance dont ils avaient tant besoin. Ils eurent chacun droit à 40 000 F, en plus d’un voyage pour le retour au pays natal. Aujourd’hui, l’enfer gabonais est certes derrière eux, mais beaucoup restent encore inquiets. D’ailleurs, une fois arrivés au Bénin, certains n’ont pas voulu continuer le voyage, de peur d’affronter la famille, la société de façon générale. ‘’J’étais obligé de beaucoup parler avec eux, de leur demander de croire en Dieu et de retourner à la maison. Je demande à nos familles de nous aider, de nous accueillir. L’Etat a une part de responsabilité dans la réinsertion, mais la plus grande part revient aux familles’’, plaide Mamadou Ka, leur porte-parole. S’il est vrai que tous se réjouissent d’être revenus sains et saufs, ils sont nombreux à avoir encore l’esprit au Gabon, à cause de ce qu’ils y ont laissé. Reste maintenant à savoir si le soutien de la famille et l’agriculture à laquelle les invitent les autorités les aideront à oublier ce qu’ils ont perdu.
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