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Art et Culture

En privé avec Doudou Ndiaye Coumba Rose: ‘’Que personne ne me rende hommage à titre posthume !’’
Publié le lundi 3 aout 2015  |  Enquête Plus
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© aDakar.com par DR (Photo d`archive utilisée juste a titre d`illustration et ne correspond pas forcément avec le contenu de l`article)
Le Tambou Major Doudou Ndiaye Rose s`est éteint




Doudou Ndiaye Coumba Rose est l’une des légendes vivantes de la culture au Sénégal. Comme désigné par l’UNESCO, il est un ‘’trésor vivant’’ qui cependant n’a pas été assez célébré par son pays. Pourtant la République du Japon ou encore les USA lui reconnaissent son statut de ‘’monument’’ et lui rendent hommage à la hauteur de son rang. Seulement, le principal intéressé aurait aimé que cela vienne des autorités de son pays. C’est pourquoi il demande à tous ceux qui le souhaitent de lui rendre hommage maintenant et de la meilleure des manières. Tous ceux qui s’aviseraient de le faire après sa mort iraient à l’encontre de sa demande et il ne le leur pardonnera pas. Entretien.



Vous avez 85 ans mais vous donnez l’impression d’être plus jeune. C’est quoi votre secret ?

Franchement, je n’en ai pas. Je me suis juste imposé des limites dans tout. Comme on dit, tout excès est nuisible. Dans ma jeunesse, j’ai toujours évité certaines choses comme consommer de l’alcool ou fumer de la cigarette. Je n’ai jamais utilisé de drogue. J’ai toujours fait attention à ce que je consommais et comment je mangeais. Je ne me suis jamais alimentée à la mesure de mes ressources. C’est-à-dire que ce n’est pas parce que j’ai de quoi me payer 3 kilos de viande que je vais en consommer autant à moi seul. En mangeant, dès que je me sens rassasié, je dépose ma cuillère.

Je ne consomme pas d’aliments mal cuits. Quand j’étais jeune, je faisais du sport quotidiennement. Maintenant, j’en fais trois fois par semaine. En revenant de la mosquée le matin, je cours un peu avant de faire quelques étirements dans ma maison. J’ai aussi du matériel de sport de ma chambre que j’utilise fréquemment. J’aide mon corps à vivre. Le soir après le dîner, je fais chaque jour une petite promenade encore que je ne consomme jamais du gras le soir. Quand je me sens fatigué, je me repose. Je respecte mes heures de sommeil aussi.

Comment avez-vous fait pour échapper à la drogue, à la cigarette et à l’alcool sachant que la consommation de ces produits était très courante dans le milieu artistique dans les années 1970 ?

Vous savez, mon papa était un intellectuel. Il travaillait à l’Etat-major de l’air. Il était un ancien instituteur. Tous mes frères sont des intellectuels. Mon jeune frère Samba Ndiaye est l’un des premiers sociologues du Sénégal. Je suis le seul dans ma famille à n’avoir eu que le certificat de fin d’études primaires. Après la classe de CM2, on m’a orienté à l’école de formation professionnelle Pinet Laprade. J’y ai appris la plomberie. Avant d’être batteur de tam-tam, j’ai été plombier. Je ne sais même pas comment j’ai pu m’orienter vers cela. Parce que partout où on a habité, mon grand-père était l’imam de la mosquée. Mon père était un ‘’moukhadam’’ d’El hadji Malick Sy. Mes parents n’ont jamais voulu que je fasse de la musique.

Mon père est resté 7 ans sans me parler. Je me rappelle le moment durant lequel j’ai fait l’école buissonnière pendant 15 jours ; quand mon oncle l’a su, il m’a battu et m’a blessé. J’ai eu une clavicule cassée. Quand on m’a amené à l’hôpital indigène (ndlr actuel hôpital Le Dantec) le médecin a alerté le commissaire central de l’époque parce que convaincu que quelqu’un m’avait battu. Mon oncle a failli faire de la prison pour ça. C’est après cet évènement qu’on m’a autorisé à m’adonner à ma passion. Et grâce à l’éducation reçue de mon grand-père, je ne pouvais fumer ou boire de l’alcool. Dans mon entourage direct, il n’y avait personne qui faisait l’un ou l’autre.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans votre carrière ?

Ce sont mes grands moments de succès qui m’ont le plus marqué. En ces temps, le gouvernement m’invitait dans toutes ses manifestations. J’animais tous les grands évènements du gouvernement de l’époque. Comme je ne consommais pas de l’alcool, il faisait aussi toujours appel à moi considérant que je suis le plus sérieux. Avec moi, il n’y avait pas de risque de débordements ou de vol par rapport à d’autres à l’époque. Mon groupe était bien organisé et très discipliné.

Pensez-vous que l’Etat du Sénégal vous a assez célébré ?

Le 25 juillet passé, l’ambassade du Japon a organisé un cocktail en mon honneur à la résidence de l’ambassadeur. Beaucoup d’autorités à l’image de Khalifa Sall et de Penda Mbow y ont pris part. Il y avait aussi à ce cocktail le jazzman américain Randy Weston et la danseuse sénégalaise Germaine Acogny. La résidence était pleine comme un œuf. On m’y a décoré et on m’a donné une médaille de la part du gouvernement japonais. Mardi, des étrangers ont organisé le vernissage d’une exposition d’art à la galerie Loman Art à Liberté 6 pour aussi me rendre hommage. Les tableaux sont tellement beaux et vivants.

Aujourd’hui (ndlr l’entretien a eu lieu avant-hier, jeudi), c’est l’ambassade des USA au Sénégal qui me rend hommage. Après-demain, il y a aussi des manifestations en mon honneur au niveau de la mairie de Dakar. Cependant, j’aurais préféré que le Sénégal pour qui j’ai tout fait et tout donné le fasse à la place de ces gens-là. Je suis allé 17 fois au Japon juste pour faire découvrir aux Japonais la culture sénégalaise. En 1960, le Président Senghor m’avait demandé de composer des rythmes pour les majorettes afin de les ‘’africaniser’’. Et depuis plus de 50 ans, c’est moi qui assure le défilé des majorettes. J’ai fait beaucoup d’autres choses pour ce pays. Les gens connaissent bien mon parcours. Il serait donc préférable que ce soit mon pays qui me rende officiellement hommage.

Il y a 30 ans, j’animais une cérémonie d’hommage à Douta Seck qui était déjà très malade à l’époque et j’avais publiquement demandé que ceux qui souhaitaient en faire autant pour moi le fassent maintenant. Je leur ai demandé de ne pas attendre ma mort. Quand je ne serai plus de ce monde, j’attends des uns et des autres des prières (Fatiha et 11 likhlass). Je ne veux pas d’hommage. Je ne pardonnerai à quiconque le faisant. Quelqu’un m’a dit une fois que ce n’est pas normal qu’on n’ait jusque-là pas baptisé une rue ou une école en mon nom. Je lui ai répondu que ce n’était pas moi qui décidais. C’est aux autorités de le faire.

La dernière fois, à la résidence de l’ambassadeur du Japon, Penda Mbow en a parlé. Peut-être que les autorités y penseront. Le problème au Sénégal est que les gens attendent toujours ta mort pour te rendre hommage. Quiconque me le fait, je ne le lui pardonnerai pas. On me jette des fleurs partout. Les autorités à chaque fois que je les rencontre disent que je suis un exemple pour les jeunes, qu’ils sont reconnaissants pour ce que j’ai fait pour le pays. Mais aucune d’entre elles n’a pensé me rendre hommage de mon vivant. Organiser une journée juste pour moi serait salutaire. Je n’ai pas encore la chance d’être dignement célébré par mon pays. C’est regrettable mais je n’y peux rien.

Vous avez assisté aux magistères des Présidents Senghor, Diouf, Wade et Sall. Que retenez-vous de chacun d’eux ?

Je rends grâce à Dieu pour avoir été témoin de tout ça. Je préfère parler de Senghor parce que je suis sûr et certain que s’il vivait encore, j’aurais de loin dépasser ce stade. Il était un homme de culture et avait beaucoup d’estime pour moi. Aujourd’hui, si j’ai de la considération pour le poète Amadou Lamine Sall, c’est parce que je le vois comme Senghor. Je me dis que s’il était nommé ministre de la Culture, je serais mieux honoré. J’ai accompagné le Président Léopold Sédar Senghor à toutes ses visites officielles. Je suis allé avec lui en Côte d’Ivoire, à Paris, en Hongrie, en Tchécoslovaquie, en Roumanie, etc.

Partout où il allait pour représenter le Sénégal, il demandait qu’on m’invite au même titre que l’ensemble lyrique traditionnel, la troupe de l’art dramatique de Sorano. Cela permettait de vulgariser la culture sénégalaise. Pour l’organisation du FESMAN 1 aussi, il a fait appel à ma troupe et moi afin qu’on y participe. Donc je me dis que si Senghor vivait encore par la grâce de Dieu, j’aurais dépassé ce stade depuis fort longtemps. Ceux qui sont venus après lui ont fait de leur mieux mais pas autant que lui. Même quand Senghor allait en week-end à Poponguine il m’y invitait et je l’accompagnais musicalement dans des récitals de poèmes. Quand j’étais professeur à l’école nationale des arts, il m’appelait au Palais en compagnie de Mamadou Kouyaté qui donnait des cours de kora à Philippe quand moi je l’accompagnais dans ses poèmes en tam-tam. Il était vraiment un homme de culture. Comme je l’ai dit, ceux qui sont venus après lui ont fait de leur mieux mais ne peuvent faire autant que lui, sincèrement.

Parlons de la musique, comment trouvez-vous les jeunes batteurs de tam-tams ?

Ils sont fort vraiment. Il y a beaucoup d’évolution dans le milieu. Seulement, je trouve les cadences rapides et très vives. Ils ignorent également le langage des percussions. J’en vois certains qui proposent des rythmes qu’on ne jouait qu’à l’occasion de funérailles ou dans des cérémonies de mariage. Ils ne reconnaissent même une tonalité triste d’une autre qui est gaie. Il faut savoir faire la différence. Ils savent danser mais ne savent pas utiliser leur talent. Ils sont plus rapides que les avions dans ce qu’ils font et ce n’est pas bien. Il y a des griots qui ne savent pas comment annoncer certains évènements alors que c’est leur rôle. Avant, ce sont les griots qui avertissaient les populations sur certains dangers comme l’envahissement de criquets pèlerins ou l’avancée d’un incendie. Cela leur permettait de sortir faire le nécessaire afin de les dévier. Mais les jeunes ne savent pas tout cela.

Il n’empêche que vous trouvez qu’il y a de la créativité dans ce que font les jeunes ?

Je pense qu’ils travaillent suivant les exigences de leur époque. Avant, vous savez, chacun avait sa touche. Même quand on n’est pas griot, dès qu’on entendait les rythmes d’un tam-tam, l’on savait qui animait la cérémonie sans y être. On savait aussi qui dansait dès qu’on entendait certains rythmes. Ce n’est plus possible aujourd’hui.

Que retenez-vous de votre compagnonnage avec Julien Jouga ?

Julien Jouga était l’un de mes meilleurs amis. On a cheminé ensemble pendant 35 ans. Je l’ai rencontré grâce au Président Senghor. Ce dernier voulait qu’on africanise la chorale en intégrant des chants profanes et des chants religieux. Il avait donné des instructions au ministre de la Culture de l’époque qui avait contacté Julien Jouga qui devait travailler avec moi. On est parti voir des religieux pour demander la permission de reprendre leurs chansons.

La première fois qu’on a fait une répétition ensemble, c’était chez lui au Camp Lat-Dior. Il créait une musique en sérère et j’ai commencé, de mon côté, à taper sur la table en suivant la rythmique. Il a trouvé cela bien. Ainsi commençait le début d’un long compagnonnage. J’ai beaucoup voyagé avec lui. Ensemble, on est allé en pèlerinage à Rome ou encore voir la Sainte Bernadette. On est allé dans beaucoup de lieux chrétiens mais il a toujours respecté nos différences confessionnelles. Partout où on allait, il s’assurait toujours qu’on ne me servait pas du porc ou de repas préparés avec de l’alcool. Il était quelqu’un de correct, d’honnête et de sincère. Il ne mentait jamais. Il me disait toujours la vérité. A chaque fois qu’on prononce son nom devant moi, je ressens un grand vide.

Pensez-vous à la retraite ?

J’ai déjà pris ma retraite administrativement. Je refuse d’animer maintenant certaines cérémonies. Je ne sors que lors de grands évènements. Quand l’Etat du Sénégal a par exemple un invité de marque et le président de la République souhaite que je vienne prester, je le fais avec grand plaisir. Mais pratiquement je ne sors presque plus.

Qui de vos enfants tient le plus de vous et pourrait mieux que les autres assurer votre legs ?

Ils sont tous capables d’entretenir mon legs. Ils savent tous faire ce que je fais. Je rends grâce à Dieu. Ils sont tous dignes d’être mes héritiers.
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