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Procès Hissène Habré: L’hypocrisie de l’Union Africaine
Publié le mardi 21 juillet 2015  |  Sud Quotidien
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© aDakar.com par DR
Le président Macky Sall prend part au 25e sommet de l`Union Africaine
Johannesburg, le 14 Juin 2015 - Le chef de l`État a pris part au 25e sommet de l`Union Africaine. Le président Macky Sall a conduit la délégation sénégalaise.




Le procès Hissène Habré qui démarre ce matin à Dakar, apparaît comme un marqueur net de l’incohérence et l’hypocrisie de l’Afrique et de l’Union Africaine, en particulier, dans le traitement des procédures relatives à l’application de la loi de la compétence universelle. Souvenez-vous que c’est à la conférence au sommet de l’Union Africaine, tenue à Banjul en juillet 2006, que l’organisation continentale a officiellement demandé au gouvernement sénégalais d’organiser à Dakar le procès de l’ancien président du Tchad.

Cette décision intervenait après la présentation d’un rapport technique rédigé à cet effet par une commission de juristes africains dont le principe de la nomination a été décidé au sommet de Khartoum, intervenu un an auparavant. Bien qu’ayant été à la base de création de la Cour pénale internationale (CPI), l’Afrique n’a jamais été au fond très ouverte au principe de la compétence universelle qui est l’une des raisons d’être de la CPI.

La décision des chefs d’Etats adoptée à Banjul demandant au Sénégal d’appliquer ce principe à Hissène Habré, préfigurait-elle d’un changement notable d’esprit et de mentalité, de la part des dirigeants africains, relativement à la Convention des Nations Unies ayant institué la Compétence universelle ? La réponse est non.

La compétence universelle est en effet reconnue à tout Etat, partie à l’accord. Cette convention oblige tout Etat membre à juger tous les crimes de guerre, de tortures, de génocides, quels que soient les lieux, les moments où ils sont intervenus dans le temps. Rappelons que le Sénégal a signé et ratifié cette convention dès son adoption presque par la communauté internationale.

Paradoxalement, l’Union Africaine au non de qui le Sénégal juge Hissène Habré reste toujours fermée au principe de la compétence universelle et le combat. Voila qui explique la défection de l’Afrique du Sud qui, face à la pression des membres de l’Union Africaine n’a pas osé arrêter en juin dernier le Chef de l’Etat soudanais Omar Béchir. En définitive, l’UA ne conçoit l’application de la compétence universelle que dans la seule mesure où la mise en œuvre de ce principe s’applique uniquement à Hissène Habré.

C’est ainsi qu’il faut lire et comprendre la dernière résolution de l’UA adoptée par la conférence de Cham el Cheikh, le 12 juillet 2008. Deux ans après avoir autorisé le procès d’Hissène Habré au Sénégal, l’UA étonne en interdisant aujourd’hui à tout Etat africain de donner suite à toute procédure reposant sur le principe de la compétence universelle.

Que dit en fait la résolution des chefs d’Etats africains ? Le premier dispositif de cette fameuse résolution de l’UA énonce un certain nombre de constats :

« La compétence universelle compromet le droit, l’ordre et la sécurité. La compétence universelle est de nature politique et elle est une violation flagrante de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des Etats. Cette notion déstabilise les Etats et va même avoir un impact négatif sur le développement économique et rendre difficiles les relations internationales. Enfin, les actions menées au nom de la compétence universelle sont de nature politique ». 4

Sur ce point la décision l’UA a au moins l’avantage de mettre en évidence de façon forte le cynisme de nos dirigeants qui veulent s’aménager les moyens de s’assurer une impunité totale quant à leurs agissements.
Deuxièmement, l’UA donne des directives précises à tous les Etats membres de l’organisation continentale : les mandats émis sur la base de la compétence universelle ne doivent pas être exécutés.

Troisièmement, l’UA exige des garanties au plus haut niveau en donnant une mission au président de l’UA de poser le problème au niveau du Conseil de sécurité et d’entamer des négociations avec l’Union Européenne pour surseoir à l’exécution de ces mandats sur le territoire européen.

Comme chacun peut le constater, c’est une décision fondamentale, au niveau de son essence même, elle rejette en bloc la compétence universelle et ne lui trouve aucun point positif. Elle postule désormais que la lutte contre l’impunité sur laquelle s’est construite la compétence universelle, est une action politique qui déstabilise les Etats et porte atteinte à leur souveraineté. C’est une décision fondamentale par sa portée, en ce qu’elle vise la protection «des dirigeants africains» dans leur globalité, présidents, ministres, officiers, en activité ou non, aucune distinction n’est faite, tout le monde est couvert et protégé.

Le Sénégal justifie souvent sa décision d’ouvrir un procès contre l’ancien président tchadien en invoquant la responsabilité que l’UA aurait mise à sa charge à cet effet. Cet argument tombe naturellement de lui-même, après la résolution adoptée le 12 juillet 2008 en Egypte par les dirigeants africains au sommet de Cham el Chek. Sommet au cours duquel l’UA a, elle-même, adopté une résolution s’opposant clairement et catégoriquement à une quelconque application de la loi de compétence universelle en Afrique. On se demande si le Sénégal est toujours fondé à évoquer les décisions du sommet de Banjul qui lui confiait la responsabilité de faire juger Hissène Habré.

Au regard de la position subséquente de l’UA, pourquoi alors notre pays devrait-il être le seul Etat en Afrique à assumer une aussi grave responsabilité judiciaire et diplomatique ? Celle consistant à faire juger sur son territoire tous les dictateurs africains déchus ou de réclamer à des Etats tiers qui les hébergent, dès lors que des plaintes seraient déposées chez nous contre eux. Nous ne pouvons assumer seul une telle responsabilité. C’est, entre autres, l’une des raisons pour lesquelles beaucoup de nos compatriotes se montrent radicalement opposés à la tenue d’un procès contre Hissène Habré au Sénégal.

Face à la nouvelle attitude affichée par l’UA à propos des suites à donner par les Etats membres à une procédure déclenchée sur la base d’une loi de compétence universelle, on se demande sur quel fondement peut-on maintenant s’appuyer pour réclamer un procès contre Hissène Habré chez nous? Au nom de quels principes ce procès devrait-il se tenir ici? Lesquels principes seraient valables pour Hissène Habré et brusquement non valables pour les autres ? On constate très clairement qu’aucune allusion, ni référence au mandat donné par l’UA pour juger Hissène Habré n’est faite dans la décision prise à Cham El Cheikh.

Pourtant, force est de reconnaître qu’il s’agit là de la même et unique question. Mieux, l’UA n’a même pas évoqué l’éventualité ou la possibilité pour les Etats africains de juger eux-mêmes leurs dirigeants par des tribunaux africains, ou de les faire juger par d’autres Etats africains. Hier, comme aujourd’hui, le pays que l’ancien président Hissène Habré a dirigé pendant plus d’une dizaine d’années est en proie à de terribles convulsions politiques et vit dans un état de guerre quasi permanente. Et ce, depuis l’indépendance du pays. Hissène Habré, comme ses devanciers et son successeur actuel, ont plus passé leur temps à faire la guerre qu’à gouverner ce maudit pays.

La faute d’abord aux tchadiens eux-mêmes. Et ensuite, aux puissances étrangères qui ont toujours attisé le feu, alimenté, pour leurs intérêts propres, les différents belligérants en armes. Ils peuvent alors compter les nombreuses victimes des batailles sanglantes qui ravagent le territoire depuis toujours. Le Tchad n’est pas en réalité un pays. Il est plutôt un champ de bataille. Un vaste champ de ruines sur lequel tente laborieusement d’exister une population sans avenir.

Le procès intenté aujourd’hui à Hissène Habré en territoire sénégalais, apparaît comme l’un des multiples prolongements sur la scène internationale de l’éternel conflit qui déchire cet immense territoire. Ce conflit, malheureusement, va demeurer, quelle que soit la fin réservée à la procédure initiée contre son ancien dirigeant. Rien ne changera. Aussi, ce conflit continuera-t-il de hanter et de meurtrir la conscience de tous qui ont, depuis toujours, la lourde responsabilité d’aider à y mettre définitivement un terme. Face à une telle tragédie, ce procès est donc, pour l’ensemble des parties qui l’ont suscité, et qui ont ardemment souhaité sa tenue, un moyen de soulager leurs consciences malmenées. Face à cette tragédie, ce procès nous semble dérisoire.

Les victimes, même si nous devons tous nous incliner devant leur douleur et leur drame, ne sont que de beaux et légitimes prétextes. Cependant, ces prétextes, si beaux et légitimes soient-ils, ne doivent pas nous faire perdre de vue l’essentiel : l’histoire du Tchad dépasse largement le cas Hissène Habré. Même si du point de vue des apparences, il demeure emblématique, il n’aura été qu’un épisode dans le drame sans fin d’un peuple. Pour être cohérent, juste et utile, il faut alors mettre en place un immense tribunal qui convoquera devant sa barre tous les acteurs qui ont joué à rendre possible une si triste histoire. Il y a au moins deux acteurs essentiels dont on retiendra forcément les noms : Hissène Habré et Idriss Deby. Ce dernier a en partie payé pour la tenue du procès intenté contre Hissène Habré qu’il a déjà fait condamner à mort chez lui. La Justice pénale internationale dont le procès de Dakar en est un modèle est celle des vainqueurs appliquée aux vaincus. Comme ce fut également le cas à Nuremberg.

1 Amnesty International (2002) : Compétence d’un tribunal belge pour enquêter sur le rôle de Sharon dans les massacres de Sabra et Chatila, en 1982. : Archives Amnesty International : www.ara.controlarms.org.
2 Voir à cet égard les articles publiés par Abdou Aziz Diop dans l’hebdomadaire, Le Devoir,
3 Arrêt de la Cour de Cassation n° 14 du 20 mars 2001.
4 Site Internet de l’Union Africaine, juillet 2008.
5 Article publié dans l’édition du journal « Sud quotidien », datée du 3 février 2000.
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