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Entretien avec le président des victimes tchadiennes : Abaïfouta pas clément avec Habré
Publié le mercredi 15 juillet 2015  |  Le Quotidien
Hissène
© Autre presse par DR
Hissène Habré, l`ancien président du Tchad poursuivi au Sénégal pour crimes contre l`Humanité




Pour Clément Abaïfouta, le procès de l’ex-Président tchadien, qui va se tenir le lundi 20 juillet prochain à Dakar devant la Cour d’assises des Chambres africaines extraordinaires (Cae), est le couronnement d’une lutte menée depuis plus de deux décennies et l’aboutissement d’un dossier judiciaire enclenché au début des années 2000 et qui leur a valu plusieurs déplacements en Europe et à travers le continent africain. Affichant la sérénité dans les locaux du cabinet de son avocate, Me Jacqueline Moudeina, sis à Ndjamena où Le Quotidien l’a accroché, le président de l’Association des victimes tchadiennes des crimes et répressions du régime de Hissein Habré (Avcrhh) se dit convaincu d’une condamnation future de l’ancien homme fort de Ndjamena. Invitant l’actuel Président Idriss Deby à ne pas accepter que l’impunité puisse perdurer dans son pays, Clément Abaïfouta déplore le manque de volonté politique de l’Etat tchadien pour la reconnaissance du statut des victimes du régime de Habré, l’absence d’application des décisions issues de la Conférence nationale du Tchad tenue dans les années 1990. Le président de l’Atvcr ne manque pas de plaider fortement pour le reversement de la somme de 75 milliards de francs Cfa allouée aux victimes tchadiennes par la Cour criminelle de Ndjamena dans son verdict prononcé lors du procès de Mahamat Djibrine dit «El Djonto» et de Saleh Younouss, condamnés pour torture.

Clément Abaïfouta vous êtes le président de l’Association des victimes tchadiennes de Hissein Habré. Dans quel état d’esprit préparez-vous le procès de Hissein Habré à Dakar ?
C’est avec beaucoup d’énergie, de conviction et d’espoir que mes collègues et moi préparons le procès de Dakar, qui sera le couronnement d’une lutte de longue haleine, car c’est notre objectif principal (Ndlr : faire juger Habré). Nous avons bon espoir.
Comment appréciez-vous la stratégie de défense de Hissein Habré consistant à opposer le silence aux questions des juges des Chambres africaines ?
Je trouve que c’est un peu bête. Je sais que Habré est une personne fière d’elle-même. Et vu qu’il se dit innocent, je crois que c’est le moment ou jamais de venir le prouver. Et, en même temps, aider à la manifestation de la vérité, car le Peuple tchadien a besoin de situer les responsabilités. On a besoin de connaître le degré d’implication de Habré sur le massacre du Peuple tchadien sous son règne. Si Hissein ne veut pas parler, cela ne surprend guère. Car c’est l’attitude des dictateurs qui ont du sang sur la main. Je crois que cela ne l’aide pas, car son attitude n’empêchera pas le déroulement du procès au continu.
Etes-vous convaincu que le procès arrivera à terme ?
Puisque je vous le disais tantôt que c’est l’un des objectifs de ma lutte. Si d’aventure je n’avais pas la conviction que ce procès allait aboutir, j’aurais baissé les bras. C’est mon ultime conviction que ce procès va aboutir et je rêve même que Hissein Habré va être condamné.
Le Tchad a réclamé la restitution des fonds constituant sa part de contribution au financement du procès de Habré. Cette revendication vous agrée-t-elle ?
Je trouve que ce n’est pas légitime !
Pourquoi ?
Vous savez que le dossier est purement tchadien : Hissein Habré est tchadien, les victimes sont tchadiennes. Même s’il (Hissein Habré) a tué des personnes au-delà des frontières du Tchad, c’est de la responsabilité du gouvernement tchadien d’accompagner, de s’investir à fond pour que ce procès ait lieu. Auquel cas, l’on se poserait la question de savoir : est-ce que c’est dans l’intérêt du gouvernement tchadien de faire obstruction à l’épanouissement de ce procès ? Mieux vaut que le gouvernement tchadien contribue pour que la vérité éclate que de se mettre au travers de la tenue de ce procès.
Le revirement du Président Deby à propos d’une collaboration avec les Chambres africaines vous surprend-il ?
Oui, cela me surprend. Il faut dire que le Tchad est tenu par des accords ; le Tchad est membre de l’Union africaine. Il ne serait pas responsable que le Tchad puisse se dérober au vu des engagements pris par le pays. Je trouve que c’est bizarre et ce n’est pas honorable.
Pensez-vous que le Président Deby a quelque chose à se reprocher ?
Je ne suis pas juge et les juges sont les seuls habilités à dire s’il est impliqué ou pas. Tous ce que je sais, c’est qu’il a été le Chef d’état-major (de Hissein Habré). Pour l’instant, l’on se focalise sur Habré, après on verra.
Comment êtes-vous parvenu à réussir la mobilisation des victimes présumées autour de l’affaire Hissein Habré ?

Il faut dire que c’est un ardu travail. Il a fallu du temps, de l’énergie, du courage pour que nous ayons réussi cette mobilisation d’à peu près 8 000 à 9 000 membres de notre association. Il faut dire que Hissein Habré est parti mais la psychose demeure. Vous savez que Hissein Habré a régné en tant que dieu ici au Tchad. Alors, qu’il ne soit pas là, la psychose demeure. Et, il fallait sortir les gens de cette torpeur pour leur faire accepter que le procès va se tenir, que Hissein Habré est arrêté. Donc, c’est un travail, un travail de longue haleine
Est-ce que vous êtes convaincu de la volonté des autorités tchadiennes d’ériger un mémorial pour les supposées victimes ?
Je me dis le fait même que les recommandations de la Confé­rence nationale souverai­ne ont duré sans exécution. Je me pose des questions. Pourquoi ça devait traîner ? Parce que c’est quand même de la responsabilité du Tchad de reconnaître les statuts des victimes, d’appliquer les résolutions de la Conférence souveraine et même des résultats de l’enquête menée par Mahamat Hassan Abakar (Ndlr : président de la Commission nationale d’enquête sur les crimes présumés du régime de Hissein Habré). On constate que rien n’est fait, rien n’avance. Et nous nous posons la question de savoir : Pourquoi ? Du coup, moi je me dis qu’il y a certainement le manque de volonté politique de voir ces résolutions s’appliquer. Et c’est bien dommage !
Est-ce que vous avez interpellé en ce sens les autorités du Tchad ?
Mais il faut dire que nous n’avons pas manqué d’interpeller tous les Premiers ministres, tous les gouvernements qui sont passés. Même lorsque le président de la République nous a reçus par deux fois, nous n’avons pas manqué de l’interpeller. D’ailleurs même à votre micro, je l’interpelle parce qu’il dit qu’il est victime pour avoir perdu huit à onze membres de sa famille. Donc, moi, je crois qu’il doit faire en sorte que le dossier avance ou alors que les victimes rentrent dans leurs droits, auquel cas je me dis qu’il y a une justice quelque part. Sinon, c’est accepter que l’impunité puisse perdurer dans ce pays.
Mais il est permis quand même de nourrir un espoir, vu que la Cour criminelle de Ndjamena, en condamnant Mahamat Djibrine dit «El Djonto» et Saleh Younouss, ordonne dans son verdict l’érection de ce mémorial ?
Oui, c’est encore une autre obligation pour le gouvernement tchadien. La cour, je crois que si je comprends bien ce que disent mes avocats, les décisions de la cour sont exécutoires. Donc, le gouvernement tchadien a l’obligation de mettre en œuvre tout ce qui a été décidé par la cour, au cas contraire, je me demanderai : «Mais où est-ce qu’on se trouve ?» Parce que le Tchad a l’obligation… Ce sont des gens qui ont été jugés coupables et condamnés. Donc moi, je me dis qu’il faudrait que l’arrêt de justice soit appliqué.
Lors du procès de Mahamat Djibrine dit «El Djonto» et de Saleh Younouss, le verdict qui a été prononcé par la Cour criminelle de Ndjamena alloue la somme de 75 milliards de francs Cfa aux victimes. Est-ce que vous pensez que cette somme va rentrer dans leur escarcelle ?
Je pense que le Tchad a le devoir de le faire. Car Hissein Habré a agi au nom de l’Etat tchadien et vous savez que l’Etat, c’est une continuité. Donc, c’est tout le gouvernement qui est très fortement interpellé. Il faut que le gouvernement commence d’abord par honorer la somme à 50% et le reste sera complété ensuite. Et je ne pense pas que les moyens de le faire puissent manquer. C’est au Tchad de faire le premier pas.
Je sais que c’est une affaire qui ne va pas du tout être facile, mais les victimes doivent se mobiliser pour se faire entendre. Car, comme on dit : «Le droit s’arrache.» Ce n’est pas en restant sans rien faire que le droit va être rendu.
Est-ce que vous n’avez pas l’impression que les autres pays s’impliquent plus que le Tchad dans cette affaire ?
Oui, c’est le cas et, c’est très dommage de le constater. Depuis le début de l’affaire, le Tchad a été pratiquement absent. On nous a fait tourner en rond jusqu’à ce que nous formions un puissant lobby pour faire avancer un peu les choses. Alors, actuellement, le Tchad montre une certaine volonté de se rattraper, mais il doit le faire normalement, c’est-à-dire en respectant les normes.
La détermination du Président Macky Sall a permis, entre autres, l’avènement du procès ? Quel commentaire faites-vous de cela ?
Je crois que le Président du Sénégal, Monsieur Macky Sall, est un homme de parole. Parce que c’est au moment où il était dans l’opposition qu’il nous avait reçus pour la première fois et avait regretté la manière dont l’affaire Habré était gérée et nous avait promis une gestion différente du dossier si jamais il arrivait au pouvoir. Et quand il est arrivé au pouvoir, il a tenu parole. Donc nous sommes très satisfaits de cela et de voir que le dossier avance.
Habré qui sera jugé à Dakar, Omar El Béchir qui échappe à la justice sud africaine. Vous pensez que c’est la fin de l’impunité en Afrique ?
J’ai honte de moi-même en tant que Africain. L’Afrique du Sud est un pays de référence en matière de lutte contre l’injustice. Donc, le fait qu’il ait laissé Omar El Béchir s’échapper me désole, sincèrement. Je me demande vraiment jusqu’à quand les pays africains arrêteront-ils de cacher les dictateurs et les auteurs de crimes ? Il ne sert à rien de signer des accords et de ne pas les respecter. Et le recul de l’Afrique du Sud devant cette affaire est une honte pour moi.
Au même moment il y a d’anciens chefs d’Etat africains qui sont jugés au niveau de la Cour pénale internationale. Est-ce que vous êtes de ceux qui pensent qu’il doit y avoir, de façon définitive, une juridiction africaine pour juger ces personnalités africaines ?
Moi, je pense que le droit n’a pas de couleur. Dès que vous êtes coupable de crimes, vous êtes condamnable, peu importe que vous soyez noir, blanc, jaune, etc. Moi je crois que c’est une fuite de responsabilités que de dire que le noir ne doit pas être jugé par le blanc. Un Tribunal qui doit juger les auteurs de crimes est un Tribunal.
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