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Professeur Mamadou Lamine Sow (président honoraire de l’ordre des médecins du Sénégal): “Seule une expertise peut déceler une erreur médicale’’
Publié le vendredi 26 juin 2015  |  Enquête Plus
L’hôpital
© Autre presse par DR
L’hôpital Aristide Le Dantec de Dakar




Ancien président de l’inter ordre des professions de la santé, le président honoraire de l’ordre des médecins du Sénégal , le Chef du département de médecine légale de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), médecin légiste-médecin du Travail, M. Lamine Sow aborde, dans cette interview, la question des erreurs médicales, du point de vue du praticien.



Des Sénégalais dénoncent de plus en plus un laxisme des professionnels de la santé, ils allèguent qu’ils ne se donnent plus à fond pour sauver des vies, conformément à leur vocation. Il leur reproche leur négligence. Quelle est votre appréciation en tant que spécialiste de la médecine légale ?

Je pense qu’il serait plus correct de parler de manque d’attention. Le mot laxisme me semble trop fort.Pour rappel le code de déontologie médicale qui s’applique à tous les médecins exerçant au Sénégal nous enseigne : « Le respect de la vie et de la personne humaine constitue en toute circonstance le devoir primordial du médecin. Le médecin doit soigner avec la même conscience tous ses malades…’’ Les professions de la santé requièrent de la technicité et de l’humanisme. C’est pourquoi on utilise l’expression de profession de la santé.

Il faut aussi reconnaitre que c’est important pour toute société d’être exigeante quant aux services offerts par les professionnels de la santé d’autant plus qu’on est dans un monde où l’accès au savoir se démocratise de plus en plus. L’information médicale n’est plus uniquement entre les mains du médecin. Elle est disponible pour tous les ayants droits, pour tous les citoyens. C’est parce que l’information est devenue démocratique que des personnes qui ont besoin de soins, jugent qu’il y a un manque d’attention de la part des professionnels de la santé. D’autant plus que dans certains cas, l’accueil des patients et des accompagnants pourrait être de meilleure qualité.

Le ministre de la santé a promis récemment de sévir et de remettre de l’ordre dans le secteur…

Vous savez, la relation entre le médecin et le malade est basée sur la confiance qui implique la confidence. D’ailleurs, l’accueil de la personne est un premier pas pour la mise en confiance du patient. On demande généralement aux médecins d’avoir une bonne tenue vestimentaire de telle sorte que la confiance s’installe facilement dès le premier contact et de favoriser, par là, la confidence. C’est la raison pour laquelle, les médecins portent la blouse blanche, synonyme de respect, de propreté, d’hygiène.

Il faut également souligner que nous sommes dans un monde d’échanges, le système principal des valeurs repose sur des considérations financières.

Alors que la société et l’individu nous demandent, en tant que professionnels de la santé, de faire montre de compassion et d’aménité, de faire preuve d’humanisme.

Mais comment voulez vous que des éléments de la société puissent être investis dans ce cadre logique alors que le reste de la société dispose d’un autre système ? Il faut remettre la médecine voire la santé à sa vraie place, c’est-à dire permettre aux médecins de servir la personne humaine qui souffre et que sa vocation puisse être effective.

Le corps médical se conforme t-il à cette exigence ?

Lors du congrès international de médecine interne organisée par la Société Africaine de Médecine Interne, qui s’est récemment tenu à Dakar, un de nos maîtres, le professeur Amadou Moustapha Sow nous rappelait que le rôle du médecin repose sur l’accueil, l’écoute, l’examen clinique et éventuellement les examens para cliniques (biologie, radiographie, endoscopie, échographie, biopsie, etc ….). Il précise qu’il faut savoir écouter la personne pour cerner son problème avant de l’examiner. Il tient à rappeler que si on n’écoute pas les patients, si on ne les accueille pas bien, on ne peut pas les soigner. C’est ce que nous demande d’ailleurs la loi, qu’on soit consciencieux et attentif, qu’on mette les moyens à notre disposition pour pouvoir contribuer à l’épanouissement du malade. Donc il faut un accueil, une écoute, une démarche médicale, c’est notre raisonnement médical…Une bonne consultation doit durer le temps que le climat de confiance s’installe.

Est-ce que les médecins sont en mesure de répondre à cette exigence vu qu’ils se plaignent d’un surplus de travail ?

Vous abordez là la question de l’organisation et de l’accès aux soins : accès géographique, accès technique avec le relèvement des plateaux techniques des structures de santé, accès financier avec la mise en place de la couverture maladie (santé) universelle sans oublier les ressources humaines de qualité et motivées.

Nous saluons tous les efforts du ministère de la santé qui ne se lasse d’œuvrer pour un meilleur accès aux soins de qualité. Ce sera avec un système de financement de la santé qui repose sur la solidarité car s’il n’y a pas de solidarité, il ne peut y avoir de système de santé. Il sera question de faire en sorte que des dépenses de santé soient anticipées sous forme de cotisation entre éléments de la société. Demain si quelqu’un tombe malade, que ce fonds puisse lui servir à garantir sa santé. C’est le principe de la mutualité, le principe de l’assurance santé, de l’assurance sociale, c’est le principe même de l’assurance privée. Nous mettons en place les moyens pour que la personne puisse recouvrer la santé parce qu’on ne peut pas garantir le résultat. Comme enseigné par LOUIS PORTES « le médecin soigne, c’est le Bon Dieu qui guérit … etc …».

Mais il doit se donner les moyens de guérir ?

La charte du malade nous indique les droits et devoirs des patients.

Le médecin a le devoir de mettre en œuvre tous les moyens disponibles et utiles en la circonstance pour rétablir la santé.

C’est vrai mais la guérison ne nous appartient.

Les résultats sont exigibles dans des conditions rares, comme c’est le cas en chirurgie esthétique où on est tenu de faire des résultats.

Justement, selon la loi, le médecin est astreint à des obligations de moyens et non de résultats ? Qu’est ce à dire ?

Ce qu’il faut comprendre par là, c’est que l’Etat doit mettre tous les moyens disponibles actuels que la science lui offre pour permettre au médecin d’établir le diagnostic. C’est pourquoi les médecins ont une bonne conscience professionnelle quand ils obtiennent les meilleurs résultats possibles, avec le moins de prescriptions possibles. C’est en conformité avec notre déontologie. On doit prescrire avec tact et mesure. On ne peut recommander d’emblée à un patient des examens très onéreux. On est tenu d’interroger la personne, de l’examiner pour savoir de quoi elle souffre. On évite de prime abord, d’exiger des analyses sophistiquées. Dans certains cas on peut se contenter d’examen clinique seulement pour arriver à un diagnostic et proposer un traitement. La médecine avance avec la technologie. Avant l’ère des technologies de pointe, les médecins prenaient le temps d’écouter, d’examiner et de trouver le problème de santé.

Le fait que le médecin ne soit pas assujetti des obligations de résultats ne crée t-il pas désordre vu que le patient ne peut prouver sa culpabilité ?

C’est pourquoi, j’ai dit en premier lieu que la relation médecin malade entre dans le cadre d’un colloque singulier, où le fondement est la confiance. Quand un patient n’est pas satisfait, parce qu’il a lu sur ‘’wikipédia’’ ou un autre site des informations d’ordre médical, cela peut poser problème.

Car c’est le médecin qui lorsqu’il examine le patient, prend l’information qu’il est en mesure d’analyser pour étayer un diagnostic et proposer des soins. On vous écoute, on vous examine, on vous évalue, on prend la tension, la température, on fait des examens localisés, des examens généraux. On fait souvent des examens para cliniques, biologique, radiologique et autres. C’est qu’on a une conviction sur un groupe de maladies, on décide en faisant l’analyse fine d’une maladie. C’est cela le raisonnement médical. L’information qu’on synthétise oriente le médecin. Au fur et à mesure, on fait des analyses, jusqu’à ce qu’on trouve le problème. Donc si on n’est pas médecin, on peut penser qu’il y a erreur. C’est pour que cela, quand ce type de dossier litigieux est porté devant une juridiction, le juge fait appel à un expert. Quelles que soient sa culture générale, ses connaissances, il ne peut pas se prononcer seul dans le domaine médical sans risque d’erreur. Il commet un expert pour être édifié.

‘’On peut ne pas être content d’un résultat, mais on ne peut jamais dire que le médecin a été négligent’’

Qu’en est-il si le patient est convaincu que le praticien est à l’origine de négligences ?

Mais quelle négligence ? Quand par exemple, quelqu’un doit être opéré, on l’examine pour voir s’il est opérable. Il peut subir une anesthésie, être réanimé, réveillé et survivre après. Maintenant, s’il y a dans ce cheminement, des choses qui ne sont pas faites, là on peut parler de négligence. Mais il faut savoir qu’il existe une procédure qui n’est maitrisée que par les professionnels de la santé. On peut ne pas être content d’un résultat, mais on ne peut pas dire que le médecin a été négligent. S’il y a défaillance, cela relève de l’expertise. S’il y fraude fiscale, par exemple, l’expert fiscaliste est le plus indiqué pour l’identifier. Idem pour la santé. C’est un expert médico légale qui peut dire s’il y a négligence, en soulignant que telle procédure n’a pas été respectée, que telle démarche a été sautée. Par exemple : on ne l’a pas anesthésié dans des conditions requises, on ne l’a pas mis en salle de réveil etc. Le médecin doit s’entourer de toutes les précautions. Il doit être prudent. C’est le grand principe de la médecine. Je ne suis pas l’avocat des médecins, mais je ne peux cautionner que des personnes puissent faire des affirmations gratuites.

L’exemple d’une jeune Diourbeloise qui a été amputée des deux jambes par la faute des médecins de garde qui ont préféré regarder leur film est aussi un cas patent parmi d’autres. Comment qualifiez-vous ce genre d’actes ?

Je ne peux pas me prononcer sur ces considérations que je ne maitrise pas. Dans les services de santé, il y a une organisation, des procédures qui peuvent différer selon les niveaux : poste de santé, centres de santé, hôpitaux niveau 1, niveau 2, niveau 3. Chaque établissement a sa configuration, ses moyens d’appréciation. Qu’il y ait dans un secteur, un manque d’organisation, de conscience professionnelle, c’est possible mais je ne peux pas me prononcer dessus.

Votre appréciation sur le sérum glucosé qui a placé bon nombre de diabétiques dans le coma ?

Je n’entre pas dans ces considérations …Je dirai simplement que l’organisation du service public et du secteur privé libéral dans le secteur de la santé devrait être régulièrement revue de sorte que les personnes puissent avoir le maximum de chance de se soigner, d’être prises en charge.

Le droit à la santé, dont l’accès aux soins est un élément fondamental, est d’essence constitutionnelle. C’est l’article 8 de la constitution de 2001. Le Sénégal s’est inscrit avec l’union africaine sur la promotion de la santé, il s’agit de faire de sorte que toutes les populations aient l’accès égal à la santé.

Quand est ce que le patient peut il porter plainte ?

Vous savez, ce que la loi prévoit, c’est quand il y a un conflit, entre un usager de la santé et un membre du corps médical. En ce qui concerne le médecin, on peut porter plainte comme tout citoyen dans deux cas : soit pour demander des sanctions, avec le tribunal répressif ou avec l’ordre des médecins, qui est une organisation administrative et judiciaire ; soit sur le plan de la réparation au niveau du tribunal civil.

Par exemple, s’il y a décès, blessure involontaire avec séquelle, avec invalidité, etc… quand on porte plainte lorsque le dossier arrive chez le juge d’instruction, il commet en général, un expert. C’est lui qui analysera s’il y a réellement eu erreur. Quelqu’un ne peut pas dire que le médecin lui a administré une piqure, il l’a tué.

Comment cet expert est il désigné ?

C’est le juge qui s’entoure de garanties ‘’réglementaires’’, c’est lui qui désigne un expert, en recourant à un homme de l’art qui l’édifie sur la situation. Il faut aussi souligner que les conclusions de l’expert ne s’imposent pas au juge, le juge prend la précaution de demander à la personne experte son avis.

La responsabilité de la structure hospitalière est elle aussi engagée en cas de manquements ?

L’hôpital est en principe garant de la responsabilité civile notamment en cas de manque d’organisation, de la continuité des soins.

. La responsabilité pénale est personnelle et individuelle sauf dans certains cas prévus par la loi. Sur le plan civil l’hôpital est civilement responsable,

Dans vos fréquentes sorties, vous en appelez à la responsabilité médicale vous exhortez le corps médical à plus d’humanisme. Est ce à dire que vous avez eu à constater des manquements ?

Je ne fais que rappeler des règles générales, j’ignore si des confrères en ont fait fi mais le rappel est pédagogique. J’en appelle à davantage de compassion, au respect de la dignité humaine car c’est ce qui est demandé aux médecins.

Le comportement des infirmiers et sages-femmes est souvent dénoncé. Votre point de vue ?

Je dirai que ce sont d’excellents collaborateurs du corps médical. Car le travail médical est un travail d’équipe. Nous sommes interdépendants. Chacun joue un rôle qui est aussi important. Dans le bloc opératoire, on retrouve toute une belle équipe qui cherche à sauver des vies. On opère quelqu’un, il se réveille le lendemain, ce n’est pas évident.

‘’Il ne faut pas confondre la vocation du médecin et l’organisation du système de santé’’

Pourtant, il est aussi reproché à des médecins de rechigner, aux services d’urgences, à porter assistance aux personnes en danger parce qu’ils n’ont pas payé ?

On traite avec la même conscience la personne humaine quelles que soient sa couleur, sa nationalité, sa religion, en temps de guerre, en temps de crise, en temps de paix, c’est cela le code de la santé. Il ne faut pas confondre la vocation du médecin et l’organisation du système de santé.

Dans certaines structures, il est exigé de payer les soins si vous n’avez pas de prise en charge, vous ne pouvez pas être consulté. Mais cela c’est avant que le médecin ne vous voit.

Où est l’humanisme du médecin quand on exige le paiement avant les soins ?

Mais il faut souligner qu’on ne paie pas directement aux médecins, on paie à la caisse de la structure de santé. Donc ce n’est pas l’attitude du médecin qu’il faut remettre en cause, mais l’organisation du système de santé. On nous demande de porter assistance à la personne en péril, par exemple, s’il y a un accident de la route, le médecin qui passe est tenu de s’arrêter et voir s’il n y a pas de mesures d’urgence à prendre. C’est le cas lorsque vous êtes dans un avion, s’il y a urgence et que la santé de la personne nécessite un atterrissage dans les minutes qui suivent, le médecin requis en informe l’équipe. On doit assister la personne en cas d’urgence ou en cas de péril.

La situation financière du patient importe peu ?

Mais le médecin n’encaisse pas. Dès qu’un médecin s’approche d’un patient en péril, il doit lui prodiguer les premiers soins, il le traite de la même façon qu’il soit riche ou pauvre, ami ou ennemi, quelque soit sa religion, sa race. On ne voit que la personne qui souffre.

Le filtre c’est avant l’arrivée chez le médecin. Il ne peut pas savoir si le patient a payé ou pas. Maintenant s’il y a urgence, par exemple, si le médecin voit quelqu’un par terre, il ne va pas se soucier de sa situation financière, il ne regarde pas s’il a payé ou pas. Encore une fois, c’est l’administration comptable qui décide. Il faut lever cet amalgame sur le dos des médecins. On fait porter au médecin des choses qui ne dépendent pas de lui. Mais le médecin doit quand même éduquer son environnement, ses collaborateurs, à reconnaitre les urgences.

Vous disiez à l’entame de vos propos, que la dimension économique est à prendre en considération. Une structure de santé qui traine une lourde dette, avec des agents qui ont du mal à percevoir leur salaire, peut-elle faire prévaloir l’humanisme ?

Je dirai que la santé est un service qui a un coût, l’idéal serait que les individus s’organisent et mettent en avant la solidarité afin que la personne qui en a besoin ait les moyens de se soigner. L’avènement de la couverture maladie universelle laisse entrevoir l’espoir d’assurer une meilleure couverture santé dans notre pays.
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