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Douane, barreau, magistrature, banque...: La revanche des professions "bannies"
Publié le vendredi 12 juin 2015  |  Sud Quotidien




La profession de douanier est bien convoitée aujourd’hui au Sénégal. Cette année, ils sont environ 34 mille candidats à passer le concours. Et pourtant, il y a quelques décennies, la douane tout comme le barreau, la magistrature ou le banquier, étaient des professions stigmatisées à cause des préjugés ou des croyances religieuses et/ou culturelles qui faisaient d’elles les métiers qu’il ne fallait pas du tout exercer. Bon nombre de jeunes ont dû renoncer, à l’époque, à leurs ambitions de devenir magistrat, douanier ou avocat sous l’influence de leurs parents qui avaient une conception négative de ces professions. Aujourd’hui, la réalité, est toute autre car, ces professions jadis stigmatisées sont, aujourd’hui, fortement convoitées.

Au Sénégal, on a constaté que les jeunes se ruent de plus en plus vers des professions comme la douane, la magistrature ou le barreau. Pourtant, il y a quelques années, elles étaient stigmatisées dans notre société, au point que nul ne voulait les pratiquer. En effet, beaucoup de parents s’opposaient au désir de leurs enfants de devenir douanier, avocat, magistrat ou banquier pour la simple raison que ces professions n’étaient pas conformes à nos valeurs sociales et à nos croyances religieuses. Oumar Sène, enseignant à la retraite, fait partie de ceux qui avaient renoncé à leur rêve de devenir douanier un jour, parce que son père y avait opposé un niet catégorique.

« Avant de réussir au concours de l’école normale supérieure, j’avais réussi celui de la douane. Mais, mon père m’avait obligé d’y renoncer parce qu’il pensait, à cette époque, que cette profession n’était pas digne. Il pensait que c’est un déshonneur pour lui de voir son fils saisir le bien d’autrui. Contraint de lui faire plaisir, j’avais décidé, malgré moi, de me lancer dans l’enseignement, qui, à ses yeux, est plus noble », confie M. Sène, avec visiblement beaucoup de remords.

Selon ce retraité rencontré sur l’avenue Cheikh Anta Diop à Dakar, la douane, tout comme la magistrature, sont des professions au même titre que les autres. Mais, soutient-il, c’est la manière dont certains exercent ces métiers qui est décriée au point de susciter l’ire chez les populations. «Vraiment, je ne vois pas de différence entre être douanier, avocat, enseignant ou médecin. Pour moi, l’essentiel c’est de respecter les règles qui régissent la profession et de s’armer de bonne foi. Aujourd’hui, si un de mes enfants s’intéressent à la douane, je vais l’encourager», poursuit-il.

Une idée que partage Awa Diouf, étudiante en Licence 2 à la faculté des Lettres et Sciences humaines de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). Pour cette jeune demoiselle qui rêve de devenir un jour avocate, la vocation et l’amour sont la base de toute chose. «Les gens ont tendance à soutenir que les avocats racontent des mensonges pour défendre leurs clients. Ce qui n’est pas le cas. Les avocats fondent leur plaidoyer sur des arguments solides. Cela n’a rien avec une contrevérité», soutient-il.

Contrairement à elle, Tidiane Ba, étudiant en licence 2 à la Faculté de Droit de l’UCAD, pense que la douane est aujourd’hui la profession la plus prisée par les jeunes au Sénégal. Selon lui, cela s’explique par les opportunités qu’elle offre sur le plan financier. « Nous sommes intéressés par le concours de la douane parce qu’il y a beaucoup d’opportunités. Après la formation, tu disposes d’une voiture et tu es bien payé », explique-t-il. Pour cet étudiant qui a tenté deux fois le concours de la douane sans succès, celle-ci fait partie des rares professions qui nourrissent son homme aujourd’hui. Abondant dans le mêmes sens, Idrissa Diédhiou, étudiant en Master à l’université Gaston Berger de Saint Louis (UGB) et par ailleurs candidat au concours de la douane pour l’année 2014-2015, soutient : «j’ai choisi la douane juste pour me faire fortune. Car, les avoirs se font rares de nos jours. Donc, en quelque sorte, c’est une opportunité et non une vocation pour moi. Mon objectif c’est de trouver mieux».

LIEUTENANT-COLONEL AMADOU GAMBY DIOP, CHEF DU BUREAU DES RELATIONS PUBLIQUES ET DE LA COMMUNICATON DES DOUANES : «Ces appréhensions et craintes n’ont jamais été fondées»

Interpellé sur la question de la stigmatisation dont la douane a longtemps fait l’objet dans notre société, le Lieutenant-colonel Amadou Gamby Diop, Chef du bureau des relations publiques et de la communication des douanes sénégalaises, soutient que ces appréhensions et craintes ne sont jamais fondées. Toutefois, il indique que cela pouvait se justifier par l’ignorance de l’apport de la douane dans l’économie.

« Les appréhensions et craintes n’ont jamais été fondées ». C’est l’avis du lieutenant-colonel Papa Amadou Gamby Diop, chef du bureau des relations publiques et de la communication des Douanes Sénégalaises. Selon lui, cela pouvait se justifier par la réticence historique du fait fiscal par nos sociétés et l’ignorance de l’apport de la douane par une large frange de la population. « Aujourd’hui, cette situation est dépassée, les choix ne sont plus contestés au sein des familles car, les missions douanières sont bien comprises et les populations y adhérent, ce qui justifie le nombre de candidats aux concours de la douane de cette année 2015 à plus de 32.000 », a-t-il fait remarquer.

Le Lieutenant-colonel Diop explique, par ailleurs, que cette ruée vers la douane est peut-être due, au plan national, à la forte demande d’emploi des jeunes qui choisissent la Fonction publique pour sa garantie et sa stabilité et aux possibilités de carrière offertes par l’administration des Douanes. Relevant que l’administration des Douanes contribue à plus du tiers du budget national, il soutient que sa place dans l’Economie nationale est centrale et reflète ses principales missions fiscales, économiques, sécuritaires. «Les recettes douanières, je le rappelle, contribuent à plus du tiers du budget (plus de 550 milliards en 2014). De par la mise en place de mesures incitatives pour les entreprises, telles les régimes économiques douaniers et les programmes particuliers (Programmes de partenaires privilégiés) », a-t-il fait savoir.

Et de poursuivre : « La douane concourt aux autres administrations, de par sa présence aux frontières, le service des douanes requiert, pour bien des cas, la production d’un certain nombre de documents pour l’importation de certaines marchandises : Dipa pour les produits alimentaires, Certificats zoo-sanitaires pour les animaux et phytosanitaires pour les produits du règne végétal. Sécurisation de la chaine logistique internationale, afin d’empêcher l’action néfaste des réseaux criminels sur le Commerce et globalement sur l’Economie ».

OUSMANE NDIAYE, SOCIOLOGUE CHERCHEUR : «Aujourd’hui, l’essentiel, c’est d’engendrer des revenus»

Autrefois, des professions comme le douanier, l’avocat, le banquier étaient stigmatisées dans la société sénégalaise. Actuellement, nous constatons qu’elles sont de plus en plus prisées par les jeunes qui les convoitent de plus en plus.
Dans toutes les sociétés, il y a un schéma d’organisation sociale, politique mais également économique. Un schéma autour duquel toute la superstructure organisationnelle se repose. Dans nos sociétés, cette organisation que nous pourrions qualifier de société d’ordres tend vers la modernité caractérisée par l’autonomisation croissante de l’économie.

Ce nouvel ordre structurel basé sur la valeur «argent» entraine une redistribution des positions sociales que jadis conféraient d’autres valeurs telles que la naissance, la morale, le courage, etc. Donc les relations économiques sous-tendent aujourd’hui les rapports sociaux. Dans cette dynamique d’organisation et d’ajustement des conceptions, le travail y occupe une place essentielle, il est non seulement la source principale des revenus et autorise l’accès à la consommation, mais elle est également la voie principale de l’insertion sociale. Donc, quel que soit la nature de la profession exercée, l’essentiel aujourd’hui, c’est qu’elle puisse engendrer des revenus suffisants qui soient en mesure de nous hisser dans les hautes sphères de la hiérarchie sociale.

Selon vous, qu’est ce qui expliquait cette stigmatisation?

Dans la société d’ordres que nous avons évoquée, l’on ne parlait pas de valeurs «argent» mais de valeur travail. En effet, le travail était considéré comme activité humaine, ayant une valeur sociale et des ramifications symboliques car, pour exister socialement, il fallait faire la preuve de son utilité, de sa compétence et de sa probité morale. Donc ici, l’intégration dans le monde du travail par une profession respectable entraîne la constitution de liens sociaux par l’inscription dans des groupes mais aussi symbolique par les normes et les valeurs communes qui sont construites socialement. Ainsi, par la profession qu’il exerce, l’individu participe aux normes et modèles ce qui contribue à fasciner son identité. Dans cette logique, les professions qui ne répondent pas à ce besoin d’identité, d’intégration sociale et symbolique et d’intégrité morale étaient peu valorisées, les métiers que vous avez cités peuvent être logés dans ce dernier groupe contrairement aux métiers de médecin, d’enseignant etc.

Quid de la ruée des jeunes vers ces professions ?

Dans la société de la valeur «argent» les jeunes s’émancipent de plus en plus du déterminisme de certaines croyances selon lesquelles certains métiers seraient plus valeureux que d’autres. La situation actuelle modifie le rapport de l’individu à sa profession et celui de la société aux différentes professions. Le travail salarié a perdu son caractère d’intégration symbolique, il est juste un moyen de gagner sa vie, de subvenir à ses besoins, ce qui permet d’accéder à certaines sphères. La société actuelle demande aux jeunes de se faire de l’argent, beaucoup d’argent, quitte à se noyer sur les larges de la méditerranée, à recevoir des coups dans une arène de lutte, à mentir, à voler etc. Cette société ne juge plus l’individu par ses qualités intrinsèques et la valeur symbolique de son activité professionnelle, mais plutôt par sa capacité à dégainer pour régler des problèmes financiers « Dokk buumu gacce yi » (ndlr- résoudre les problèmes en Wolof)

OUSTAZ ALIOUNE MBAYE, PRECHEUR A LA RADIO SUD FM : «La société actuelle juge l’individu sur son activité professionnelle»

Des métiers comme la douane, le barreau (avocat) et la collecte d’impôts n’étaient pas très bien acceptés dans la société sénégalaise. C’est pour cette raison d’ailleurs que les gens pensaient que ces professions n’étaient pas conformes aux préceptes de l’Islam. Cette précision est de Oustaz Alioune Mbaye, prêcheur à la radio Sud Fm. Selon lui, ces métiers sont bien nobles et répondent bien aux préceptes de la religion musulmane.

Toutefois, il souligne que c’est la manière de faire qui est décriée par l’islam. « Parfois, c’est la manière dont certaines personnes exercent ces professions qui est décriée par l’Islam. Par exemple, un douanier qui saisit de la marchandise frauduleuse, si toutefois au lieu de signaler cette marchandise à son supérieur, il l’amène chez lui, cela devient de l’usure (« Riba » en Arabe). Ce qui ne participe pas au développement de l’économie nationale», explique-t-il. A l’en croire, quelque soit le travail exercé, l’individu est contraint par l’Islam de respecter les chartes qui le régissent. « Si toutes les règles sont respectées, l’Islam ne voit pas d’inconvénients à pratiquer ces métiers », a-t-il conclu.

PERE ARNEL DE L’EGLISE DE BOUNTOU PIKINE : «Il y a un risque de corruption et de mensonge avec ces professions»

«Il y a un danger dans l’exercice de ces professions dans la mesure où du coté de la douane, ça touche à l’argent et du coté des avocats et magistrats, cela touche à la parole et à la vérité. Donc, ce sont des métiers qui risquent d’être dangereux car entrainant vers la corruption ou le mensonge». Ces propos sont du père Arnel de l’Eglise de Bountou Pikine.

Il précise d’ailleurs que ces professions demandent davantage de sérieux et d’engagement. Il explique le fait que ces professions soient aujourd’hui convoitées par les jeunes emportés par le matérialisme. «Beaucoup d’étudiants s’orientent vers ces professions parce qu’ils pensent que cela va leur rapporter de l’argent. Nous sommes dans une société pauvre où l’argent prend de plus en plus une place importante. Même dans les groupes religieux, on pense à l’argent beaucoup plus qu’à construire le pays. Il y a la corruption, les détournements d’argent. On a l’impression que tout le monde vit pour l’argent», a-t-il constaté.

En revanche, le père Arnel trouve qu’il existe des douaniers et des avocats très sérieux. « Il ne faudrait pas généraliser. Malheureusement, il y a des brebis galeuses partout. Certains avocats et douaniers sont très sérieux dans l’exercice de leur profession au moment où d’autres pensent plus à l’argent et à leurs intérêts personnel qu’au bien commun et au service du pays. Je pense que ce n’est pas la majorité, mais comme le dit le proverbe, une pomme de terre pourrie peut pourrir tout un sac», se désole-t-il.

Pour remédier à cela, le père Arnel préconise le renforcement de la formation technique par une formation morale et civique. «Dans la formation qu’on leur donne, on ne peut pas se limiter uniquement à une formation technique mais on pourrait la renforcer par une formation morale et civique. C’est vrai, non seulement pour les douaniers et avocats, mais aussi pour tous les citoyens», suggère-t-il.
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