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Reportage sur l’Université de Thiès : Un fantôme dans la Cité du Rail
Publié le lundi 1 juin 2015  |  Le Quotidien




L’Université de Thiès existe-t-elle ? Une question d’autant pertinente que les locaux dudit établissement d’enseignement supérieur sont éparpillés un peu partout à travers la Cité du Rail. Le Quotidien au cœur de ce campus éclaté ! Bienvenue dans ce célèbre et énigmatique temple du savoir.

La Voie de contournement nord (Vcn), un chemin détourné contournant la ville de Thiès sur sa partie nord pour rallier la nationale 3, s’étale à perte de vue. Sur son flanc gauche, juste à hauteur de l’Ecole polytechnique, se dresse l’Université de Thiès en plein cœur du quartier Sapco. Le site abrite deux unités de formation et de recherches : Les Ufr Sciences économiques et sociales (Ses), Sciences et technologies (Set). Sur l’enseigne aux peintures bleu-ciel frappées des couleurs de la patrie sur ses extrémités, on lit : «Université de Thiès». Hormis ces détails, rien n’indique à l’étranger qui passe pour la première fois qu’il a en face de lui une université. Les rues sont désertes. Le sable sec. Le temple du savoir étrangement vide. D’apparence terne, l’Ut n’a rien d’une oasis. Elle semble plutôt afficher une mine désaffectée et inquiète. Loin de la tension qui y règne depuis un mois, l’ambiance à l’Université de Thiès est glaciale, pas un bruit ne trouble le silence. Un silence de cathédrale enveloppant les deux pavillons qui meublent le décor. Au centre du dispositif, le restaurant universitaire, l’infirmerie, le terrain de foot et la mosquée font face à la cantine universitaire. Les salles de classe, la bibliothèque, la salle informatique et le bloc administratif donnent au lieu un semblant d’âme. Plus loin, le bloc administratif de l’Ufr Set en construction s’ajoute au décor. Ce bref tour d’horizon est stoppé net par le mur qui sépare l’université de l’Ecole polytechnique que les étudiants avaient baptisé «le mur de la honte».
Il est 14 heures lorsque Boubacar Sylla vient à notre rencontre. Son regard clignant sous les rayons d’un soleil accablant et exténuant perçoit à peine la main qu’on lui tend. Vêtu d’une chemise «prêt du corps», le jeune homme de 24 ans, air patriarcal, semble, depuis le début des manifestations, tout décidé à mener à bon port ses camarades. Indiquant le chemin, il marche tête baissée en proie à une sarabande d’idées confuses et de sentiments contradictoires. A la question de savoir si le combat sera mené jusqu’à terme, l’étudiant sort de sa torpeur. «Oui demain (mercredi 27 mai), nous allons faire une marche. Le préfet nous a autorisé à dérouler notre manifestation sur le parcours allant de l’université au stade Maniang Soumaré.» Un mois déjà que la crise perdure, point de pourparlers, aucune raison de baisser les bras. «Nous allons continuer jusqu’à avoir gain de cause, ça c’est sur», dit-il fermement tout en montant les escaliers. A sa suite, il fait visiter sa chambre qu’il partage avec 6 autres étudiants. Il est au n°41. A l’entrée se trouvent les toilettes, au fond de la salle deux lits font face à deux armoires de cinq compartiments chacun. «J’ai quelques pincées de sel à jeter dans la marmite, si toutefois vous voulez bien de mon sel», dit son camarade de chambre, Serigne Khawsou Dieng. Assis sur son lit, Khawsou mâche et remâche ce qu’il appelle «l’insulte» de l’Etat à la ville de Thiès. «Il y a une insécurité totale à l’Ut. L’université n’a pas de mur de clôture. Des bergers laissent leur troupeau divaguer à longueur de journée dans le campus social.» Et de poursuivre dans sa diatribe : «La bibliothèque universitaire ne peut même pas contenir 30 étudiants, sans compter la salle informatique qui n’est pas fonctionnelle. Notre terrain de foot est dans un piteux état. La connexion wifi, n’en parlons pas. Nous sommes absents du réseau depuis janvier.» Son camarade Boubacar Sylla renchérit : «L’é­clairage est absent au niveau du campus pédagogique et à l’infirmerie il n’y a qu’un seul lit. La pharmacie est inexistante.» Un tour au campus social permet de se rendre compte que sur les deux pavillons, 1 147 étudiants squattent 53 chambres pour un total de 200 lits. «Parfois, nous sommes à 10 dans une chambre.» Cependant, il y a un léger mieux au niveau du restaurant. «Les repas sont acceptables depuis que nous avons mis la pression sur le Coud parce qu’avant le repreneur nous servait du n’importe quoi.» Derrière le restaurant, l’amphithéâtre. «Le seul espace qui nous sert d’amphithéâtre c’est une des salles du restaurant universitaire. Il y a deux grandes salles pour le restaurant, nous avons pris l’une d’elle pour faire des cours le matin. Après 18 heures, nous rangeons les tables pour la transformer en salle de sport plus précisément de gym et de taekwondo. Quant aux basketteurs, ils vont jusqu’à l’Enoa ou le stade Lat Dior. Voilà le décor.»

Le mur de la honte
Le soleil était au zénith. Les salles de cours ? Simplement incroyable ! Des salles exiguës et meublées de tables comme on en trouve dans les salles de classe du cours élémentaire. «Nous avons 13 salles de classe pour l’ensemble des deux Ufr. Notre université donne tout l’air d’une école élémentaire voire une garderie d’enfants», dit, ironique, l’étudiant en Management des organisations. Et pour donner crédit à ses paroles, l’étudiant pointe du doigt le tableau noir. «Vous voyez ! On travaille sur des tableaux noirs avec de la craie comme dans les écoles primaires. Il n’y a même pas de ventilation dans ces salles encore moins de prise pour brancher nos machines», s’étrangle cet étudiant.
Sur la qualité des enseignements, il perd presque son latin. «Nous n’avons qu’un professeur agrégé à l’Ufr/Ses, cinq doctorants et une trentaine de vacataires. Ce n’est pas sérieux.» Un tableau assez sombre auquel viennent s’ajouter les difficultés inhérentes à la mobilité des étudiants en Master 1. Le cas de Alioune Ndiaye est à cet effet très éloquent. C’est à bord d’une moto-Jakarta que ce dernier confie amer : «A partir du Master, nous n’avons plus droit au logement. Nous sommes alors obligés de dépenser 700 voire 1 000 à chaque fois que nous devons venir faire nos cours.»
A l’image de l’Ufr Ses et Set, l’Ufr des Sciences de l’ingénierie ne se porte pas mieux. Ses locaux sont dispersés dans la ville de Thiès. L’Ufr des Sciences de la santé, quant à elle, loge ses étudiants dans des bâtiments en location contrairement à l’Ensa où les étudiants sont au régime d’internat. Mais là aussi, la vétusté des installations est très avancée. Un campus social surpeuplé, des laboratoires non fonctionnels, des salles de cours limitées. C’est l’image qu’offre l’Ecole nationale supérieure d’agriculture de Thiès. Vieille de 30 ans, l’Ensa est aujourd’hui dans un piteux état. Selon Thierno Ba, président de l’Amicale des élèves ingénieurs, le principal problème dans cet établissement agronome est que «l’offre est supérieure à la demande. Car depuis 1981, date de la création de l’établissement, l’Ensa n’a pas changé en termes de constructions et d’infrastructures. Sa capacité d’accueil initiale est de 150 élèves étudiants, et aujourd’hui nous en sommes avec un effectif de 230. C’est pourquoi nous aurons de sérieux problèmes dès la rentrée prochaine pour ac­cueillir les 60 nouveaux élèves ingénieurs en première année, sans compter les professionnels du 3ème cycle», renseigne l’ingénieur en herbe. Pour lui, c’est une urgence qu’il faut régler pour pouvoir entamer le processus de montée en puissance enclenché par l’Etat du Sénégal. Pis, ajoute-t-il, «il n’existe pas à l’Ensa une salle qui peut contenir plus de 40 élèves ingénieurs. Une situation à laquelle vient s’ajouter le manque criard de matériels et de techniciens en informatique. L’Ensa dispose de quatre laboratoires non fonctionnels à cause d’équipements vétustes alors que ces derniers sont incontournables dans la formation d’ingénieurs agronomes. Nous avons aussi besoin de techniciens de laboratoires pour accompagner les élèves ingénieurs dans leurs travaux pratiques». De l’avis de ces élèves ingénieurs, la formation agronomique est importante pour l’économie sénégalaise, mais il faudrait, selon eux, des mesures d’accompagnement pour éviter la disparition des écoles d’ingénieurs. «Si on assimile ces écoles à des facultés ou des Ufr, nul doute que leur disparition est imminente.» Aussi, demandent-ils, «nous voulons des conditions adéquates tant sur le plan pédagogique que sur celui social pour le rayonnement de l’école. L’Ensa peut faire mieux que l’Université du Sine Saloum parce qu’elle a l’expérience et l’expertise requises. Tout ce qu’elle demande c’est d’être équipée». Pour eux, l’Ensa est bien partie cette année en élaborant un plan quinquennal 2014-2019 stratégique qui, à terme, va permettre à l’école de produire plus de 500 ingénieurs agronomes par an.

Resto transformé en amphi
Que dire des instituts de l’Ut qui souffrent littéralement dans leur chair. L’Institut universitaire de technologie (Iut), niché dans un bâtiment en plein cœur du centre ville, offre un visage peu reluisant. Spécialisé dans la formation de géomètres en Génie civil, Bâ­timents et travaux publics, Génie électrique et informatique entres autres, l’institut connaît des conditions d’études «exécrables», selon Mamadou Babacar Ndiaye. Ce professeur en Génie civil, spécialisé dans les matériaux, ne fait pas dans la langue de bois. Il dit : «Si vous regardez, le bâtiment où nous sommes est à usage d’habitation. Il n’est pas adapté à des cours de Technologie. Nous avons besoin d’une forte électricité, mais aussi de salles de travaux pratiques et de cours magistraux. Or, nous ne disposons que de chambres réaménagées pour faire nos cours. Sans compter les conditions de sécurité qui ne sont pas des meilleures…» Choqué, il dit : «Nous avons aménagé ici à titre provisoire depuis 2010. Pour le moment, les travaux pratiques se font soit au lycée technique soit à l’Ecole polytechnique de Thiès. Nous n’avons pas d’amphithéâtre et sommes obligés donc de travailler avec des effectifs très réduits de 25 à 30 étudiants. Les conditions de travail sont simplement exécrables», répète le coordonnateur du Saes de l’Ut. Il ajoute : «Certains étudiants habitent jusqu’à Nguinth. Ils viennent ici faire cours de 8h 30 à 18h 30. Pendant la pause, entre 12h 30 14h 30, ils sont obligés d’aller dans la gargote du quartier pour manger et revenir. C’est vraiment dur.» Il poursuit dans ses explications : «Les bâtiments qu’on a construits sur la Vcn ne sont même pas dignes d’une école élémentaire. Le coût total n’atteint même pas le milliard de francs Cfa.» A côté, il y a l’Institut supérieur de l’enseignement professionnel (Isep) qui vient d’être créé et qui bénéficie de plus de 7 milliards pour sa construction. Une enveloppe qui ne tient pas en compte le volet équipement. Quid de Sine Saloum et de l’Université de Dakar 2 qui vont coûter chacune 30 milliards et dont les constructions ont démarré ? C’est ce manque de considération qui explique la colère des enseignants, étudiants, personnel administratif. «Bref, c’est la communauté universitaire qui s’est levée pour dire à l’Etat de l’édifier sur les raisons de ces manquements. Tout ce que nous voulons, c’est que les travaux démarrent à l’Ut. Nous ne voulons pas savoir si c’est un marché qui n’a pas abouti ou des appels qui ont été rejetés. Ce n’est pas notre problème. Les détails ne nous intéressent pas. Il faut que l’Etat se débrouille comme il s’est arrangé pour que la construction des autres universités commence afin que notre université soit construite. Nous voulons que l’Etat bouge. Car nous risquons de ne pas être une université de classe mondiale.» Et de conclure pour dire que «l’Ut est oubliée dans le Programme de développement de l’enseignement supérieur et de la recherche 2013-2022. Cela veut dire qu’a l’horizon 2022, quand les autres universités auront 30 mille étudiants, nous risquons d’avoir encore 7 000 et demeurer une université de seconde zone. Nous sommes à 3 500 étudiants dans toute l’université. Et si on continue à ce rythme, on ne pourra jamais atteindre de grands effectifs puisque les salles sont exiguës. La conséquence étant que pour l’organisation des enseignements, c’est la croix et la bannière. Nous voulons un plan d’urgence pour régler le problème en termes d’infrastructures. Une dotation annuelle de 10 mil­liards par an pendant 6 ans pour construire et équiper les Ufr, écoles et instituts». L’étudiant en Géo­mé­trie, trouvé à lentrée de l’institut, ne dit pas autre chose. Nonchalant, il cite les maux dont ils souffrent : «Nous sommes dans cette situation informelle qui fait que nous n’avons pas de salles de cours. 10 chambres sont transformées en salles de cours alors que nous avons d’excellents résultats. Nous n’avons même pas de campus alors qu’on dit que nous sommes dans une université», se désole-t-il. Oui : c’est le temple du savoir...
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