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La longue marche du mouvement syndical au Sénégal: Syndicalisme "politique"
Publié le vendredi 1 mai 2015  |  Sud Quotidien
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© aDakar.com par DF
Les centrales syndicales ont célébré la fête du travail
Dakar, le 1 mai 2014- Quatre centrales syndicales ont tenu un grand rassemblement, jeudi au stade Demba Diop, en lieu et place du traditionnel défilé marquant la fête internationale du travail.




Le Sénégal a connu une histoire syndicale très riche. Des leaders syndicaux ont ainsi fait le tour du syndicalisme dans notre pays d’hier à aujourd’hui. Ils ont rappelé le contexte d’hier marqué surtout, avant les indépendances, par une lutte pour l’émancipation des pays Africains. A la suite des indépendances, il y aura un rapprochement du pouvoir politique avec les différents syndicats qui vont s’émietter au gré des changements de régime. Avec jadis un syndicalisme de participation responsable, le Sénégal va connaitre un morcellement syndical né à la faveur de l’ouverture démocratique de 2000. Cette secousse du monde syndical, avec l’avènement des libéraux au pouvoir, va installer l’opportunisme syndical et le clientélisme politique.

L’environnement syndical Sénégal s’est aujourd’hui enrichi. Mais cela est passé par un long processus de lutte que nous rappellent ici de grandes figures du syndicalisme de notre pays.

LE SYNDICALISME D’HIER A AUJOURD’HUI

« Au cours de l’histoire, les syndicats ont participé aux différentes luttes pour la conquête des libertés et de l’indépendance en Afrique. Chemin faisant, nous avons donc vu plusieurs formes de syndicalisme. Comme vous le savez, la CNTS qui a été créée sur les flancs de l’UNTS avait même mis dans ses textes la participation responsable », nous explique Mody Guiro, secrétaire général de la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal (CNTS). Pour Mamadou Diop Castro, « il faut remonter plus loin avec la contribution décisive des syndicats dans le processus de libération de l’Afrique quand les syndicalistes et les politiques avaient fait bloc contre le pouvoir colonial ». Selon lui, « dans beaucoup de pays, des syndicalistes étaient à l’avant-garde et ont même dirigé les pays ». C’est le cas du Président Ahmed Sékou Touré de Guinée, comme nous le rappelle Cheikh Diop, secrétaire général de la Confédération des travailleurs du Sénégal/Forces du changement (CNTS/FC). « L’implication de la classe syndicale africaine aux côtés des politiques a été pleine et entière au point que certains syndicalistes ont eu à prendre la direction des luttes de libération et au terme desquelles ils ont été élus chefs d’Etat de leur pays. Je peux citer Ahmet Sékou Touré de la République de Guinée, Maurice Yaméogo de la Haute Volta (devenue Burkina Faso) et Félix Houfouët Boigny, secrétaire général du syndicat des planteurs ivoiriens, devenu Président de Côte d’Ivoire », a soutenu Cheikh Diop.

Toutefois, un peu après les indépendances, la démarcation avait commencé. Mamadou Diop Castro nous apprend que le Sénégal a vécu une expérience tragique avec la confrontation entre le pouvoir et les organisations syndicales avec la théorie de Mamadou Dia sur la construction nationale qui stipulait que les syndicats devaient appuyer le nouveau pouvoir dans la construction du pays. « Le mouvement syndical avait refusé et la grève a été sauvagement réprimée avec des milliers de travailleurs qui ont été licenciés. A partir de ce moment, il y a eu des syndicalistes qui avaient accompagné le pouvoir et d’autres qui étaient déterminés pour l’autonomie syndicale. C’est à ce niveau que le premier syndicat de l’enseignement laïc a connu la première scission opérée par le pouvoir politique », nous apprend Mamadou Diop Castro. Avant de poursuivre : « Nous allons connaître une autre situation en 1968 avec le pouvoir qui va mettre en place la CNTS. Et Senghor va théoriser la participation responsable. En face, il y aura des syndicats autonomes. L’UNTS va survivre jusqu’à sa dissolution et plus tard l’UTLS va naître ».

ENJEUX DE LA PARTICIPATION RESPONSIBLE

Selon Cheikh Diop, secrétaire général de la CNTS/FC, l’implication des syndicalistes dans la vague de contestation estudiantine au Sénégal en Mai 68, une agitation sociale de grande envergure, avait failli faire basculer le régime du Président Senghor. « Les conséquences de ces évènements sur le mouvement syndical ont été sans précédent avec la dissolution de l’Union Nationale des Travailleurs du Sénégal (UNTS), creuset du mouvement syndical Sénégalais après l’indépendance. Dès lors, le régime de Senghor intègre définitivement le contrôle des forces syndicales dans sa politique de gestion du pouvoir. C’est la naissance de la participation responsable », soutient-il. Pour ce qui est des enjeux de la participation responsable, Mody Guiro explique que le concept « était donc introduit pour dire que les syndicalistes n’étaient pas seulement là pour revendiquer, mais également c’étaient des partenaires à part entière qui pouvaient donc participer à la construction nationale ». A cet effet donc, dit-il, « les syndicalistes devraient être associés dans la réflexion de la mise en œuvre des différentes politiques ». Cette position, de son point de vue, a fait « en sorte que les syndicats puissent également être intégrés et avoir en contrepartie un quota au niveau des structures représentatives telles que l’Assemblée nationale, et même au niveau du gouvernement ».

Plus tard, le concept de participation responsable a pris une dimension qui ne cadrait plus avec l’évolution, et la prise en charge des travailleurs. « C’est ainsi qu’il y a eu le renouveau syndical qui a été prôné par feu Madia Diop, parce qu’en réalité c’était une participation partageuse où les gens étaient là plutôt pour leurs intérêts et non pour l’intérêt global. Dans les premiers termes, le secrétaire général de la CNTS pouvait être membre du Gouvernement », explique Mody Guiro. « Et quand vous êtes membre du Gouvernement, vous êtes tenu par la solidarité gouvernementale. A partir de là le renouveau syndical a mis fin à la possibilité pour un responsable syndical d’être membre d’un gouvernement », poursuit-il même s’il avait la possibilité, toujours selon lui, d’être membre de l’Assemblée nationale où sont votées les lois et les différentes politiques. « Donc si les syndicats sont présents au sein de l’hémicycle, ils sont informés des lois anti sociales qui vont passer. Et s’ils ne sont pas dedans, quelque chose peut les échapper. Voilà l’évolution qui a amené la rupture. C’est en 2002 que nous avons changé les statuts de la CNTS pour enlever le statut d’affiliation de la CNTS », déclare le secrétaire général de la CNTS.

POUVOIR ET SYNDICATS

La CNTS était affiliée au Parti socialiste (Ps) avec le concept de participation responsable. « Nous allons connaître cette situation jusqu’en 2000, et la participation déclarée va disparaitre. Aucune centrale syndicale ne va se proclamer participationniste, mais dans la pratique des syndicats se référaient au parti au pouvoir. C’est ce que nous appelions la participation responsable déguisée. Et l’éclatement de la CNTS est passé par là », a signalé Mamadou Diop Castro. « La CNTS ne se réclamera plus de son affiliation au parti socialiste et la CNTS/FC ne va jamais se déclarer affiliée au parti démocratique sénégalais, mais dans la pratique et la ligne de ces syndicats, on n’est pas loin de la participation responsable. Il y aura donc la cohabitation entre des syndicats influencés de manière ouverte par les pouvoirs et d’autres qui le seront de manière plus insidieuse et des syndicats qui vont se réclamer de l’autonomie syndicale », rappelle-t-il. « En réalité les conditions de développement du pays ont favorisé une telle situation. Les syndicats n’ont pu s’adapter à l’environnement politique qui s’est considérablement modifié pour conserver leur indépendance vis-à-vis des forces politiques. Dans beaucoup de pays également, c’est au lendemain des alternances que les syndicats forts qui existaient ont éclaté, comme au Mali, comme au Niger », déclare-t-il. Et de préciser que « même les nouveaux pouvoirs issus de la Gauche ont contribué à faire éclater les syndicats en voulant influencer les syndicats ou avoir des syndicats d’obédience ». Pour Mody Guiro, les syndicalistes sont d’abord des militants des partis politiques. « Mais ce qui est important c’est que les leaders syndicaux comprennent que les mots d’ordre doivent venir de leurs militants et non des partis politiques », dit-il.

EMIETTEMENT DES SYNDICATS

Mamadou Diop Castro n’a pas mis de gants pour décrire les raisons qui sont à l’origine de l’émiettement des syndicats au Sénégal. « Aujourd’hui la situation est plus complexe avec la prolifération des centrales syndicales. Il y a toutes les couleurs à l’intérieur. Une prolifération à outrance, en particulier dans le secteur de l’éducation où il y a plus d’une quarantaine d’organisations syndicales avec vingt centrales syndicales », fait-il. « Il d’abord déplorer la fragmentation des syndicats sénégalais. Il y a énormément de syndicats. Les élections de représentativité étaient destinées à régler ce problème, pour mettre des normes au dialogue. Je pense que nous tous avons intérêt à avoir des syndicats représentatifs et crédibles », a signalé Mody Guiro.

MARQUE D’ UNE FAILLITE ?

« Disons que le syndicalisme n’a pas pu s’adapter. La première secousse syndicale a été ressentie avec l’ouverture démocratique. Ensuite, 2000 va être un tournant avec l’avènement du régime libéral au pouvoir. C’était un développement extraordinaire du mouvement syndical. Des syndicats vont être créés par des partis politiques, d’autres vont imploser parce que tout simplement il y a l’interférence politique, la perversion politique ou des ambitions crypto personnelles », soutient Mamadou Diop Castro. « Le syndicalisme affairiste s’est développé avec l’interférence du politique. Ce qui est favorisé par le processus de démocratisation du pays. Les conditions de création de syndicat se sont améliorées et l’entrave à l’exercice du droit syndical est allégée. L’opportunisme syndical va s’installer, le clientélisme politique également », explique-t-il. « Tout cela a concouru au morcellement syndical, soit pour des raisons politiques, soit pour des raisons de démocratie interne, soit parce que simplement le processus de démocratisation a favorisé l’émergence de nouveaux syndicats », fait-il.

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