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Moussa Diaw (enseignant - chercheur en science politique à l’Ugb: ‘’Le Pds risque de ne pas présenter un candidat en 2017 si…’’
Publié le samedi 28 mars 2015  |  Enquête Plus
L`effervescence
© aDakar.com par DF
L`effervescence au siège du Pds à la veille de l`arrivée d`Abdoulaye Wade
Dakar, le 23 avril 2014- Les responsables et militants du parti démocratique sénégalais se mobilisent pour réserver un accueil exceptionnel à leur leader Abdoulaye Wade. L`ancien président sénégalais est attendu à Dakar, le mercredi 23 avril dans l`après midi. Déjà au siège du Pds, c`est l`effervescence. Photo: Oumar Sarr, coordonnateur du PDS




Enseignant-chercheur à l’Ufr sciences juridiques et politiques de l’université Gaston Berger de Saint-Louis, Moussa Diaw passe au laser la situation au Parti démocratique sénégalais. Dans cet entretien accordé à EnQuête, il décrypte la volonté du Parti démocratique sénégalais de faire de Karim Wade son principal candidat en 2017. Même si cette décision est faite à dessein, l’analyste politique pense que le Pds court le risque de ne pas présenter un candidat à la prochaine élection présidentielle.



Le Pds a décidé, à l’issue de son comité directeur d’avant-hier (mercredi), de maintenir Karim Wade comme son seul candidat en 2017, malgré le verdict de la CREI qui le condamne à six ans de prison ferme. Comment analysez-vous cette posture?

A mon avis, cela rentre dans une stratégie globale du Parti démocratique sénégalais (Pds) à s’opposer au pouvoir. Le fait de choisir Karim Wade comme candidat du parti libéral avant d’avoir le verdict de la Crei est volontaire et est décidé dans une logique symbolique. Symboliquement, c’est quelque chose d’important et cela permet moralement aux libéraux de maintenir le cap et de maintenir le combat politique pour la libération de leur candidat. Mais à mon avis, cela ne change rien dans le contexte politique actuel et dans la décision de la majorité à moraliser l’arène politique sénégalaise.

Est-ce que cette posture n’est pas en soi un pari risqué pour le Pds ?

C’est un pari risqué parce qu’ils savent bien que leur candidat désigné est sous le coup de la loi. Mais dans le fond, il y a un pourvoi en cassation au niveau de la Cour suprême qui va examiner le dossier à son tour pour voir si le droit a été dit, même si elle ne va pas rejuger l’affaire. Mais pour eux, c’est risqué parce que si jamais cette condamnation est maintenue, leur candidat risque d’être disqualifié. Mais les libéraux ont bon espoir de continuer la lutte et symboliquement, cela les conforte dans leur position. Mais politiquement, c’est très risqué.

Que risque le Pds dans tout cela ?

Le risque, c’est de ne pas avoir un autre candidat à la prochaine élection présidentielle ou d’attendre la veille des échéances pour se trouver un candidat qui n’aura pas le temps d’asseoir sa stratégie de conquête du pouvoir. Les libéraux perdent de vue la dimension politique de cette affaire. C’est aussi prendre le risque de se focaliser sur cette affaire plutôt que de réorganiser leur parti, faire en sorte que le Pds soit mieux organisé, mettre en place des structures et puis, faire des primaires pour un autre choix de candidat. Cela semble beaucoup plus pragmatique et pratique pour jouer un rôle dans l’approfondissement de la démocratie sénégalaise. Cela est plus important que de se focaliser sur un candidat emprisonné.

Est-ce qu’avec ce verdict de la Crei, les plans d’Abdoulaye Wade ne sont pas perturbés ?

C’est un verdict qui perturbe tout le monde. Me Abdoulaye Wade est un avocat, il connaissait bien la situation mais peut être qu’il ne s’attendait pas à un tel verdict. Mais c’est un risque énorme qui a été pris et ça perturbe aujourd’hui le Pds. L’autre problème, c’est que tous les efforts ont été cristallisés sur un candidat plutôt que de prendre dès le début le soin de réorganiser le parti, remobiliser les militants autour d’un projet alternatif et faire en sorte que le Pds soit le principal parti d’opposition, et puis chercher un candidat parmi les leaders de ce parti. Ce serait la position la plus réaliste si l’on veut jouer un rôle dans la démocratie sénégalaise plutôt que de mener un combat qui risque d’être perdu d’avance.

Au cas où Karim Wade est maintenu en prison, le Pds menace soit de boycotter la prochaine présidentielle, soit d’empêcher tout simplement sa tenue. Est-ce, selon vous, la meilleure conduite ?

A mon avis, cela n’est pas une bonne solution. Le boycott n’a jamais été une meilleure solution. On ne peut s’inscrire dans cette logique et obtenir gain de cause. Je pense que d’ici aux prochaines échéances politiques, ils auront le temps de bien réfléchir pour mieux affûter leur stratégie. Ce que dit le Pds n’est pas valable. Il faut nécessairement choisir quelqu’un d’autre. Si on fait une comparaison avec ce qui s’était passé en France avec l’affaire Dominique Strauss-Kahn qui était le meilleur candidat de la gauche, quand il a été confronté à un problème avec la justice, on a vite trouvé un autre candidat en la personne de François Hollande. Je pense que la réflexion des partis politiques doit être approfondie.

Si on veut organiser l’espace politique sénégalais, il faut d’abord se restructurer au niveau des partis politiques, faire en sorte qu’il y ait une certaine organisation dans le cadre de la démocratie plutôt que d’inciter à la violence, de mener des rapports de forces qui ne vont pas aller loin. Je pense qu’on peut rendre mieux service à la démocratie sénégalaise quand tous ces partis prendront conscience de la nécessité de jouer un rôle dans un cadre institutionnel et politique conforme aux principes de la démocratie, et de réfléchir sur une autre façon de faire de la politique plutôt que de se mener des combats politiques qui risquent de générer de la violence, de déséquilibrer ou de déstabiliser un Etat. Il faut oser poser les vrais problèmes, les problèmes de fond pour l’intérêt du pays.

Le débat sur l’éligibilité de Karim Wade se pose au sein de l’arène politique sénégalaise. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Karim Wade est un Sénégalais comme tous les autres. Et ce débat sur son éligibilité rentre dans une logique de contradiction, de débat et de combat politique par les uns et les autres. Je pense que pour l’instant, le problème ne se pose pas. Il faut attendre la décision définitive de cette affaire et à partir de ce moment, on verra s’il pourra se présenter aux prochaines joutes électorales. Il faut attendre qu’il recouvre d’abord la liberté. Il y a des textes qui sont là qui régissent le fonctionnement de la démocratie au Sénégal. Ce n’est pas la peine d’anticiper sur des choses qu’on ne maîtrise pas bien. Il est temps qu’on réfléchisse sur la stabilité du pays, sur des projets permettant d’améliorer les conditions de vie des Sénégalais plutôt que de se focaliser sur la politique politicienne qui n’apporte rien à ce pays.

Comment appréciez-vous la posture de Souleymane Ndéné Ndiaye qui a annoncé sa candidature pour 2017 ?

Souleymane Ndéné Ndiaye est un ancien Premier ministre qui connaît bien les rouages de l’Etat. Mais est-ce qu’il va avoir le soutien nécessaire au sein de son parti pour présenter sa candidature au nom du Pds ? C’est une autre question. Au Pds, je pense que tout le monde est libre de faire des déclarations mais au moment venu, les choses vont se resserrer et on verra les candidats qui sont capables de proposer des projets de société alternatifs pour la démocratie sénégalaise. Là, la décision finale reviendra aux Sénégalais de voir s’ils sont satisfaits de cette majorité qu’ils ont élue ou pas. Et en fonction de cela, ils feront leur choix.

En dévoilant ses ambitions, Souleymane Ndéné Ndiaye n’a-t-il pas ouvert la boîte de Pandore ?

Oui ! C’est vrai qu’il y a plusieurs candidats potentiels au sein du Pds. Mais le problème, c’est que ces candidats sont seuls ou bien ils ont des mouvements qui ne drainent pas beaucoup de monde. Maintenant on sait qu’au Parti démocratique sénégalais, la référence, c’est Abdoulaye Wade qui reste un leader charismatique, un intellectuel doué d’une capacité de réflexion ; tout le monde lui reconnaît cela même si sa gouvernance politique est entachée de beaucoup de dérives. Au-delà de lui, il y a dans son entourage certains qui pourraient être soutenus par d’autres pour constituer une candidature correcte, légitimée par le parti et qui pourraient se présenter à la prochaine élection présidentielle.

Avec la situation actuelle, peut-on s’attendre à ce que le Pds convoque d’autres primaires et se trouver un autre candidat ?

Tout est possible parce qu’il y a encore du temps avant 2017. Mais il faudra d’abord que le Pds se ressaisisse et réfléchisse sur la nécessité de poser les vrais problèmes au niveau du parti. Certains ont déjà évoqué la nécessité de réorganiser le parti, la nécessité de s’entendre sur l’essentiel puisqu’il y a plusieurs prétendants au leadership du parti. Mais également la nécessité de choisir celui parmi ce groupe qui pourrait les représenter. Et qui est apte à leur faire gagner les prochaines élections. Donc il est temps que les libéraux repensent l’organisation de leur parti, et se choisissent un leader qui a les capacités de mener le combat et autour duquel ils peuvent construire un projet de société soutenu par des Sénégalais. Parce qu’ils ont quand même cette capacité de mobilisation. Les militants attendent l’érection d’un projet de société alternatif.

Abdoulaye Wade a renoncé à son meeting de demain après une intervention (selon le porte-parole du Pds) du Khalife général des Mourides. Comment analysez-vous l’intervention des chefs religieux dans le débat politique ?

Compte tenu de cette réalité au Sénégal, je pense qu’il y a aujourd’hui une nécessité d’institutionnaliser la présence des confréries religieuses dans le texte fondamental, de reconnaître leur rôle de régulateur social au niveau de la société et même de médiation politique quand il y a des crises. Je pense qu’en ce moment, puisque la tension est extrême, l’intervention des chefs religieux apaise le climat. Cette intervention du Khalife général des Mourides a permis de reporter ce meeting qui était prévu. Cela va sûrement permettre au président Wade de prendre le temps nécessaire de voir dans quelle mesure ils pourront engager le combat politique sans verser dans la violence. Le Khalife général joue son rôle dans une situation de crise, de tension pour apaiser le climat. Il faut faire en sorte que les gens prennent le temps nécessaire de réflexion avant de prendre des initiatives qui pourraient engendrer une situation difficile à gérer.

Le 25 mars dernier a marqué les 3 ans d’exercice du pouvoir de Macky Sall. Comment appréciez-vous son bilan ?

Pour l’instant il y a des initiatives qui sont prises. Maintenant il faut donner le temps au temps. Il n’y a pas grand-chose au niveau de l’évaluation politique puisqu’on avait promis un certain nombre de réformes institutionnelles mais compte tenu de l’agenda, on n’a pas pu le faire. Ce sera peut-être pour l’année prochaine. Il y a le Pse qui vient de démarrer et il faut du temps pour pouvoir faire l’évaluation. Je pense que pour le moment, le bilan n’est pas très glorieux et on a perdu beaucoup de temps.
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