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Prolongation de la vie active : Les séniors restent au vert
Publié le lundi 9 fevrier 2015  |  Le Quotidien
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© Autre presse
Le palais de la République du Sénégal




Ils plastronnent à la tête des institutions ou d’autres directions générales après avoir dépassé l’âge de la retraite. Souvent, ces papys bénéficient de complicités politiques qui leur assurent cette prolongation et étire leur vie active jusqu’à plus de 70 ans. Et cela n’émeut personne.

Ils font face à des questions existentielles : Les travailleurs sont-ils suffisamment préparés pour faire valoir leurs droits à une pension de retraite après une carrière bien remplie ? L’interrogation est d’autant plus agitée que plusieurs agents de l’Etat font tout pour que leur période d’activité soit prolongée quitte même à ce que les règles soient violées. Est-ce la précarité ou bien le fait de perdre une station qui l’explique ? Compte tenu de contraintes inhérentes aux capacités physiques ou de facteurs liés à l’aptitude à tenir convenablement un poste de travail, tout travailleur est appelé un jour ou l’autre à jouir de son droit à la retraite. Doudou Ndir est à la tête de la Commission électorale nationale autonome. Oumar Top continue de flamber à la tête de la Direction générale des élections. Bruno Diatta reste chef de protocole à la Présidence. Les cas ne sont pas isolés. Depuis plusieurs mois, des directeurs et autres hauts fonctionnaires sont partis à la retraite mais sont maintenus à leur poste. Il y a aussi les cas des Directeurs généraux des Agences des éco-villages et de la Grande muraille. Mamadou Demba Ba et Papa Waly Guèye sont à la retraite mais conservent encore leur poste. Idem pour le directeur de cabinet du ministre de la Santé et de l’Action sociale. Sans oublier des généraux recyclés comme ambassadeurs dans le reste.
Alors que la retraite est donc instituée pour permettre aux travailleurs de se reposer après une vie active mais aussi aux entreprises de pouvoir disposer d’une main d’œuvre en mesure de leur assurer une bonne productivité créatrice de richesses. La mise à la retraite de travailleurs prive ces derniers de salaires qui constituaient la contrepartie du travail qu’ils effectuaient. Aussi, convient-il de leur garantir des revenus en compensation pour leur permettre de faire face aux charges qui continuent à peser sur eux.
Lorsque ces revenus de compensation qui leur sont versés par l’Institution de prévoyance retraite du Sénégal (Ipres) ou le Fonds national de retraite (Fnr) ne sont pas équivalents aux salaires qu’ils percevaient, les travailleurs sont dans une certaine mesure contraints de solliciter une poursuite des relations de travail auprès de leurs employeurs ou de chercher à mener une activité pouvant leur garantir des revenus supplémentaires en plus de leurs pensions. La modicité des pensions servies surtout par l’Ipres est l’une des raisons essentielles qui poussent les travailleurs à vouloir prolonger leur séjour au sein des entreprises. Si cette disposition est valable au niveau des travailleurs du secteur privé et les contractuels, tel n’est pas le cas pour les fonctionnaires qui ne perdent que les indemnités. C’est parce que pour cette catégorie de travailleurs, «leur refus s’explique par la relation qu’ils ont par rapport au travail et qui dénote d’un certain égoïsme», confie Mamadou Khouma. Il poursuit : «Le travail pour ces gens qui usent de subterfuges pour prolonger leur retraite est exclusivement perçu comme un moyen d’accéder à des ressources ou à des privilèges pour un usage personnel. Or le travail, au-delà de la satisfaction personnelle qu’on pourrait en tirer doit concourir à la réalisation de l’intérêt général. Pour les gens qui n’ont pas cette conception du travail, la retraite est perçue comme la fin de tous les privilèges. Cette situation touche particulièrement les personnes qui occupent certaines stations considérées comme des positions de rente.»
C’est le refus de ces travailleurs qui amène quelques fois des blocages notés au niveau de certaines structures. Les cas des agences régionales de développement de Matam et de Diourbel en sont des exemples parfaits. Pour la 1ère nommée, pendant deux années consécutives, le blocage a été noté. C’est parce que simplement le directeur d’alors Alioune Blaise Mbengue qui devait partir à la retraite depuis août 2012, après avoir reçu en son temps le courrier du président du Conseil d’administration d’alors lui rappelant qu’il devait faire valoir ses droits à la retraite n’avait pas voulu s’exécuter. Ce qui avait abouti à la paralysie de la structure parce que l’Agent comptable particulier (Acp) conformément aux textes en vigueur refusait d’exécuter les directives sous peine de sanction lorsque la Cour des comptes se penchera sur le cas de Matam.
Même constat à Diourbel. Là le blocage a eu lieu pendant deux mois. Et la conséquence est que les travailleurs sont restés tout ce temps sans salaires. Le problème a été résolu le 13 janvier dernier avec l’option de prolonger l’âge de la retraite du directeur. Le Conseil d’administration convoqué ce jour-là avait comme seul point à l’ordre du jour cette affaire. Le ministre de la Gouvernance locale, du Développement et de l’Amé­nagement du territoire Oumar Youm qui dans sa correspondance en date du 23/12/2014 adressée aux présidents de Conseil d’administration des Agences régionales de développement leur instruisait : «Il m’a été donné de constater que la situation administrative de certains directeurs d’Agence régionale de développement (Ard) mériterait une attention particulière, notamment en ce qui concerne leur admission à la retraite. En effet, cette situation récurrente a entraîné le blocage de l’Ard de Matam durant tout l’exercice budgétaire en cours. C’est pourquoi, je vous invite à me faire la situation administrative de chaque directeur et à prendre les dispositions nécessaires pour remplacer ceux atteints par la limite d’âge, dans le respect des clauses contractuelles. Le Conseil d’administration pourrait, ainsi, désigner un intérimaire parmi les chefs de division de l’Ard et tenir dorénavant compte de l’âge des directeurs dans la détermination de la durée de leur contrat d’engagement», soutient-il.
Dans la matinée du 13 janvier, il avait joint Abdou Khadim Guèye le président du Conseil d’administration de l’Ard et l’Acp pour qu’ils trouvent une solution intermédiaire c’est-à-dire soit maintenir le directeur à son poste jusqu’à trois mois le temps de recruter un autre directeur ou bien désigner un intérimaire. Le Conseil d’administration sur les 34 membres présents a choisi de maintenir mais en l’encadrant l’actuel directeur dans ses fonctions jusqu’à la nomination de son successeur. Abdou Khadim Guèye le président du conseil d’administration explique : «Le ministre m’a appelé ce matin (hier) vers 10 heures pour me dire qu’il exprime son avis sur cette affaire. Pour lui, on ne peut pas laisser l’Ard bloquée sans que les salaires ne soient payés. Il demande aussi de lancer avec le Pndl un Appel d’offres pour sélectionner un nouveau directeur mais en attendant, il faut laisser le directeur Sène évacuer les affaires courantes en attendant l’installation du nouveau directeur qui va passer service avec Sène.» Il ajoute : «Le ministre dit qu’il le fait non pas en s’appuyant sur des textes mais sur des faits. Un haut fonctionnaire est à la retraite et n’a pas été changé. Il y a aussi dans le dernier mouvement de l’administration territoriale, trois gouverneurs étaient partis à la retraite depuis longtemps mais l’Etat les avait conservés pour évacuer les affaires courantes. C’est pourquoi, je dis qu’au lieu de désigner un intérimaire, laisser l’actuel directeur évacuer les affaires courantes d’ici deux à trois mois.» Le ministre dit que «s’il n’est pas pour la solution des intérimaires, c’est parce que ces derniers veulent aussi rester. C’est la raison pour laquelle, il n’est pas le seul dans cette situation. Il y a trois autres dans le même cas. L’Acp avait saisi par correspondance sa tutelle pour ce cas précis. Il lui a été répondu que la prolongation de l’âge de la retraite du directeur de l’Ard était impossible. Le directeur Mamadou Sène m’avait saisi pour me dire que s’il doit constituer une source de blocage, il préfère partir. Il est même revenu à la charge», poursuit-il.

Quand la politique s’en mêle
«Rares sont les travailleurs épargnés par cette tentation de refuser de partir à la retraite. Les difficultés de faire face à toutes les charges familiales face à une diminution des revenus justifient cette propension à prolonger l’activité salariée. Ces travailleurs qui occupent d’importantes fonctions peuvent aussi être maintenus par leurs employeurs qui les retiennent pour tirer encore profit de leur aptitude professionnelle et de l’expérience qu’ils ont engrangée durant leurs carrières professionnelles», renseigne un inspecteur du travail et de la sécurité sociale sous couvert de l’anonymat. Mais ce que ce spécialiste du travail et de la sécurité sociale ne dit pas, c’est que le plus souvent, ce sont des raisons politiques qui expliquent le prolongement de l’âge de la retraite. Mor Ndiaye un retraité : «J’ai fait la demande qui a été purement et simplement rejetée alors que moi, j’ai de petits enfants. Une disposition de la loi disait que ceux qui ont des enfants âgés de moins de 10 ans peuvent en profiter mais tel n’est pas le cas. On constate pour s’en désoler que c’est pour une catégorie seulement de travailleurs souvent parrainés par des politiques qui obtiennent des prolongations à la retraite.»
Dans des cas pareils, l’Etat a l’obligation de recourir aux contrats spéciaux. Dans quels cas, le travailleur peut-il bénéficier d’une prolongation ? Un inspecteur du travail et de la sécurité sociale explique : «Aux termes de l’article L.69 du Code du Travail et des statuts de l’Institution de prévoyance retraite du Sénégal, les relations de travail ne peuvent pas se poursuivre au-delà de soixante ans dans le secteur privé. Pour les agents de l’Etat, l’âge de la retraite est de soixante ans. Toutefois, des contrats spéciaux peuvent permettre à des agents de l’Etat de continuer à travailler au-delà de soixante ans. Il arrive aussi que, pour contourner l’obstacle lié à l’impossibilité de poursuivre les relations de travail au-delà de soixante ans, certains employeurs aient recours à des contrats de prestations pour continuer à bénéficier des services de certains de leurs ex-travailleurs.» Des raisons politiques expliquent aussi cette propension à prolonger le bail. Ibrahima Faye confie : «Il faut être parrainé souvent par un responsable politique de gros calibre pour espérer rester à ton poste.» Souvent le travailleur parti à la retraite peut rester plusieurs mois à continuer à occuper son poste. Les actes qu’il pose ne sont pas valables si on en croit l’inspecteur du travail et de la sécurité sociale. «Les actes posés par un travailleur à un âge que ne lui permettent pas la législation et la règlementation qui lui sont applicables en matière de départ à la retraite ne peuvent être valables.»

Poursuite du travail après le départ à la retraite
Les raisons qui expliquent que plusieurs travailleurs poursuivent leurs activités alors qu’ils devaient faire valoir leur droit à une pension de retraite sont liées à la précarité sociale. Madior Thioune, professeur d’enseignement secondaire à la retraite répond : «C’est parce que 45% des ménages sont gérés par les retraités.» C’est la raison pour laquelle, il demande une réparation d’une injustice en augmentant : «Les pensions des retraités du fonds national de retraite. C’est parce que depuis 2008, il n’y a pas eu d’augmentation de nos pensions contrairement aux retraités du privé qui dépendent de l’Ipres.» L’autre raison qui justifie que les anciens travailleurs continuent de bosser est liée au fait que «la précarité a gagné plusieurs familles. Les salaires sont maigres et souvent dans une maison, il n’y a pas plusieurs bras valides», confie Ndèye Awa Sow qui malgré ses 70 années révolues, travaille encore dans un institut privé de la place.

Perte d’emploi des jeunes
Le maintien de ces anciens travailleurs n’est pas bien perçu par les jeunes diplômés à la recherche d’un emploi. Mamadou Ngom : «Ce maintien n’est pas une bonne chose. C’est parce qu’en deux ans ou trois mois, on ne peut pas amasser des sommes et réaliser des choses qu’on n’a pas pu faire en 30 années de service. L’Etat doit penser à mettre fin à ces prolongations de retraite. La gouvernance vertueuse commence par une capacité à mettre tous les fils du pays au même pied d’égalité. Mais ce qu’on voit, c’est qu’à cause de l’appartenance politique et dès fois l’appui d’un marabout, on prolonge indéfiniment l’âge de la retraite de certains agents de l’Etat. Ce n’est ni juste encore moins normal. Des centaines de jeunes ne sont pas recrutés à cause de cela. Ce qu’on dit souvent pour justifier cette prolongation, c’est qu’avec l’âge, on se bonifie, ne tient pas. On peut le résoudre en faisant, en préparant les futurs directeurs en leur confiant des postes de second. De ce fait, ils pourront être aguerris et n’auront aucune difficulté après.»
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