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Enquête Plus N° 1071 du 13/1/2015

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État de la caricature au Sénégal: L’irrévérence à l’agonie
Publié le mercredi 14 janvier 2015   |  Enquête Plus




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Le nom de Mame Less Dia est sans doute définitivement lié à la satire au Sénégal. Avec son journal Le Politicien, il a été le pionnier dans ce domaine et même en Afrique de l’Ouest. Mais le Cafard libéré est sans doute le père de l’irrévérence à l’extrême. Depuis lors, les expériences se multiplient mais, la satire se meurt.



Une rédaction décimée par des balles de fusil. Charlie hebdo occupe l’actualité presque partout dans le monde pour avoir été victime d’extrémistes qui croient bon de se venger de la sorte d’une impertinence et d’une irrévérence qui refusent de tenir compte des sensibilités religieuses. Un prétexte pour revisiter l’histoire de la caricature au Sénégal. Cette activité remonte au milieu des années 70. La première expérience connue de l’utilisation de la caricature dans le Sénégal post indépendant a eu lieu avec le journal satirique Le politicien fondé en 1976 par Mame Less Dia. Les premiers dessins de presse datent de cette année.

Quelques interlocuteurs, sans être formels, avancent l’hypothèse selon laquelle la création de cette publication n’était pas pour déplaire à l’ancien président de la République. ‘’Le journal a été fondé, dit-on, avec la bénédiction de Senghor. J’insiste sur le ‘’dit-on’’ parce que je n’en suis pas sûr. En plus, on le dit mais n’empêche, Senghor a été le premier à mettre Mame Less Dia en prison’’, relève Pape Samba Kane. Un autre interlocuteur défend la même thèse. ‘’Senghor l’avait accepté dans une démarche de pacification de l’espace public. C’était un moment d’ouverture avec les quatre courants. Il avait besoin de multiplier les preuves sur sa volonté d’ouvrir le champ politique’’.

En sortant des bureaux du journal satirique français, les assassins des caricaturistes jubilaient en ces termes : ‘’Nous avons tué Charlie’’. Ce cri de joie montre combien ils en voulaient aux Cabu et autres. Une haine à l’égard de toute une rédaction qui, à en juger par l’attitude des tueurs, s’explique par le comportement irrespectueux et provocateur des dessinateurs à l’égard de leur conviction. La question se pose de savoir si les dessinateurs ont fait preuve d’une certaine témérité. La réponse est oui, mais avec une certaine prudence et une certaine pudeur. En fait, explique Pape Samba Kane, Le Politicien avait fait le choix de la caricature dès le début.

Le premier caricaturiste s’appelle Médoune Sarr. Il signait sous le pseudonyme de Xun Xunoor, un insecte puant. Une façon pour lui de se croquer lui-même avant de faire passer les autres sous son crayon. Mais c’était aussi un début, une activité inconnue. Il fallait faire preuve de prudence et se cacher derrière une signature. Pourtant, assurent nos interlocuteurs, Senghor et après lui Diouf ont accepté d’être tournés en dérision avec un esprit de fair-play. Le manque de sérénité qui a été noté à certains moments venait surtout de leur entourage, celui de Senghor en particulier qui considérait cela comme un crime de lèse-majesté.

A partir de 1980, Le politicien décide de renforcer les dessins. Il lance un concours de recrutement à l’issue duquel deux personnes sont retenus : Alphonse Mendy dit T. T. Fons et Mamadou Diop connu sous la plume de Joop. Après avoir été retenus, ces deux-là sont envoyés faire un stage au journal satirique français Le Canard enchaîné. Un de nos interlocuteurs assure d’ailleurs que Le politicien a bénéficié d’appui technique de ce dernier. A la fin des années 80, le journal gouvernemental prend le train en marche. Il fait appel au talent de Samba Fall alors employé à La Poste. Concomitamment à son boulot, il fait des bandes dessinées. Il sort ‘’Boy mélax et Aziz le reporter’’, Boy mélax étant une sorte de… qui vole les riches pour donner au pauvre. Il est recherché par le policier avec l’aide d’Aziz le reporter. Il finira par être débauché par le journal en 1984, avec évidemment moins de marge de manœuvre que ses collègues du Politicien.

Liberté enchaînée

Cependant, malgré la volonté affichée de la direction du Politicien, se rappelle Pape Samba Kane, les jeunes croqueurs se sentaient plus oui moins ‘’enchaînés’’. ‘’Parfois les caricaturistes rencontraient de la résistance’’. Mais en réalité, ce n’était pas seulement les dessinateurs. C’était une bonne partie de la rédaction qui, ‘’portée par le rêve et la fougue de jeunesse’’, réclamait plus de liberté. En fait, à leur arrivée dans la rédaction, T. T. Fons et Joop, l’auteur du ‘’feuilleton autour d’un fauteuil’’, ont apporté un nouveau souffle, une touche beaucoup plus libérée. ‘’Il est arrivé des moments où ils ont débordé un peu la ligne rédactionnelle’’, se souvient M. Kane. En dépit des débordements, les jeunes n’auront pas la liberté souhaitée au Politicien, malgré le courage de Mame Less Dia.

Ils décident alors de prendre la voie de la dissidence. En fin de l’année 1986, ils quittent le journal pour fonder le Cafard libéré, un pendant du Canard enchaîné. En février 1987, le premier numéro du Cafard Libéré paraît. ‘’À partir de là, les caricaturistes ont pris une place prépondérante dans la satire’’. C’est le début du ‘’ton extrêmement irrévérencieux’’, selon l’expression de Pape Samba Kane. Quant au Politicien, il commence à péricliter à partir de cette date. Xun Xunoor décède des années après et T. T. Fons quitte la presse et devient le père d’une bande dessinée, Goorgoorlu, joué en série par le comédien Habib Diop.

A la suite des fondateurs de Cafard, viendront plus tard deux autres hommes de crayon. Mbaye Touré et Omar Diakhaté aujourd’hui bien connu sous son pseudonyme Odia. Ce dernier est arrivé dans la presse en 1990, après avoir été major de sa promotion à l’école des Beaux arts. C’était à un moment où la caricature avait connu un franc succès et beaucoup voulait embrasser la carrière, y compris des peintres et des étudiants de l’école des beaux arts.

Quant à la dérision, elle se faisait à la fois par les textes et les dessins. Par exemple, le Cafard libéré a caricaturé Abdou Diouf en soutien-gorge. Il l’a croqué aussi en ‘’nguemb’’, luttant avec un criquet. Le dessin date d’une période où les criquets avaient envahi le Sénégal. Les acteurs politiques avaient presque tous des surnoms. Abdou Diouf était surnommé parfois ‘’ndiol’’ ou ‘’ndiamala’’ (girafe), en raison de sa taille.

Le journal disait que Diouf était un handicap pour le Sénégal. ‘’Ils (les journalistes) utilisaient l’adage selon lequel quand tu plantes un cocotier dans ta cour, c’est le voisin qui en bénéficie’’, sourit un interlocuteur. Le premier ministre Habib Thiam avait le sobriquet de ‘’bouki’’ (hyène). Il avait toujours un costume avec une tête d’âne. Alors ministre de l’Education, Iba der Thiam se voyait affubler du terme ‘’dermagogue’’. Les religieux ne sont pas en reste. Cependant, il y a une très grande prudence à ce niveau. Les khalifes généraux Serigne Abdou Aziz Sy et Serigne Abdou Lahat ont été caricaturés, dessinés plutôt pour reprendre le terme de tous nos interlocuteurs. Et c’était toujours pour montrer leur rôle de médiation.

Par contre, explique Mbaye Touré, ceux qui faisaient l’objet de caricatures réelles sont ceux qui étaient descendus sur la scène politique. ‘’On ne les trouve pas dans les mosquées. Il y avait une certaine distance avec les marabouts’’, précise-t-il. C’est ainsi qu’il a caricaturé Béthio Thioune et Ahmed Khalifa Niasse. Mais il y avait quand même par moments une audace un peu plus poussée. Pape Samba Kane parle même de caricatures ‘’parfois limites limites’’.

Cheikh Tidiane Sy, actuel Khalife des Tidianes par exemple, a fait l’objet d’un portrait de la part de PSK. Ce dernier déclare lui-même n’avoir pas été tendre avec lui. Son fils Moustapha Sy se fait appelé ‘’mousse’’. Ce terme wolof a une double signification avec un adjectif (malin) et un nom (chat). La rédaction jouait sur ces deux sens en fonction de l’actualité. Avec Kara, les journalistes parlaient de ‘’karaïs’’ qui approximativement signifie fou, idiot, sot…

Prudence devant la religion

Toutefois, comme l’a bien souligné Mbaye Touré, la règle générale est la prudence. Pape Samba Kane le rejoint d’ailleurs très vite précisant qu’il n’est pas question de ridiculiser les chefs religieux car, contrairement aux hommes politiques qui peuvent paraître ridicules, les guides spirituels ne le sont pas, du moins dans la conscience collective des Sénégalais qui ne pourraient pas admettre cela. Cette mesure ne se limite pas uniquement aux guides religieux. En dépit de ‘’l’extrême impertinence’’, il y avait des limites à ne pas franchir, même pour les politiques.

Les différents propos de nos interlocuteurs en témoignent. Mbaye Touré : ‘’On a des réalités, il faut en tenir compte.’’ Pape Samba Kane : ‘’La satire doit se faire avec finesse et intelligence pour ne pas heurter. Même si la profession est la même, il faut une acclimatation à la culture.’’ Samba Fall : ‘’Il y a des domaines auxquels on ne touche pas. La religion est sacrée, l’ethnie aussi. Il y a des limites à ne pas franchir.’’ Un témoignage de Pape Samba Kane fournit un exemple de la différence des cultures.

Celui-ci raconte que quand lui et ses confrères étaient au Canard enchaîné et qu’ils voyaient les caricatures que les Cabu et autres faisaient des hommes politiques français, ils pensaient qu’ils ont osé le faire parce qu’ils étaient de la même génération qu’eux. Ainsi donc, ils se disaient entre eux que quand ils seraient plus vieux et qu’ils auraient le même âge que les acteurs politiques, ils feraient des caricatures libertaires à l’image de celles du Canard enchaîné. Mais aujourd’hui, Pape Samba Kane soutient que s’il avait à caricaturer les hommes politiques du pays qui ont son âge ou même plus jeunes que lui, il serait gêné d’imiter ses confrères de l’hexagone.

A la vue de ces déclarations, on peut se demander si ce n’est pas cette prudence qui a protégé les caricaturistes en particulier, les acteurs de la satire en général. Ce qui est constant, c’est qu’ils ont affirmé n’avoir pas fait l’objet de menaces dans le cadre de leur travail. Les quelques-unes qui en ont reçu sont des épiphénomènes qui ne reflètent pas la réalité. C’est pour cette raison d’ailleurs qu’ils n’en ont jamais parlé.

Ce qu’il y a par contre, c’est de l’incompréhension par moments, avec parfois des insultes. Mais dans l’ensemble, il y a eu très peu d’agressivité. Les Sénégalais, de Senghor à nos jours, ont accepté d’être croqués. Pape Samba Kane suppose qu’ils ont certainement honte de s’attaquer à des dessins. ‘’Ils se sentiraient ridicules’’, estime-t-il. En tant qu’amoureux de la satire, il ne fait pas de doute qu’ils soient solidaires avec les victimes. Pas évident cependant que leur devise soit celle de l’émotion : ‘’Je suis Charlie’’ !

Un personnel non renouvelé

Mbaye Touré, Samba Fall, Odia. Contrairement à l’écriture qui a reçu les aventuriers de tout bord, la caricature n’a pas vu son personnel se renouveler. Ce sont toujours les mêmes qui exercent dans la presse. Et le fait que Samba Fall continue à être sollicité par le quotidien Le Soleil en dépit du fait qu’il est à la retraite est symptomatique. Les précurseurs de la satire trouvent en cela deux explications. La première est de Pape Samba Kane. Ce dernier affirme que c’est parce qu’il n’y a plus de presse satirique.

Celle-ci a cessé d’exister depuis l’alternance, il ne sait pour quelle raison. L’autre est liée, selon Samba Fall, par le fait que les patrons de presse ne recrutent pas de caricaturistes. ‘’Il suffit de voir parmi tous les titres quels sont ceux qui utilisent les dessins. Les patrons de presse n’ont pas cette culture.’’ De façon générale, c’est même la société qui n’a pas encore cette culture. Odia quant à lui estime que c’est ce sont les jeunes qui ne vont pas vers les rédactions pour proposer leur produit. Il estime que si cela se faisait, son rêve de voir chaque rédaction disposer d’un caricaturiste se concrétiserait. Du coup, les nouveaux loups sont plutôt dans la publicité et les illustrations. Ils travaillent plus pour les ONG et autres organismes.

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