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Sud Quotidien N° 6503 du 8/1/2015

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2014- Entre retrait du code de la presse et installation du tribunal des pairs: Trajectoire d’une presse au corps malade
Publié le vendredi 9 janvier 2015   |  Sud Quotidien


Le
© aDakar.com par DF
Le Tribunal du Cored installé en présence du chef de l`Etat
Dakar, le 27 Août 2014- Les membres du Tribunal des pairs du Conseil pour l`observation des règles d`éthique et de déontologie dans les médias (CORED) ont été officiellement installés mercredi à Dakar au cours d`une cérémonie solennelle présidée par le chef de l`Etat, Macky Sall, en présence de représentants de plusieurs segments de la société sénégalaise. Photo: Mame Less Camara, Journaliste, Président du Tribunal du CORED,


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Parmi les faits importants de la vie de la presse durant l’année 2014 figurent, en première place, le retrait par le gouvernement du projet de loi portant Code de la presse et l’installation du tribunal des pairs par le Conseil pour l’observation des règles d’étique et de déontologie (Cored). Les deux événements sont illustratifs du même souci d’améliorer le cadre juridique et de contrôler les conditions d’exercice du métier de journaliste. L’idée avait été explorée une première fois en 1994 par le Syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (Synpics) avant d’être rangée dans les tiroirs.

Le président Abdoulaye Wade l’a relancée en mars 2012 lors d’une visite à Tambacounda, promettant même de prendre un projet de loi. Il avait cependant fait la mise en garde suivante : ’’Je voudrais simplement dire que supprimer le délit de presse qui sera un signe d’avancée de notre démocratie, appelle en même temps les journalistes à être plus responsables c’est-à-dire éviter de détruire des vies, ou de porter atteinte à l’honneur des autres citoyens (…) fussent-ils des citoyens ordinaires ou au pouvoir’’. Mais la majorité dont il disposait à l’Assemblée nationale avait refusé de le suivre dans cette voie.

Des députés de l’actuelle législature qui a suivi l’élection du président Macky Sall refusent à leur tour de voter le projet de loi sur les organes de presse. Ils semblent sincèrement scandalisés par la disposition du projet de Code de la presse qui introduit la déprisonnalisation, dénomination préférée à l’expression « dépénalisation des délits de presse ».

Certains d’entre eux ont prié les organisations professionnelles impliquées dans l’élaboration du texte d’en retirer toute prétention à garantir aux journalistes l’impunité en cas de délit consécutif à la publication d’informations pouvant porter atteinte à l’intégrité morale et aux intérêts d’individus, groupes ou associations. Ils se déclarent même prêts à s’impliquer pour l’amélioration des conditions de travail des journalistes. Beaucoup reste à faire dans cette dernière direction.

Le concept tant décrié de déprisonnalisation ne figure pas explicitement dans le projet de Code la presse. C’est un fantôme qui entre furtivement dans le document. Il se laisse deviner plus qu’il ne s’exprime en toutes lettres. Autrement dit, c’est l’absence de dispositions pénales pour réprimer les délits de presse qui implique que les journalistes ne sont plus sous le coup de telles sanctions. Mais cette exception, on l’a vu, est rejetée par des élus au nom du principe de l’égalité de tous les citoyens devant la loi. L’argument est imparable. Le gros bon sens dans lequel il se drape, souvent une simplification excessive de la problématique, n’a pas de mal à se rallier une bonne partie des populations, tandis que les organisations de journalistes peinent à convaincre l’opinion du bien-fondé de ce qui lui est présenté comme une discrimination insupportable. D’autant plus que les codes de la presse précédents, singulièrement celui très répressif de 1989, font de fréquents renvois au Code pénal et indiquent les peines de prison encourues par les journalistes convaincus de délits commis dans l’exercice de leur profession.

BRUIT SEMANTIQUE

Cette méfiance est perceptible dans les recommandations faites au chef de l’Etat par la Commission nationale de réforme des institutions (Cnri), même si les termes sont plus prudents voire conciliants à l’endroit des journalistes : « Une presse certes active, mais souvent confrontée à des difficultés récurrentes en termes de viabilité financière en raison d’une désorganisation du marché de la publicité. Elle doit renforcer sa rigueur, sa fiabilité et son professionnalisme. Notre pays possède des journalistes de qualité qui ne cessent d’œuvrer avec courage et honnêteté pour une information sincère et formative, mais il ne manque pas non plus de journalistes prompts à des affirmations sans fondement ; certains d’entre eux n’hésitent pas à traiter de façon cavalière le droit de réponse de ceux qui sont indûment mis en cause. Des titres sont loin de correspondre au contenu des articles comme si on cherchait à attirer trompeusement le lecteur. Le secteur audiovisuel en pleine expansion est caractérisé par une prolifération anarchique, du fait de l’attribution non transparente et désordonnée des fréquences. Au plan de la régulation, le dispositif ne couvre pas l’ensemble des organes de communication et ses pouvoirs sont limités ».

En vérité, le diagnostic est accablant concernant les manquements constatés dans le fonctionnement de la presse, malgré la volonté d’équilibre du texte. On trouve la même retenue dans les déclarations de l’ancien président de la République Abdou Diouf qui, lors de la 36ème session parlementaire de la Francophonie soutient l’idée de la dépénalisation : « Je ne peux pas comprendre qu’il y ait en 2010 des délits de presse encore pénalisés. Il y a des pays qui se sont engagés à dépénaliser, il faut continuer sur cette lancée. C’est toujours très choquant de voir des journalistes derrière les barreaux ou tués. Nous avons un combat à mener »). Il ajoute toutefois qu’« il faut que le journaliste soit responsable, ait une éthique et une déontologie. Liberté oui, mais une liberté qui s’accompagne de responsabilité ».
Des pays africains comme le Ghana, le Togo, la Mauritanie, le Niger et le Tchad ont franchi le pas et ont procédé à la dépénalisation.

UN TRIBUNAL DES PAIRS POUR CONJURER LE MAL

L’installation du Tribunal des pairs dans un tel contexte participe, bien involontairement, à renforcer le soupçon sur une presse animée par des « journalistes prompts à des affirmations sans fondement [dont] certains (…) n’hésitent pas à traiter de façon cavalière le droit de réponse de ceux qui sont indûment mis en cause ». Pour beaucoup, la mise en place de cette structure est la preuve que les journalistes sont eux-mêmes conscients des dérives constatées dans leurs pratiques professionnelles et de la nécessité d’y mettre un terme.

Les finalités poursuivies par le Cored sont, toutefois, de toute autre nature et visent précisément la moralisation d’une corporation dont la porosité n’est pas le moindre défaut. Cette préoccupation, appelée autorégulation, n’est pas nouvelle et constitue un souci déjà repérable dans la Charte des journalistes français datée de 1918 dont le troisième point soutient que le journaliste «ne reconnaît que la juridiction de ses pairs, souveraine en matière d’honneur professionnel». L’idée qui horrifie bien des juristes, notamment des magistrats, a persisté jusqu’à la Charte des journalistes du Sénégal de 2001 dont le Tribunal des pairs récemment installé a pour fonction de faire respecter les principes. En effet, aux termes de ses statuts, le Cored se donne, entre autres missions, de « veiller à ce que l’exercice de ces libertés [d’expression et de presse] ne porte aucunement atteinte aux droits de la personne humaine, à son honneur et à sa dignité (…) au respect, par les journalistes et techniciens de la communication sociale, des principes, règles et us de la profession, notamment de la Charte des journalistes du Sénégal, adoptée à Saly-Portudal en mai 2001, renforcer la formation des journalistes et des techniciens de la communication sociale du Sénégal dans le domaine de l’éthique et de la déontologie (…).

DES DROITS ET DEVOIRS DU JOURNALISTE

L’exercice du métier de journaliste est fondé (normalement) sur le respect de valeurs morales qui sont aussi importantes que l’aspect technique de la profession. Des obligations ou devoirs sont répertoriés dans les codes de déontologie. On en trouve dans presque tous les pays sous des dénominations diverses : code d’honneur, code de la presse, déclaration des droits et devoirs des journalistes, charte des devoirs professionnels, canons de la presse (Japon) etc.

DEONTOLOGIE DU JOURNALISTE

De manière générale, les codes de déontologie énumèrent sous forme de recommandations ou d’interdits les attitudes prescrites au journaliste. Ils comportent deux parties. La première est consacrée aux devoirs des journalistes : fidélité à la vérité, loyauté dans la quête de l’information, refus de la corruption sous toutes ses formes, respect de la vie privée et du secret professionnel, c’est-à-dire la protection de la source, le tout fondé sur le respect du droit du public à l’information. “Respecter la vérité et le droit que le public a de la connaître constitue le devoir primordial du journaliste” est le premier point de la déclaration faite par la Fédération internationale des journalistes (Fij, à laquelle adhère le Synpics) lors de son congrès tenu à Bordeaux en 1954.

La seconde partie des Codes de déontologie est consacrée aux droits des journalistes : libre accès aux sources de l’information publique (repris par l’article 26 de la loi sénégalaise sur la presse actuellement en vigueur), refus d’exprimer une opinion contraire à ses convictions et à sa conscience (repris par l’article 2 de la loi sénégalaise sur la presse), refus de toute subordination contraire à la ligue éditoriale de son organe de presse, refus d’effectuer un travail publicitaire.
Cette démarche normative est constante pour les journalistes, quel que soit leur pays.
Voici, à titre d’exemple quatre points extraits de la Charte des journalistes japonais :
- La règle des règles en matière d’information est de rapporter les faits exactement et fidèlement
- Lorsqu’il rapporte des informations, le journaliste ne devrait jamais y ajouter son opinion
- Dans la critique, se borner à des remarques que l’on pourrait faire face à des personnes visées
- Un commentaire partial qui s’écarte sciemment de la vérité fait injure à l’esprit et à la noblesse du journalisme.

BOOM MEDIATIQUE

La presse sénégalaise ne peut pas déroger à cette ambition universelle. Elle connaît depuis la seconde moitié des années 1990 une floraison de journaux et de stations de radiodiffusion commerciales et communautaires. Les télévisions privées, d’apparition plus récente, se développent également en nombre à un rythme remarquable à partir de a première alternance politique survenue en 2000. La dynamique de création de nouveaux organes de presse écrits et audiovisuels est loin de s’épuiser. Des projets sont perpétuellement à l’étude ou en quête de financement.

Cette situation se traduit par des besoins en personnel dans des proportions qui dépassent de loin le nombre cumulé des diplômés qui sortent chaque année du Centre d’études des sciences et techniques de l’information (Cesti) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et des instituts privés. Des palliatifs sont mis en place comme le programme dit du Fonds d’aide qui consacre à la formation 20% de l’aide annuelle consentie par l’Etat aux organes de presse. Grâce à l’encadrement pédagogique offert par le Cesti des dizaines de journalistes qui n’étaient pas passés par des instituts professionnels peuvent bénéficier du nécessaire volet de formation. Le Synpics et, surtout, la Convention des jeunes reporters du Sénégal (Cnjrs) s’investissent dans cette voie de la formation de journalistes déjà en activité.

JOURNALISME, COMME ROUE DE SECOURS

Mais les difficultés ne s’arrêtent pas là car les faibles capacités financières des organes de presse les poussent à rechercher un profil de personnel sans formation, donc aux prétentions salariales de loin inférieures aux montants fixés par la Convention collective des journalistes et techniciens de la communication sociale (Ccjtcs). Les mêmes raisons d’indigence financière font que les organes de presse sont incapables de consacrer à la formation du personnel 2% au moins de la masse salariale annuelle de l’entreprise (art. 48 al. 2 Ccjtcs).

Le recrutement d’éléments non-diplômés et souvent sans expérience a eu pour effet d’encourager l’afflux vers les organes de presse des postulants souvent très jeunes en quête d’emploi. Certains cherchent à réaliser une authentique vocation de journaliste, d’autres à acquérir par la pratique une formation professionnelle, quelle qu’elle soit, qui leur permette seulement de gagner leur vie. Mais il ne faut pas se voiler la face, la question de la formation est au centre du malaise constaté dans la presse sénégalaise et qui lui vaut souvent les quolibets de l’opinion. Ainsi que le soulignait avec ironie Alpha Sall, le feu Secrétaire général du Synpics : « L’on dit que le journalisme mène à tout si l’on arrive à s’en sortir. Mais au Sénégal, tout mène au journalisme si l’on ne s’en sort pas ».

Le projet de Code de la presse apporte des solutions à ce problème en définissant les conditions d’accès au métier de journaliste, fixant notamment les temps d’apprentissage requis selon les diplômes (donc en théorie, le niveau d’instruction) des candidats. Cette solution est une avancée considérable. Mais elle risque d’être seulement partielle car si elle peut être appliquée largement voire intégralement dans la presse écrite, il en va tout autrement de l’audiovisuel qui utilise largement les langues nationales et dont l’essence des productions culturelles fait appel à un personnel formé hors du système éducatif officiel dont le français est la langue d’apprentissage.

Ce personnel a pris conscience de son apport de plus en plus important dans les radios et les télévisions auxquelles il assure la plus grande part de leur audience. En plus de l’animation des émissions culturelles et religieuses, ses éléments assurent souvent la présentation des informations en langues nationales et remplissent de facto des tâches de journalistes. Nous sommes loin en effet, des temps où existaient une fonction dite de « speaker » limitée seulement à la présentation de nouvelles collectées et traitées par les journalistes professionnels. Aujourd’hui ils mènent des interviews et font des reportages.

Le glissement est inévitable vers la réclamation d’un statut de journaliste de fait. Certains d’entre eux le revendiquent d’ailleurs à travers des formulations assez faciles à déchiffrer comme celui de « communicateur traditionnel ». C’est une tentative de synthèse entre les activités de certaines catégories sociales traditionnelles spécialisées, entre autres, dans la prise de parole en public, et la profession de journaliste dans les médias audiovisuels qui réservent une place de premier plan à l’oralité.

Le problème de la formation des journalistes en langues nationales se pose. Des initiatives dans ce sens ont déjà été prises par l’Association des chercheurs du Sénégal (Acs) depuis deux décennies. Il est maintenant temps d’en tirer les leçons de les amplifier afin de sortir du paradoxe souligné par le linguiste Yéro Sylla, alors président de l’Acs dans la préface d’un manuel de formation à l’usage de journalistes de la presse en langue nationales : « les journalistes professionnels n’écrivent pas dans les journaux en langues nationales, tandis que les animateurs et éditeurs en langues nationales n’ont pas de formation en journalisme ».

ILS RECLAMENT DES PER DIEM…

D’autres chantiers sont également à ouvrir pour conformer les performances de la presse nationale aux attentes d’un public qui, à défaut d’obtenir satisfaction, devient très critique, parfois acerbe. Certaines pratiques en vigueur dans les rangs des journalistes justifient, malheureusement de tels jugements. Le fameux per diem (montant remis au reporter pour lui rembourser le transport) est l’un des points sur lesquels les organisations professionnelles doivent se prononcer. Elles le font, d’ailleurs, mai en vain. Les mesures à prendre concernent les journalistes qui s’attardent sur les lieux, alors que l’événement dont ils assuraient la couverture est arrivé à son terme, attendant de recevoir le fameux pécule qu’ils empochent après signature. Elles concernent aussi les organisateurs qui budgétisent cette distribution d’argent.

Dans les années 70, des journalistes qui avaient remis une liste de reporters à une association dont ils « couvraient » une manifestation avaient été sévèrement critiqués et vilipendés dans les journaux. Aujourd’hui la remise de per diem se fait le plus naturellement du monde. Y mettre un terme demande toutefois une autre démarche que de simples récriminations. Les « stages » dans les médias sont anormalement longs. Il s’agit souvent de l’exploitation de jeunes, diplômés ou pas, qui reçoivent des sommes insignifiantes en échange du travail de reporter de plein exercice qu’ils fournissent. Certains comptent sur l’argent reçu par les organisateurs d’événements pour se constituer de petits revenus. D’autres ont la naïveté de croire que c’est ainsi que les choses doivent se passer et que les journalistes ont droit à ces « cadeaux ». Des hommes politiques croient d’ailleurs glorieux de proclamer publiquement qu’ils figurent parmi les bienfaiteurs de ces journalistes qu’ils aideraient ainsi.

RELEVER LES SALAIRES

Certaines entreprises de presse sont cependant à louer pour les efforts qu’elles fournissent afin de payer aux journalistes des salaires décents. C’est d’autant plus remarquable que le barème des salaires de la Convention collective des journalistes et techniciens de la communication sociale date d’avant la dévaluation du franc Cfa et les montants qu’il prévoit sont caducs et dérisoires. Un projet (encore un !) de nouvelle convention collective est en négociation depuis quelques semaines. Elle devrait remédier à cette situation, c’est-à-dire fixer les limites de stages qui durent des années, en faisant respecter la loi, et faire payer aux permanents des salaires convenables.

La place des médias dans la gouvernance paraît évidente, tellement la société est habituée à communiquer par le biais des organes de presse. Mais le processus est complexe et sa mise en place s’est faite progressivement, au fur et à mesure des conquêtes démocratiques et de l’apparition de la figure du citoyen. Tous ces changements sont pris en compte dans le projet de Code de la presse que les députés, depuis deux législatures, ne regardent que par le petit bout de la lorgnette, obnubilés par l’idée de dépénalisation qui est loin d’en constituer la substance.


r Par Mame Less Camara
Journaliste
• Le titre et les intertitres sont de la Rédaction

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