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Enquête Plus N° 769 du 6/1/2014

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Domestiquer le temps linéaire pour le mouvement et le changement
Publié le mardi 7 janvier 2014   |  Enquête Plus




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Le temps n’a jusque-là jamais suspendu son vol. C’est dans le temps que la raison s’accomplit par l’intermédiaire de héros et d’hommes passionnés. Une fois leur mission terminée, les héros sont congédiés par l’histoire. En tant que déroulement du temps, l’histoire est jalonnée d’événements que la chronologie classe par ordre.

L’instrument principal de la chronologie est le calendrier, cadre temporel fondamental du fonctionnement des sociétés. Le calendrier permet à chaque communauté de personnes de domestiquer le temps sous sa forme cyclique qui, dans un mouvement giratoire, nous donne une variété de saisons, de dates-repères et d’événements à commémorer. Ce temps cyclique est une composante du temps linéaire en mouvement ininterrompu dont on ne sait l’aboutissement final.

Dans certaines sociétés, une bonne maîtrise de l’instant permet d’anticiper sur l’avenir, de faire de la prospective, des projections et des estimations. Dans d’autres sociétés, c’est la pauvreté extrême, l’urgence existentielle, la «gnoséophagie», la réduction de l’horizon prévisionnel, la fixation des esprits sur les fêtes calendaires et les cérémonies coutumières qui s’approchent.

Au Sénégal, dans les communautés chrétienne et musulmane, la lutte pour la survie et les préparatifs des fêtes rythment presque le quotidien des populations. Le taux de bancarisation est faible. Le plus souvent, on casse les tirelires, les modiques sommes thésaurisées se volatilisent aussitôt à cause des festivités. Et c’est l’éternel recommencement. On commémore, on fête et on festoie à outrance. Que de fêtes légales ! Que de fêtes chômées ! Que de fêtes chômées et payées !

Une commémoration doit-elle forcément être annuelle ? Célébrer un événement à des années d’intervalles entame-t-il pour autant sa popularité ? Pour un seul jour férié, de surcroît une fête religieuse, on perd quelques jours avant et après. Les services publics (et même privés) fonctionnent au ralenti. Les élèves boudent les classes, les pêcheurs arrêtent leurs activités, les vendeuses de couscous rangent leurs calebasses…

Les nombreux jours fériés et les longues fêtes ajoutées aux grèves récurrentes font que le quantum horaire n’est jamais atteint dans les lieux de travail. Au Sénégal, le temps perdu est colossal. Par voie de conséquence, la pauvreté dévient criante et endémique. Comment la pensée peut-elle se développer lorsque l’esprit est rivé au sol par un sac de riz ? Comment la prospective peut-elle se développer lorsque le regard est tourné vers le ciel uniquement à la recherche de la position d’un astre ?

Malgré la misère sociale, les mentalités sont encore coriaces. Les populations ne se remettent pas en cause, il n’y a pas d’introspection sincère et d’autocritique. On aime la facilité. Beaucoup de personnes sont réfractaires à la résistance, à l’endurance et à la résilience. Les flemmards préfèrent quémander, mendier, escroquer ou voler. Ceux qui cherchent des raccourcis privent leurs familles de la dépense de quelques jours au profit du charlatan ou du faux saint homme qui leur promet un avenir mirobolant.

La religion reste l’ultime espoir pour de nombreux déshérités aux lits très féconds. Psychanalytiquement, une certaine ferveur religieuse ressemble à une forme subreptice d’utilitarisme. Le souci de beaucoup de jeunes qui fréquentent les mosquées, c’est la réussite sociale.

Rares sont donc les jeunes désemparés qui ont une démarche désintéressée et altruiste (Pape Ladjiké Diouf et Tareq Oubrou). La religiosité peut, dans ce cas, être une pratique par défaut. Les obscurantistes rompus à la tâche savent que c’est sur le terreau de la pauvreté que germent allègrement certains types de fanatisme (Amadou Toumani Touré). Ils endoctrinent les jeunes et leur font scander des syllabes surexcitantes. Là aussi, le champ de vision se réduit. Le temps linéaire importe peu.

On compte les jours, on scrute le ciel et on attend la prochaine commémoration en trépignant d’impatience. Dans cet univers, tout est dogme, les vérités sont définitives. Le temps n’est pas consacré à la méditation, à la réflexion et à l’esprit critique. Ce que dit le maître tient lieu de parole d’Évangile. Ses disciples sont taillables et corvéables à merci avec comme seule récompense un paradis à l’Au-delà !

Une telle attitude est une abdication de l’homme face aux difficultés de la vie. De par ses capacités et ses talents cachés, l’être humain doit être en mesure de s’adapter et de résister en toute circonstance. Il faut refuser de se noyer dans un verre d’eau. L’optimisme de la volonté doit prendre le dessus sur le pessimisme de l’intelligence, c’est dans la difficulté qu’on se forge (Gramsci et Kierkegaard).

Il faut agir sans état d’esprit eschatologique ni fanatisme pour l’apocalypse. L’homme n’a pas épuisé tout son potentiel et doit encore profiter du temps pour percer les mystères de l’univers, concevoir, inventer, faire de la théologie et de l’exégèse…Les livres saints, à l’instar du Coran, ont comme but principal d’éveiller dans l’homme une conscience plus haute de ses multiples relations avec Dieu et l’univers pour participer au progrès de l’humanité.

Chaque génération doit prendre ses responsabilités, s’inspirer certes de l’œuvre de ses prédécesseurs mais éviter de transformer ces derniers en idoles (Muhammad Iqbal).

Les grands intellectuels, érudits, théologiens ou juristes, dont la pensée a fait école chez les musulmans, peuvent aujourd’hui être dépassés par des exégètes, philologues ou interprètes plus perspicaces. L’islam, par nature est mouvement. Il comprend des facteurs de changement.

Ce sont les vicissitudes du temps qui commentent le Coran. Un aggiornamento de l’Islam est donc possible (M. Iqbal, Malek Chebel…). Il faut dès lors mettre fin à la victimisation, aux mythes incapacitants et au conservatisme soporifique. Il faut s’enraciner et s’ouvrir, se créer une identité culturelle qui n’est pas un retour à des pratiques surannées.

Ce qui nécessite du temps, de l’ordre et de la méthode. Bien commencer est le meilleur moyen de bien finir. Lorsque l’ordre et la méthode sont négligés dès le début, on les retrouve rarement à la fin.

Mamaye NIANG

Professeur d’Histoire et Géographie

Lycée Zone de Recasement de Keur Massar

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