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Enquête Plus N° 988 du 29/9/2014

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Kolda- Traversée clandestine le long de la frontière Sénégalo-Gambienne: Voyage au cœur du trafic
Publié le mardi 30 septembre 2014   |  Enquête Plus




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L’approche de la fête de tabaski, la rentrée scolaire 2014-2015 qui se profile, la conjoncture économique sont autant de facteurs qui ont favorisé une intensification des passages clandestins au niveau de la frontière, dans le département de Vélingara. Les candidats à la traversée déboursent des sommes comprises entre 50 000 et 90 000 F Cfa, voire plus. Pour tenter d’y voir, EnQuête s’est rendu au cœur du trafic.

La traversée clandestine a repris de plus belle le long de la frontière entre le Sénégal et la République de Guinée Conakry. La fête de tabaski, la rentrée scolaire, la pauvreté sont, entre autres, les raisons de cet état de fait qui fait le bonheur des conducteurs de motos Jakarta. Leur trafic est grandement facilité par la porosité de la frontière. Car, ils n’ont aucun mal à contourner le dispositif mis en place par l’Etat et rejoindre la route N°6 où leurs clients embarquent dans des véhicules de transports en commun, pour rallier le reste du pays, la plupart du temps, Kolda, Tanaff, Ziguinchor ou Tambacounda.

EnQuête a parcouru la région pour avoir une idée de l’ampleur du trafic. Après avoir sillonné les différentes localités, notamment Kounkané, Maréwé, Pakour, Dialadiang et Témento, une nuit passée dans le village peulh de Linguéring, au domicile de notre guide, a permis de glaner de nombreuses informations.

Kalifourou, village tampon

Le lendemain, direction Kalifourou. En cours de route, le guide fait des confidences. « Si un parent ou un ami en Guinée veut venir au Sénégal, il nous appelle au téléphone et on coordonne. Le jour-J, on se rencontre sur la piste indiquée et on le transporte jusqu’à la route nationale où il prend le véhicule pour se rendre à Kolda ou à Tambacounda. Parfois, ce sont nos parents qui nous demandent d’aller récupérer leurs enfants en Guinée, parce qu’ils doivent venir au Sénégal poursuivre leurs études. Nous leur demandons de payer des sommes comprises entre 50 mille et 75 mille francs CFA, selon la distance ».

‘’Donc vous êtes de connivence avec les populations ?’’

« Bien sûr ! « Parfois, nous faisons semblant d’aller dans nos champs. Une fois là-bas, on se livre au trafic. L’Etat peut fermer la frontière, mais il ne peut pas le freiner».

‘’Pourquoi ?’’

« Parce que, comme vous avez pu le constater, dans chaque poste de police où nous sommes passés, il n’y a qu’un ou deux agents, sans aucun moyen de transport ».

Quelques heures passées à bord d’une moto Jakarta du guide bien connu dans la zone et de la gendarmerie, à cause de son passé pénal, nous arrivons à Kalifourou. Le village abrite une brigade de gendarmerie, un poste des douanes, des eaux et forêts pour ne citer que ces services administratifs. Difficile de d’arracher un mot aux agents qui assurent la sécurité de la frontière sénégalo-guinéenne. Après d’âpres négociations, un agent accepte de livrer le fond de sa pensée : « Pour freiner ce business le long de la frontière, l’Etat doit mettre beaucoup plus de moyens humains et matériels», dit-il. Il considère qu’ils sont démunis. « Face au manque de moyens matériels et de ressources humaines, certains jeunes désœuvrés, les braconniers et autres coupeurs de routes s’adonneront toujours à cette activité ».

Ensuite, le guide avertit ses collaborateurs par téléphone et prend la direction d’un endroit niché en pleine brousse, à l’Est de Kalifourou. A la question de savoir pourquoi la piste n’est pas aménagée, le guide fait remarquer qu’à cause de la proximité de la frontière sénégalo-guinéenne, ils risquent d’être démasqués par les forces de sécurité qui patrouillent de temps en temps. Sur place, se trouvent quatre hommes armés de deux fusils et bardés de gris-gris.

Après avoir pris connaissance de l’objet de notre voyage, l’un des trafiquants avertit : « Si après votre retour les forces de sécurité nous découvrent, vous aurez affaire à nous. Vous les journalistes, vous vous mêlez de ce qui ne vous regarde pas ». Le guide fait signe de ne pas répondre. « Ne l’écoutez pas. Il est drogué ». Notre interlocuteur n’est pas avare en révélations. « Même si la frontière avec la République de Guinée est officiellement fermée, certains points de passage, notamment les pistes qui rallient certains villages, ne sont pas concernées par la mesure. Car, nous les empruntons pour mener notre business. Chaque jour que Dieu fait, nous sommes là à la recherche du client à l’aide de nos téléphones portables ». 23 pistes sont répertoriées.

Boundou Fourdou, un lieu de passage pour regagner le Sénégal

Après Kalifourou, cap sur Boundou Fourdou, le premier village guinéen situé dans la région de Koundara frontalière de Kolda. La contrée est devenue le lieu passage préféré des élèves et étudiants sénégalais partis en vacances dans le pays de Sékou Touré. En ce lundi 22 septembre 2014, à 11 heures déjà, deux élèves et un étudiant sénégalais attendent impatiemment l’arrivée des conducteurs de motos Jakarta. Vêtu d’un jean et d’une chemise manche courte, casque aux oreilles, l’un des élèves confie : « Nous attendons depuis plusieurs heures deux conducteurs de motos Jakarta qui doivent nous déposer sur la route N°6. Svp à votre retour, vous nous amenez.

Nous allons à Kolda pour poursuivre nos études au Lycée Alpha Molo Baldé en classe de Terminale ». L’étudiant s’approche et déclare : «Je vous reconnais. Vous venez souvent à l’UCAD faire des reportages, lors des grèves des étudiants. Nos parents nous ont mis en rapport avec des conducteurs de motos Jakarta, mais jusqu’à présent, ils tardent à arriver. Si vous pouvez nous aider, cela nous fera plaisir », ajoute-t-il. Le guide leur demande d’attendre. «Nous sommes venus régler quelques affaires dans ce village. Après, on verra comment vous aider ». Ce subterfuge nous permet de nous éclipser pour suivre la scène de loin.

Quelques minutes plus tard, deux conducteurs de motos Jakarta arrivent sur les lieux. Tous deux dégoulinent de sueur et filent vers les deux élèves. Après une brève discussion, l’un des élèves affiche un large sourire avant de monter à bord d’une moto Jakarta. Avant leur départ, nous approchons et leur demandons comment ils font pour éviter les agents de sécurité. Mais, ils ne pipent mot et s’en vont, après avoir empoché leur paie. L’étudiant resté à quai révèle que les deux élèves ont payé chacun 80 mille francs CFA pour rallier la route nationale N°6, ensuite Kolda. «L’un des conducteurs de motos Jakarta m’a dit qu’il viendra me chercher », ajoute-t-il confiant.

Les complicités

De retour à Kalifourou, nous rencontrons C. O., un enseignant de profession. Il pointe du doigt les forces de sécurité qui, dit-il, alimentent le trafic. « Les trafiquants sont de connivence avec les douaniers et la police frontalière. Parce que chacun y trouve son compte. Les forces de sécurité ferment les yeux et laissent passer les trafiquants. A leur retour, ces violeurs de mesures leur donnent des commissions. C’est pourquoi, la corruption est un phénomène mondial qu’aucun pays au monde ne peut éradiquer ». Son collègue enseignant, A. B., d’ajouter que « ce trafic dans le département est surtout favorisé par les motos Jakarta, à travers des pistes illégales ».

Le retour des vacanciers installe la psychose Ebola

Avec ce retour des vacanciers, la psychose s’est installée dans le département de Vélingara. Même si les populations se félicitent du fait que jusqu’ici, aucun cas suspect confirmé n’ait encore été signalé dans la région de Kolda, les habitants craignent que le retour de leurs compatriotes partis en vacances de l’autre côté de la frontière où sévit le virus Ebola ne soit la porte d’entrée de cette maladie épidémiologique.

Ainsi, l’inquiétude et la peur sont réelles au niveau des populations. « Le risque est gros. Car, dans dix jours, c’est la rentrée des classes et beaucoup d’élèves vont revenir. Et l’Etat ne peut pas mettre un policier ou un gendarme à chaque kilomètre de la route », déclare Moussa Mballo, professeur et habitant le village de Kounkané. Ibrahima Baldé, habitant du même village, préfère lui s’en remettre à Dieu. « Nous prions Dieu pour que ces élèves ne soient pas des porteurs du virus à Ebola ». En effet, des témoignages concordants soulignent que « jusqu’à des heures indues de la nuit, des mouvements de motos sont notés le long de la frontière ».

Ainsi, à défaut de mettre un terme au trafic, les populations invitent les autorités à encadrer ce flux migratoire en provenance de la Guinée, pour que cette maladie qui sévit dans ce pays frère ne puisse pas traverser les frontières. La question, sur toutes les lèvres est de savoir comment l’Etat va faire pour gérer ce flux migratoire des élèves qui risquent d’être des porteurs du virus Ebola.

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