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Sud Quotidien N° 6395 du 26/8/2014

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Tradition du Kankourang, tourisme et politique: Mbour, les legs des anciens en sursis
Publié le mardi 9 septembre 2014   |  Sud Quotidien




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Septembre, mois de toutes les folies. Du rythme, des chants traditionnels, du monde, le temps d'un mois, Mbour devient le centre du globe. Sur le bord de l'Atlantique, une petite cité d'hier peuplée de paysans et de pêcheurs, a offert l'un des spectacles les plus grandioses en matière de cérémonie d'initiation en dehors de la Casamance. Si Rio a son festival, Mbour reste une ville de tradition, de culture mais encore de Kankourang. Comme si s'était écrit d'avance pour la cité du bord de mer, depuis sa rencontre avec le maître de la forêt au début du siècle. Aujourd'hui, si le succès est avéré, des nuages lourds pèsent sur le legs des anciens. Le risque est grand de voir tout se gâter un jour. L'année 2013, en pleine période de circoncision, pendant qu'on allait fêter la sortie des jeunes circoncis, des balles ont été tirées, un samedi après midi, jour du « faniké » sur des jeunes et leur Kankourang. Fausse alerte, mais avertissement sérieux, la leçon n'est pas passée pour rien. L'auteur des tirs blesse deux personnes, mais, rate le Kankourang. Que se serait-il passé, s'il avait touché le symbole de toute une construction sociale ? La guerre ethnique n'était pas loin. On l'a échappé belle comme ce fut le cas à Sédhiou au milieu des années 1980.

Du succès, des prouesses, de la beauté, du partage et du bonheur, on aurait pu résumer l’histoire du Kankourang et de l’initiation de jeunes mandingues, à travers ces mots. Mais, ils ne suffiraient pas à eux seuls de traduire le contenu des faits et des actes, de tant les bons souvenirs sont encore là. Des bons moments qui n’empêchent pas, cependant, si on veut une analyse de la situation, de revenir aussi sur les terribles épisodes noirs qui ont cette vie de relations entre gens d’un même groupe, d’une même ville, d’un même pays. Le Kankourang, objet de vénération, de rencontres, de rappels de moments partagés, les jeunes comme les moins jeunes initiés, le doivent au génie des anciens, à leur bravoure et leur constance pour avoir préservé les acquis et laissé la place à d’autres générations. Mais que c’est dur de porter un tel legs quand le monde se modernise, se diversifie aussi rapidement.

Face à une telle évolution, les choses se gâtent des fois. Et il semble que le fagot « douno » comme disent les mandingues semble trop lourd. Pendant les années 1970, il y avait certes des histoires du genre avec cet homme blanc muni de son appareil photo entrain de flasher une histoire qui était devenue un vrai phénomène à la mode pour l’époque. A tort ou à raison, il savait ce qu’il faisait pour la mémoire du monde. Mais par chauvinisme, on a détruit ses prises sans se donner le temps de voir ce qu’il y avait à l’intérieur. Et pourtant, peut–être quelque part, ces images que personne ne verra un jour, auraient eu l’effet inverse ailleurs que ce l’on a pensé à l’époque. Grave pour des gens qui veulent se donner des moyens, des méthodes d’évaluation et de calcul. Trop tard. On était en 1976.

Resté en marge de ce manque de vision pendant deux décennies, Mbour qui a pourtant connu la première vraie crise du Kankourang entre 1979 et 1980, a failli replonger l’année dernière. Tout cela représente aujourd’hui des signes avant-coureurs d’une situation qu’il faut ré-imaginer. Sous le coup de l’euphorie, on tuait tout ce qui ressemblait à une prise de vue. Il n’y avait ni comité de sages. On détruisait tout de ce qui passait. On tapait à forte dose sur les gens qui osaient s’arrêter et poser des questions. Vous avez dit civilisations et cultures ? Là, il s’agissait d’actes de protection, mais encore plus grave de sauvagerie. On y échappe en 1979 et cela annonce la mort prochaine de quelque chose. On veut tuer le mythe. Et, pour cette période sensible où ne se joue pas encore le passage des générations et du flambeau, la force est du côté des initiés. Par la voix des plus vieux, le respect des consignes, même si tout n’est pas tout de suite accepté.

Les conflits à caractère ethnique sont évités. La défense d’une même cause résiste encore aux dissensions internes. Mais, le troisième âge, toujours maîtres dans l’initiation et la formation des enfants est encore là qui apaisent à chaque fois, les foyers de tensions. Chaque dimanche de sortie de Kankourang, du feu à profusion semble brûler la ville. Tout commence le samedi nuit quand sort le maître des initiés. Dans certains quartiers, si ça sécurisait la ville, ce n’était pas du goût de tout le monde avec des provocations qui pouvaient mal tourner des fois.

Les années 1970-1980-1990 sont terribles. Dissensions, conflits entre jeunes et vieux. Un nouveau phénomène entre dans le jeu de l’initiation sous forme de raccourci, le « bofeul », mot wolof qui veut dire le mentorat qui permet d’introduire quelqu’un dans le système et son organisation, sans passer par les règles minimales d’initiation. Sans être vraiment une mauvaise chose en ce qu’il permet le brassage et l’entente cordiale entre les initiés et les non initiés, il n’y a pas de règles consensuelles. A chacun son poulain à parrainer…La rupture des générations n’est pas loin. Au fil du temps, chaque quartier veut son leul. Ses nouveaux entrants interdits d’entrée chez les autres.

Les murs sont blindés pour eux. Dur à comprendre. Le malaise est profond. 1982, 1986, ces années sont une catastrophe pour le Kankourang à Mbour. Parties pour être les plus belles années de la circoncision dans la ville, les choses se gâtent, avec la pratique du « bofeul » un peu partout. Coup dur pour le Kankourang. Les vieux ne s’entendent plus et la rupture est presque imminente entre les anciens d’une part, les anciens et les jeunes d’autres part, et les jeunes entre eux selon qu’on est ou non, partisan de cette pratique du mentorat.

Un relève mal assurée et en panne

Le gâchis est aux portes de la grande muraille quand on détruit un djoudjou dans le quartier du Guinaw rails, là aussi sans concertation. L’ancien fief du Kankourang parce qu’un peu plus retiré que Thiocé qui trop près du centre ville, est boudé et Manfodé Touré, grand maître des lieux, le Kouyan Mansa que certains qualifiaient du titre de « Maréchal », partisan d’un recul vers ce qui reste de bouts de forêt dans la ville, est contredit par certains de ses anciens initiés. Le mal sera difficile à réparer quand on lui retire ses propres circoncis pour les amener dans le Djoudjou de Thiocé. 1986 est une année pénible pour la communauté mandingue. Le maître du djoujdou ne l’acceptera jamais. En vieux lion, à l’époque la cinquantaine sonnée, il se retira chez lui attendant son heure.

La guerre était déclarée. Manfodé était un génie qui avait une vision que peu de Kouyan Mansa dans la communauté mandingue sénégalaise jusqu’en Gambie et en Guinée Bissau avait. C’était d’ordre être de rigueur. Un homme de caractère que ses plus proches amis respectaient et admiraient. Un grand maître dans le sens parfait du terme. Mais, comme tous les maîtres, l’unanimité n’est pas éternelle. Souvent si ce n’est pas la jalousie des uns et des autres dans l’entourage, c’est finalement au sein même de sa famille de case que vient une forme de révolution qui agite plus une forme d’anarchie qu’autre chose.

La suite ressemble à un partage morcellement de responsable que cet homme possédait entouré d’initiés de l’époque chargés d’assurer la relève qu’il avait formés : Cheikhou Dabo, grand parolier et praticien de la langue mandingue comme son maître, Famara Demba, Demba Ndoye, Fodé Kady, Malang Kady, Fodé Sagna, Abdoulaye Darry, autre maître parolier spécialiste des chants traditionnels, Cheikhou, son grand frère, jusqu’à Ousmane son autre frère, qui n’a jamais démissionné et qui est encore présent dans le Djoudjou de Thiocé… La relève aura beaucoup d’écueil devant elle, du fait de la destitution du maître, de sa maladie et sa paralysie qui assomme la communauté dans ses fondements.

Manfodé n’était un homme ordinaire quoi qu’on puisse dire de lui. Un homme de devoir qui a donné toute sa vie au renforcement des bases de sa culture, restant un pur produit de la langue de mandingue jusqu’à son dernier jour. Alors, l’anarchie s’installe à partir de ce milieu des années 1980, et chacun veut garder sa part du gâteau dans le partage des dividendes politiciens. Les choses se gâtent et l’on se met à broder et ajouter des choses et des gens qui n’avaient rien à faire dans le milieu. Les déchirures commencent… Une source de désorganisation et d’affaiblissement qui va être aggravée par le manque d’autorité, les clivages et la lutte des intérêts divergents et encore…

Ainsi, au lieu de la mobilisation qui faisait la force de l’initiation mandingue, l’on assiste à une série de règlements de comptes, d’erreurs internes qui vont être difficiles à corriger. Elles ne sont pas soldées à ce jour. Et, certains devant l’impasse, ont préféré se retirer partant du fait qu’ils ne se retrouvaient plus dans ce délire d’indiscipline, de sabotage et de manque de perspectives. Les erreurs se sont multipliées jusqu’à ce jour de l’année 2012 où pour aller laver les circoncis, un groupe des selbés s’est heurté tôt le matin, à des jeunes d’un quartier du bord de mer, avec le risque de voir encore des violences et même des morts si certains comme l’ancien champion de judo, Khalifa Diouf, lui-même initié, ne s’étaient pas opposés. Peut-on continuer à travailler sur le Kankourang et son histoire, sans faire une introspection utilisée sur la chose en usant du dialogue interne, mais aussi externe pour impliquer tout le monde.

Phénomène culturel et populaire

Au-delà de la situation de Mbour, la crise est partout. La Casamance ne fait pas exception, les récentes évolutions urbaines ont fini par poser la question de la survie du phénomène. Kolda, Ziguinchor, Sédhiou, Vélingara, Mbour, l’espace manque pour faire passer le Kankourang et son convoi de garçons agités, dans l’ordre et la sérénité. Il n’y a plus d’espace. Plus de place pour le Kankourang, même si son succès en dépit des jalousies et des erreurs dans la mise ne scène ne faiblit pas…

Kolda. Dans les années 1960-70, c’est la ville du Kankourang. Le Fambondi est là comme le Grand djoujou. La ville est un centre de promotion de la culture mandingue en Casamance. Pendant les autres sont en perte de vitesse, Kolda est une ville de grand Kintang et de Kankourang répartis entre Douma sou, Gada para, Diogène, Bantang gnel et Saré moussa. Rattrapés par le non remplacement des cadres de la maison des circoncis d’hier, les jeunes n’ont pas assuré la relève. Aujourd’hui, personne n’a plus peur de personne. Le centre habité par des gens venus d’ailleurs principalement du Baol, a été transformé. Même situation du coté de Sédhiou. Ziguinchor ressemble à une véritable terre d’étrangers pour le Kankourang. Il n’y a plus rien.

L’on va sortir le Kankourang pour se faire de l’argent. Terrible. La discipline est morte, vive l’anarchie. A chacun son Kankourang et à tout moment qu’il y ait ou non des circoncis. Dakar entre aussi dans la valse des carnavals sans acteurs vrais avec un Kankourang qui passe quand il veut avec deux ou trois personnes derrière. Qui arrêtera l’anarchie ? Et Mbour dans tout cela ? Ville cosmopolite par essence, Mbour est une cité de rencontres. Dans ces années, la ville ne désemplissait pas le week end comme la période des vacances avec les premières stations balnéaires aménagées au Sénégal autour du Domaine de Nianing, du Club Aldiana et à partir de 1977, Saly Portudal. C’est aussi la période de l’envol du Kankourang.

Avec le succès que l’on connaît et ses travers. Mais, en ces années-là également, l’on ne se rend pas compte que la crise qui gangrène le système est dans son cœur même. Les contradictions entre moins jeunes et vieux virent à des explications musclées. Et, comme dans la communauté, on n’a pas pensé à un médiateur, la guerre de positionnement commence et ne s’achèvera qu’avec la suspension du Kankourang en 1980 et 1981. C’est la période de la remise en question.
Pendant que la Casamance perd petit à petit le combat de la crédibilité du maître des Djoudjou, à Mbour, l’on ne se donne pas les moyens de faire la corde qui s’est enroulée autour du cou de la bête. Deux années seront perdues qui s’avéreront finalement utiles jusqu’au retour du rite d’initiation.

Bouya Touré , Un grand maître tire sa révérence

Deux ans après le discret Chérif Daffé, un homme de l’ombre est encore parti avec toute sa science de l’éducation. Il s’appelait Cheikh Talibouya Touré. Cela commence à devenir une habitude. Grand batteur des tambours de la Khadriya lors des chants religieux, la jeunesse des années 1960-1970 se rappelle encore de cet homme fort et robuste qui pouvait tracer à lui seul, l’aire jeu du stade municipal de Mbour lors des classiques entre Espoirs et Espérance, Dc-Odb. A l’époque du vrai Navétane. Il savait tout faire dans une période où les choses n’étaient aussi faciles. Tout enfant en 1970, à l’école de l’initiation, on le voyait revenir dans le Djoudjou, le soir nous contaient les exploits d’un joueur qu’il aimait tant dans l’équipe de son quartier, à l’époque, on l’appelait aussi le Brésil. Ce joueur s’appelait Doudou Seydi, jeune milieu de terrain de l’équipe. C’est une facette de la personne. Il en avait d’autres.

Dans un univers en mal d’inspirateurs, des personnes de sa trempe devenaient de plus en plus rares. De l’initiation, ce vieil ouvrier maçon qui a participé après 1973 à l’édification du Gabon moderne est revenu chez lui rapatrié d’urgence pour raison de maladie. Resté presque handicapé, il n’a été pas inactif toute sa vie contribuant l’animation du djoudjou, tout le temps, le jour, la nuit, au petit matin, au tam tam, aux chants initiatiques etc. Le frère cadet de Manfodé, n’a pas hésité à prendre la relève quand son grand frère qu’il adorait tant, a été lui-même handicapé par la maladie qui va précipiter son décès. Sincère et d’un grand humanisme, celui qui parle la langue mandingue comme personne, aimait à chacune de nos rencontres m’entonnait quelques mots secrets dont l’histoire de « Tamba nala woulol » ( Tamba et ses chiens) ; ceci, pour rappeler la fidélité qui était le ciment des relations de famille autour des bâtisseurs du Djoudjou.

Des valeurs sûres, Mbour en a eu. Mais on s’en souvient pour leur rendre un petit bout de ce qu’ils ont donné aux jeunes initiés. Issa Seydi parti trop tôt. Grand maître de la chanson. Bodjan, lui aussi parti trop tôt, autre grand maître de la parole. Chérif Daffé, dit Shirifo, parti malade lui aussi et presque seul. La liste est longue. Alors quand Bouya meurt soudainement le 16 janvier de cette année, l’on se dit que le ciel tombe sur la maison des circoncis d’où l’on n’apercevra plus sa frêle silhouette…

Après la photo, le téléphone, l’internet, l’urbanisation : Le tout virtuel menace les tabous

Comment dans ce contexte, parler de valeurs en ne tuant pas le mythe ? Si les photographes d’hier qui ont eu des images plus nettes ont été agressés et dépossédés de leur outil de travail, la jeunesse d’aujourd’hui qui erre avec le portable et l’appareil numérique n’en a cure. Des photos et des images vidéo de Kankourang pullulent sur Google et You Tube. Aujourd’hui, avec les balles de pistolets, les négligences internes, l’indiscipline, l’internet et le portable (le téléphone) tout est devenu virtuel. Les histoires vraies n’ont pas de sens sur le portable des enfants d’aujourd’hui. Tout se raconte facilement, parce que le message le plus anodin est partagé par tous.

La preuve cette photo de deux Kankourang que deux initiés qui sont pas du même bord. Sortis au campus de l’université de Dakar il y a quelques années, sous l’égide du Groupe « Kekendo » les Kankourang fantaisistes se sont lancés dans des démonstrations très fortes. Alors là où il est marqué Kankourang à Mbour, une personne qui tient à la discrétion des éléments constitutifs de cet être hors norme, précise bien, que ce n’est pas à Mbour, parce que selon elle, « Ce n’est pas à Mbour. Et, de deux ce n’est pas un vrai Kankourang. Si c’était un vrai, personne n’oserai le filmer. » Il est vrai que l’initiative est venue des jeunes casamançais présents au campus dans le cadre de manifestations culturelles.
Cela pourrait être une bonne chose quand on se situe du côté démonstratif de la chose. Mais le risque de la banalisation est aussi présent si l’on ne prend des garde-fous font remarquer les uns et les autres. Devant le reproche qui leur a été fait à ce groupe de jeunes de justifier leur acte en plein Dakar, leur réponse n’en est pas moins claire, « Na keba (Mon grand en mandingue), a dit l’un deux, on aime et sommes fiers de nos origines et ce n’est pas en plein cœur de Dakar qu’on pourrait faire venir un vrai de vrai Kankourang des profondeurs de notre chère verte Casamance ni un sisal... Au lieu de critiquer sans connaître l’intention qui a été derrière tout cela ....le Kekendo marqué sur le dos de nos tee shirt, si tu a bien pu voir, c’est juste une fierté d’afficher ses origines casamançaises. D’ailleurs, la majorité de ces amis et frangins sont issus de Sédhiou… »

Ce débat fort intéressant sur le web démontre de l’intérêt que suscite le Kankurang dans l’univers culturel mandingue. Il est aussi l’illustration que le monde change. Aujourd’hui, même les retours de cérémonie de lavage à Kolda, Sédhiou et tant d’autres villes en Casamance sont filmés. Qui l’aurait cru il y a quelques années. Phénomène de mode, la photo est devenue ordinaire. Restons pour autant dans le mythe. Car, au-delà de toute forme de légèreté, le Kankourang n’est pas une personne comme une autre. En Gambie, on dit que ce masque dissimule l’identité du porteur et que l’identité cachée établit qu’aucun homme ordinaire n’a pas le droit de juger d’autres.

Donc, le masque déguisant la forme humaine est supposé avoir l’autorité pour agir sur les esprits. La forme non-humaine est devenue la pratique culturelle traditionnelle la mieux conservée par la communauté mandingue.

HISTOIRES COURTES : Le Kankourang raconté aux enfants

L’on est bien loin de cette fin d’après midi de ce dimanche de 1976 au moment ce pauvre « solima » européen qui a suivi le Kankourang toute la journée avec ses belles prises risquées, a failli trouver la mort en voulant juste raconter à ceux qui ne le savaient cette belle histoire qui se passait dans une belle d’Afrique : Mbour. Il avait raison. Et les autres non ! Il était en avance. Les Kintang eux se refusaient à toute forme d’innovation et de modernisation des rapports entre le grand initié et ses suivants et la société dans laquelle, on le regardait, fasciné, mais où l’on ne savait pas à quoi il servait. Et pourtant, ce jour-là, devant l’incompréhension, il n’y a peu d’explication, mais de la violence et de l’acharnement sur un homme qui voulait savoir.

La même année 1976, l’urbanisation aidant, Mbour est une ville qui fascine par la proximité de la mer, la douceur, les nombreux programmes offerts les week end, au Club Aldiana, au Domaine de Nianing, au Centre touristique… Alors pendant que le Kankourang danse et fait ses démonstrations osées, devant le Djoudjou de Santossou, un homme s’avance et demande ce qui passe. « Mais, pourquoi, se demande-t-il, il y a des gens d’un côté qui sont bloqués loin et d’autres qui sont près accroupis pour voir cette chose bizarre danser. C’est trop beau pour qu’on ne laisse pas tout le monde s’approcher », ajoute l’imprudente personne ; sans doute un étranger à la ville qui venait d’arriver.

Au moment de lui dire de s’éloigner par prudence, le jeune homme qui ne peut se retenir devant la beauté de la scène qu’il vient de voir de près, avance vers cet être mystique qu’il n’a jamais vu et le voilà en plein dans le piège. La suite est difficile à raconter. Soupçonné de faire du cinéma, il sera battu avec ses habits déchirés, ses chaussures derrière lui ; avant que d’autres personnes, des initiés ne l’aident à retrouver ses esprits. Des scènes courantes. Une autre histoire rocambolesque dans ce conte des mille et un jours, un après de 1977. Le soir avance, les jambes commencent à être lourdes et le soir de retour de Santossou toujours, vers le Djoudjou de Sadio kunda, une maison d’à coté de la maison des circoncis est pleine de visiteurs venant de Dakar et des quartiers de la ville un peu éloigné des lieux de passage des selbé (initiés) et leur maître.

Et voici qu’au milieu de la rue le Kankourang par un de ses gestes rapides dont il a seul le secret, pénètre comme par magie dans une maison remplie de femmes. L’une d’entre elles devant la vitesse de l’homme de la forêt, ne peut aller dans les chambres. Elle n’a pas eu le temps. Au moment d’avancer dans le fond de la cour pour se cacher, elle sent quelque chose derrière et tombe. Cet être aux formes d’être humains vêtu d’une écorce qu’elle n’ose même pas regarder, tomber comme hypnotisée, elle l’a sentie et la racontera après. Devant la force de la surprise et comme souvent maître de ses nerfs et au feeling, le Kankourang remue se grosse tête, et la laisse à sa peur et au bord de l’évanouissement.

Le lendemain, la voilà qui raconte à une de ses amies, « C’est fini, je ne savais pas ce que c’était réellement un Kankourang tant que vous ne l’avez pas derrière vous, sans oser le regarder, sentant le parfum fort de son accoutrement, le souffle…C’est un monstre…Jamais, finit-elle, je n’irai plus regarder çà hors de chez moi… » Autre histoire racontée par les victimes, la Casamance et la région de Kolda.

La victime s’appelle Iba Niang. Fils de Seyni Niang, natif de Mbour et ancien proviseur du lycée Van vo, vieil ami de Cheikh Anta Diop, et de mère antillaise Iba se rend en Casamance pendant ses vacances de 2011. Dans la brousse entre Kolda, Dabo, et Mampatim, le jeune homme accompagné d’un habitant des lieux, se promène et prend des photos de toutes les belles choses qu’il voit. Alors dans son récit, il dit son plaisir de se voir autorisé par son guide de prendre toutes les photos qu’il veut ; alors raconte-t-il « je me mets à tirer à chaque fois que je voyais quelque chose qui ressemblait à un Kankourang. Un moment, je suis même pris de peur en disant à mon guide, si je dois continuer. »
Le jeune homme est de Mbour donc connaît un peu la sévérité des suivants du Kankourang pour quiconque voudrait prendre des photos sur leur maître. « Alors, poursuit Iba Niang, à un moment, nous sommes sortis de la ville et nous sommes entrés en pleine forêt. J’entendais des cris au loin mais aussi tout près. A un moment, nous avons pris peur et nous avons garé la voiture sur là bas de coté de la route. Pendant que j’entendais les plus petits cris d’oiseau, un Kankourang, seul, tout rouge, sort dans la forêt pour traverser la route à quelques mètres de nous. Quand je l’ai vu, j’étais terrifié pensant qu’il allait se retourner et venir vers moi. Mon guide qui m’a autorisé les photos jusque-là avait plus peur que moi… C’est la frayeur de ma vie. Ce jour-là, je n’ai pas vu un Kankourang, mais autre chose. Quand on est rentré à la maison à Kolda, je suis tombé malade plusieurs jours sans oser raconter à la femme de mon hôte ce que nous avons vu… »

Depuis ce jour, lui aussi a changé de regard sur cet être mystique. Ce tous ces non initiés qui se moquaient du symbole de la cosmogonie mandingue ne savait pas, c’est quand, pendant les années de braise, pour faire face à la confrontation contre des gens mal intentionnés, le Kankourang pouvait imiter le cri du chat, du chien ou même lion. Seul, il pouvait pendant la nuit, donner l’impression par le nombre de pas qu’il vous fait entendre en courant, qu’il était accompagné de vingt voire cent personnes. La ruse, c’est le jeu favori des maîtres… Et, ne peuvent suivre que les initiés qui parlent le même langage que lui. Qui ose se mettre derrière un être qui peut tout de suite couvrir une dizaine de kilomètres à la vitesse d’une voiture s’il ne disparaît pas simplement dans la nature de nuit comme de jour.

Derrière toutes ces histoires racontées qui ne résument à eux seuls, toute la beauté de cette tradition, se cachent ainsi des moments de joie, ( au début de l’initiation avec la matinée de jambadong) et des larmes quand les « lambee »( initiés) entonnent le soir de la clôture des festivités avec un « Fo diary » ( à l’année prochaine en mandingue) derrière un Kankourang lui-même plus triste que ses suivants. L’on se souvient à ce moment précis des moments forts partagés avec Ké woulo en transes en pleine rue, donnant des coups à tout le monde. L’on garde le souvenir d’un ces jours qu’on n’oublie quand le groupe des dos durs : Mady Koté, (initié et ancien joueur de l’As Police, et homonyme du maître du Kankourang, son grand père paternel), Oumar Touré, ancien joueur de la Police et du Jaraaf, dur à cuir et grand initié lui-même, Lamine Daffé Hitler, le très courageux Sounkary Faty « Soung », qui n’hésitaient pas trouver l’homme au « fara », pour se faire placer deux trois coups sur le dos. Leur bonheur…

Que dire d’autres grands comme Malang Kady aujourd’hui non voyant qui seul osait se mettre sous la calebasse de « mono » (bouillie) placé entre deux Kankourang, pour le petit déjeuner des guerriers, le matin devant le Djoudjou. Un autre garçon que cette narration ne doit pas oublier, Nfaly Massaly. Garçon de cœur, le guerrier est mort jeune. Mais quelle bonté dans le cœur. Initié parmi les initiés donnait tout ce qu’il possédait Nfaly. Mort, très tôt, Nfaly, vouait un respect charnel au Kankourang, dont il n’a jamais décliné les offres de coups. Entre le délire fou et le courage, Nfaly avait fait le choix osant se mettre sur le chemin de n’importe quel « Ké woulo » à n’importe quelle heure.

Un jour, dans le grand djoudou, l’on entend des coups pleuvoir dans la case des circoncis tout de suite après l’entrée du Kankourang. Nfaly, qui sort de ce grand chambardement, pour dire à un de ses interlocuteurs, « Tu as entendu, les coups tout à l’heure ; l’autre garçon qui répond « Oui, mais je pensais que c’était le mur qu’on tapait ». Et Nfaly de le rassurer, un brin de sourire dans l’œil, « non, c’était sur mon dos, mais il ne peut rien contre moi… » C’était Nfaly. Un garçon à qui on doit énormément de respect pour son courage et sa grande bonté.

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