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Gestion foncière au Sénégal: Les goulots d’étranglement sur le foncier mis à nu par l’Ofnac
Publié le jeudi 18 aout 2022  |  Enquête Plus
OFNAC
© Autre presse par DR
OFNAC : Macky Sall reçoit trois rapports d’activités
Mardi 10 Mai 2022. Les rapports 2019, 2020 et 2021 de l’Office National de lutte contre la Fraude et la Corruption ont été remis au président de la République Macky Sall.
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À travers une étude commanditée par l'Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac), le Consortium pour la recherche économique et sociale (Cres) a identifié les nombreuses sources de litiges fonciers au Sénégal.

Mieux percevoir les vulnérabilités à la fraude et les opportunités de corruption. Cette perspective a motivé l'Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) à confier au Consortium pour la recherche économique et sociale (Cres) une étude sur la corruption dans ce secteur à problèmes qu’est le foncier. Une des conséquences de ce problème a été exposée par le président de la République, en octobre 2019, lors d’un congrès des notaires, en affirmant : ‘’Je peux même dire qu'au Sénégal, l'essentiel des alertes que je reçois, au quotidien, pour les risques de conflit, viennent, à plus de 90 %, du foncier.’’

Tel que sa mission l’y invite, l’Ofnac s'inscrit dans la logique d’identifier les pratiques de fraude et de corruption dans le secteur, en vue de proposer des mesures préventives ou correctrices. Les résultats de cette recherche ont été présentés dans un document intitulé ‘’Étude sur la corruption dans le secteur foncier’’.

À travers le Plan Sénégal émergent, le président de la République, Macky Sall, a entrepris de créer un nouveau pôle économique autour de la ville de Diamniadio. Depuis, c’est toute la zone et son hinterland qui ont été pris d’assaut par les promoteurs et les prédateurs fonciers.

C’est ainsi que les recherches, initialement prévues sur la région de Dakar, ont été élargies à la région de Thiès, et plus précisément aux départements de Mbour et de Thiès. ‘’C’est une zone caractérisée par l’existence de réserves foncières encore importantes, mais aussi qui abrite de grands projets structurants dans le domaine industriel, notamment de l’industrie extractive et celui du tourisme : présence de la Sococim, des Cimenteries du Sahel et de Dangote, des stations balnéaires de Saly et de Pointe-Sarène. La présence, dans la zone de l’aéroport international Blaise Diagne (AIBD), des pôles urbains de Diamniadio, de Daga Kholpa et du lac Rose, d’un certain nombre de zones industrielles, de l’université de Diamniadio, renforce l’attractivité de cette zone et, par voie de conséquence, la valeur du sol. Cela entraîne une ruée vers cette zone avec tout ce que cela comporte comme conséquences en termes de litiges et de pratiques de toutes sortes pour accéder au sol’’, justifie le document.

Des causes multiples et multiformes

L’étude réalisée par le Cres dans les départements de Dakar, de Thiès et de Mbour révèle que le non-respect des règles d’affectation et de désaffectation des terres du domaine national au niveau de certaines collectivités territoriales a pour origine une marchandisation du foncier et un laisser-faire au niveau des autorités chargées d’approuver les actes. Cela produit beaucoup de litiges qui aboutissent parfois au prétoire. L’analyse des décisions judiciaires révèle l’origine diverse des conflits et leur caractère multiforme. Beaucoup d’actes frauduleux sont à l’origine de ces conflits, mais certains d’entre eux résultent également de la mauvaise application de procédures pourtant prévues par les lois et règlements. L’étude a aussi révélé la raréfaction des terres du domaine national à affecter au niveau du département de Dakar et une certaine ruée vers les terres des départements de Thiès et de Mbour qui disposent encore de réserves foncières importantes. Les projets et réalisations en matière d’infrastructures dans ces zones y accroissent la valeur du sol.

L’augmentation rapide de la population en général et de la population urbaine en particulier a eu pour conséquence une hausse vertigineuse des besoins en matière foncière et une ruée vers les terres, surtout là où le sol a une certaine valeur marchande. ‘’Cette ruée vers le sol, combinée au caractère inopérant de la politique d’urbanisme, entraîne une certaine marchandisation de la terre et des conflits fonciers multiples’’, précise le document.

De plus, la sensibilité de la question foncière explique l’ancrage de l’idée que ‘’tout peut être mis en œuvre pour s’enrichir par le biais du foncier, car les risques de remise en cause sont minimes’’.

En effet, beaucoup d’initiatives ont été lancées pour réformer en profondeur le système foncier sans grand succès. Cela concerne, en 1996, le Plan d’action foncier qui ambitionnait de ‘’répondre au besoin d’améliorer la législation foncière et de l’adapter aux nouvelles orientations en matière de développement agricole et rural’’, le processus d’élaboration d’une Loi d’orientation agricole (LOA), en 2002, qui impliquait le président de la République dans la vente des terres du domaine national ; la Loi d’orientation agro-sylvo-pastorale (LOASP) de 2004 qui annonçait une réforme foncière pour 2006 encore attendue ; la Commission nationale sur la réforme foncière (CNRF) qui a remis au président de la République, le 20 avril 2017, un rapport qui n’a pas été validé. Pis, la commission a été dissoute le 26 mai 2017.

Une pléthore de propositions de réforme jamais appliquées

Du point de vue juridique, le foncier au Sénégal ne peut faire l’objet d’une perception unitaire, dans la mesure où les terres du domaine national (l’immense majorité des terres) coexistent avec le domaine de l’État subdivisé en domaine public et domaine privé, et les terres objets de titres fonciers appartenant aux particuliers.

La complexité de la question foncière au Sénégal, en général et à Dakar en particulier, se manifeste aussi par la multiplicité des intérêts des acteurs en présence (cause de multiples litiges fonciers), la prégnance du fait coutumier, la rareté, voire l’épuisement de réserves foncières pouvant faire l’objet d’affectation ou d’attribution par voie de bail.

La récurrence des conflits liés au sol est la résultante de l’ineffectivité du droit positif en la matière. Dans la zone d’étude, les conflits fonciers sont multiples et multiformes. Il y a d’abord les conflits entre investisseurs privés et populations locales. Car disposer d’un titre d’occupation légale d’un terrain et ne pas pouvoir en jouir du fait de l’opposition de populations estimant en être le propriétaire, est un phénomène très présent un peu partout au Sénégal, surtout dans les régions de Dakar et de Thiès. Un exemple qui l’illustre bien est ‘’l’affaire Ndingler’’ qui a défrayé la chronique en 2020. L’homme d'affaires Babacar Ngom, disposant d’un titre foncier sur 300 ha, était opposé à une partie des populations de Ndingler et de Djilakh, qui considèrent qu’une partie de cette assiette appartient à leurs ancêtres. Un litige foncier du même genre a opposé la société Filfili à plus d’une centaine de ménages du village de Keur Moussa.

D’autres conflits résultent d’opérations de déclassement, d’opérations d’expropriation ou d’immatriculation au nom de l’État, de problèmes de délimitation, de la pratique des lotissements, d’infractions diverses dont les principales concernent le faux et usage de faux dans des documents administratifs, et l’occupation illégale du terrain d’autrui.

Marchandisation effrénée de la terre

C’est toutefois les conflits nés de la marchandisation effrénée de la terre qui interpellent le plus. Lors de l’audience solennelle de rentrée des Cours et Tribunaux, le 18 janvier 2021, le procureur général près la Cour suprême déclarait que ‘’la gestion de la terre est devenue, pour certains élus et agents de l’État, un moyen d’enrichissement…’’. Cette étude lui donne raison, en montrant que dans l’environnement juridico-institutionnel du foncier au Sénégal, il y a, incontestablement, des facteurs favorisant la corruption : ‘’Il s’agit parfois de pratiques ancrées, de positionnements institutionnels, de dispositions légales ou réglementaires, etc. De même, l’évolution du contexte dans lequel le cadre juridique du foncier a été élaboré laisse apparaître beaucoup d’insuffisances mises à profit par des acteurs pas toujours vertueux pour en tirer toutes sortes de profits.’’

Les dispositions législatives, notent les experts du Cres, sont très claires : ‘’Les dépendances du domaine national et du domaine public sont inaliénables’’ (…) Dans la pratique, il y a une prolifération d’opérations de vente par acte sous seing privé, sans justification de titre de propriété, de vente d’un droit au bail sans autorisation préalable de l’administration ou vente par un héritier d’un terrain dépendant d’une succession non liquidée’’.

L'inaliénabilité est le caractère d'un bien ou d'un droit lorsqu'il est insusceptible de faire l'objet d'un transfert de propriété. Ce qui veut dire que sur les terres du domaine national, toute idée de propriété est déjà totalement exclue. Malgré cela, ces terres ‘’sont vendues partout au Sénégal avec une grande part de complicité des collectivités décentralisées et principalement des maires. Or, si le maire a des compétences propres dans certains domaines, en matière d’affectation et de désaffectation des terres, la compétence appartient, depuis 1980, au conseil de la collectivité, c’est-à-dire à l’organe délibérant’’.

Les deals des maires exposés

Le procédé est détaillé comme suit : pour contourner l’interdiction de vendre le sol, certains maires mettent en avant l’idée que ce n’est pas la terre qui est vendue, mais les peines et soins. Il faut voir, à travers cette notion, l’effort de mise en valeur, plus précisément tout ce qui a été édifié sur le sol. Ils mettent à profit les difficultés d’adéquation entre la loi sur le domaine national et d’autres textes sectoriels comme le Code forestier, pour violer le principe d’inaliénabilité.

En effet, depuis la loi n°93-06 du 4 février 1993 portant Code forestier modifié, le droit de propriété des personnes privées, physiques ou morales sur les plantations réalisées sur le domaine national est reconnu.

Comme toutes les autres études avant elle, celle du Cres préconise des réformes du cadre juridique du foncier pour l’adapter aux exigences d’un développement durable, tout en créant les conditions d’une gestion apaisée et en éradiquant toutes les vulnérabilités à la corruption. Les recommandations ont été faites pour chaque compartiment du régime foncier sénégalais. Pour ce qui est du domaine national, il s’agit de l’aménagement d’un environnement juridique sécurisant permettant un partenariat gagnant-gagnant entre investisseurs privés et communautés locales ; une meilleure légitimité conférée aux délibérations des conseils (la majorité absolue des membres composant le conseil devrait être exigée) ; l’adoption d’un modèle type de délibération.

Concernant le domaine privé de l’État, l’étude préconise de suivre les dynamiques de déconcentration et de décentralisation en cours au Sénégal ; de créer les conditions d’une plus grande célérité dans l’instruction des dossiers par l’administration foncière ; d’instaurer une plus grande transparence dans la gestion du domaine privé de l’État ; une nécessaire extension à moyen terme du cadastre en milieu rural ; une matérialisation rigoureuse des limites des collectivités territoriales ou encore une réglementation plus stricte à propos des lotissements.

Pour optimiser le cadre institutionnel, le Cres estime que l’institution d’un guichet unique pour l’instruction des demandes d’attribution de terrain du domaine privé de l’État ou d’autorisation de lotissement, avec des délais impartis aux intervenants dans le processus, contribuerait très largement à éradiquer les lenteurs sujets à des opportunités de corruption.
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