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Accès aux méthodes de contraception: Fais des enfants et tais-toi !
Publié le jeudi 10 mars 2022  |  Enquête Plus
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© Autre presse par DR
Lutte contre le paludisme
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Au Sénégal, comme partout ailleurs dans le monde, les femmes mariées ont le droit de faire leurs propres choix et de décider de faire des enfants ou non, à quel moment et leur nombre. Cependant, la réalité est tout autre. Elles sont confrontées à des obstacles d’ordre financier et structurel pour avoir accès à des produits contraceptifs et notamment à la contraception d’urgence.


Dispositifs intra-utérins, implants, contraceptifs injectables, pilules, préservatif masculin, spermicides et préservatif féminin, méthodes permanentes comme la stérilisation féminine et masculine… Les méthodes de contraception restent assez diversifiées, mais beaucoup de femmes n’osent pas aborder le sujet avec leur conjoint, de peur de faire voler en éclats le foyer. Entre pesanteurs sociales, manque d’autonomie financière, puissance paternelle, les femmes sont souvent obligées de faire des enfants. Bon gré, mal gré !

‘’Vous avez vu mes enfants, on dirait que je les ai tous eus le même jour. Je suis fatiguée d’accoucher sans espacer les naissances. Mon époux ne cesse de m’insulter quand je lui parle de contraception. Pis, il en parle à sa mère qui m’insulte elle aussi. Alors, j’ai ma stratégie pour échapper aux grossesses’’, témoigne Salimata Niane, 16 ans de mariage, six enfants, toutes des filles. Pour éviter d’être une machine de fabrique d’enfants, n’osant plus demander de l’argent pour la contraception, elle avait pris l’option de refuser tout rapport sexuel pendant ses périodes fécondes. ‘’Cela le mettait en colère et il passait la nuit dehors. Mais je devais résister, parce qu’il y va de la santé de nos enfants’’, ajoute la jeune femme.

Compte tenu des limites de cette stratégie, hantée par la possibilité de nouveaux accouchements, Salimata a finalement décidé de prendre de l’argent sur la dépense quotidienne pour se procurer une méthode contraceptive en cachette. Pendant ce temps, son mari, lui, continue de rêver d’un septième enfant, un garçon. ‘’Il me dit de consulter un médecin. Il pense que je n’arrive plus à concevoir. Mais je lui ai dit qu’il faut tout laisser entre les mains de Dieu’’, explique Mme Niane, un brin espiègle.

Rosalie Ndour vit presque la même situation que Salimata. Après le mariage, elle a été contrainte de démissionner de son travail, à cause d’une première grossesse difficile. Pour cette jeune dame qui ne veut pas vivre aux dépens d’un homme, le choix n’a pas été facile. Mais elle n’avait pas le choix, tout en espérant retrouver son poste après l’accouchement. Hélas ! Sept mois seulement après ce premier accouchement, la voilà une nouvelle fois enceinte. Elle décide alors d’abandonner son rêve de travailler pour s’occuper de ses deux bouts de chou. Mais afin de se prémunir et d’assurer un bien-être à sa progéniture, Rosalie a opté pour une méthode contraceptive sans en parler à son mari. Elle se défend : ‘’Je ne suis pas obligée de lui en parler. Il l’a mal pris au début, mais a fini par comprendre. Il faut que les hommes comprennent qu’on n’est pas obligées tout le temps de les consulter sur des choses nous concernant. J’ai le droit de consulter un médecin, quand je veux, car il s’agit de ma santé. C’est la même chose en matière de santé de reproduction. Il y a énormément de femmes qui meurent dans les salles d’accouchement. Il faut que les hommes sachent qu’en refusant aux femmes ce droit d’espacer les grossesses, ils les mettent en danger sans le savoir.’’

A l’instar de Rosalie, Diana Diatta a décidé de faire un break, après deux accouchements acquis coup sur coup. En effet, alors qu’elle était en congé pour la première fois après sept ans de travail, elle a eu son premier bébé. Avant de reprendre le boulot, elle est encore retombée enceinte. Une grossesse très difficile, qui a failli non seulement lui coûter son emploi, mais aussi la vie. Dans la salle d’accouchement, Diana a, en effet, eu des complications. Les médecins lui ont fait une césarienne d’urgence pour récupérer l’enfant. Cela fait maintenant huit ans. Depuis, elle utilise une contraception pour gérer sa carrière. ‘’Les gens doivent savoir que le taux de mortalité maternelle est très élevé. Il est inadmissible que des femmes continuent à perdre la vie en donnant la vie. Il est temps que nous les femmes pensions à nous, à nos carrières professionnelles, entre autres. Aujourd’hui, pour recruter une femme, les sociétés hésitent, parce que tout le monde pense que les hommes sont plus productifs. Pendant que nous donnons naissance tous les ans, les hommes, eux, travaillent. C’est injuste. Nous avons les mêmes droits’’, conseille-t-elle.

‘’Parfois, on oublie que nous avons les mêmes droits que nos époux’’

S’il y a des femmes qui mettent en avant leur propre santé pour justifier leur besoin d’espacer les grossesses, d’autres invoquent leur travail pour se défendre. Aïcha Diop est hôtesse de l’air. Elle a un garçon âgé de 5 ans. Pour le moment, elle ne veut pas entendre parler d’un autre enfant. D’ailleurs, confie-t-elle, son travail ne le lui permet même pas. Et c’est la priorité. ‘’Je ne peux pas associer ce travail avec la maternité. Un enfant suffit. C’est pourquoi j’ai fait une contraception. D’ailleurs, je peux rester des mois sans le voir. Dans la vie, tout est question de choix. On ne doit pas limiter notre avenir au mariage ou à la conception. La femme est libre de ses choix. J’ai des ambitions, une carrière à gérer. A quoi ça sert aussi de faire des enfants si on ne les voit pas ou on les voit rarement ? Tant que mon mari me comprend, le reste je ne gère pas’’, explique Aïsha Diop qui travaille dans une compagnie aérienne arabe.

Et jusque-là, cela semble être le cas. Le mari la comprend, même si lui aurait souhaité avoir plus d’enfants, après neuf ans de mariage. Mais les règles du jeu ont été fixées dès le début de la relation. Ayant rencontré celui qui devait être son mari dans les avions, elle lui a dès le départ fait part de l’importance qu’elle accorde à son emploi. Ce dernier de témoigner : ‘’C’est après notre lune de miel que ma femme m’a informé de son désir d’utiliser des contraceptions. Elle venait de changer de compagnie. Du coup, elle ne voulait pas tomber enceinte et ça se comprend. Aujourd’hui, nous avons un fils de 5 ans. J’en veux d’autres, mais c’est elle qui conçoit et elle est en mesure de savoir ce qui est bien pour sa santé. Moi, je la soutiens’’, précise Abdou Fall, non sans relever que l’accès à la santé de la reproduction est un droit pour la femme et qu’il faut le respecter.

L’argent, le nerf de la guerre

Si Diana a eu le choix, d’autres n’ont pas eu cette chance. N’ayant pas une certaine autonomie financière, elles sont obligées de discuter avec leur conjoint, afin d’obtenir l’argent nécessaire à l’achat des produits contraceptifs. Oureye Lô témoigne : ‘’Juste avant de tomber enceinte de mon dernier enfant, j’étais allée dans un centre de santé pour profiter de la semaine de gratuité de la contraception. Mais je suis arrivée trop tard ; la semaine de gratuité était terminée. J’avais demandé à mon mari de l’argent. Déjà, en temps normal, quand on demande de l’argent pour certaines dépenses, c’est tout un problème. Vous imaginez alors quand c’est pour des produits contraceptifs.’’

A l’instar d’Oureye, Astou Ndiaye, vendeuse de jus de fruits, est elle aussi confrontée aux mêmes difficultés. Si elle avait les moyens de se payer des produits contraceptifs, confie-t-elle, elle n’aurait pas eu autant d’enfants. A 25 ans, mariée à un homme polygame, elle compte déjà six enfants. Elle déclare : ‘’J’ai eu mon premier enfant à 21 ans. Il y a moins d’un an de différence entre les enfants. Ce n’est qu’au quatrième que j’ai connu la contraception. Au début, mon mari s’est opposé en soutenant qu’il me répudierait, si je fais la contraception. Par la suite, quand il s’est rendu compte qu’il devenait de plus en plus difficile de les prendre en charge, il a accepté. Mais il a dit que si je tombais malade à cause de la contraception, j’assumerais toute seule.’’

Ainsi, Astou supporte toute seule les coûts de sa contraception. Avec l’argent qu’elle obtient de la vente de jus de fruits, elle nourrit aussi ses enfants. ‘’La contraception, soutient-elle, coûte cher. Il y a des moments où j’ai des difficultés pour renouveler ma contraception, car je n’ai pas d’argent. Si j’avais eu l’information plus tôt sur la contraception, je n’aurais jamais eu six enfants. Les maris, ici, prennent toutes les décisions de la famille, même sur la contraception. Je souhaite que la contraception soit rendue gratuite.’’

Alors que la question divise la société, que certains hommes rechignent à permettre la contraception à leurs épouses, d’autres estiment que la femme devrait pouvoir prendre ses propres décisions. ‘’Moi, j’ai laissé le choix libre à ma femme. C’est elle qui n’a pas voulu faire la contraception, mais nous avons des naissances espacées. Il faut que les gens comprennent que c’est un droit. La femme, si elle le désire, peut faire le planning familial, même sans l’aval de son mari. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. J’ai vu un couple se séparer à cause des méthodes contraceptives’’.

Le coût de la contraception

Fatou Fall est sage-femme d’Etat. Elle soutient être témoin d’atteinte aux droits humains ou de violences infligées par les maris aux femmes, parce qu’elles avaient recours à la contraception. ‘’Les hommes, dit-elle, sont souvent en colère lorsqu’ils s’aperçoivent que leur épouse ou des membres de la famille de sexe féminin ont recours à un moyen de contraception… Un d’entre eux est venu me dire une fois : ‘C’est moi qui l’ai épousée. Il faut donc mon autorisation avant qu’elle ne puisse utiliser la contraception.’ Les hommes pensent que la contraception peut être un subterfuge pour l’infidélité’’, renseigne-t-elle.

Selon sa collègue Binta Dème, outre le facteur argent, il y a les normes sociales qui posent aussi problème. ‘’Même dans le cas où elles ont de l’argent, l’autorisation du mari est nécessaire et ce dernier a du mal à donner son accord. Il y a une mère qui utilisait [l’implant] Norplant. Elle est venue au centre pour que l’implant soit enlevé, en disant que son mari s’est opposé à la contraception. Les infirmiers ont discuté avec elle pour lui dire que c’était son choix d’insérer le Norplant. Le lendemain, elle est revenue pour insister afin qu’on le lui enlève. Les infirmiers ont finalement accepté. Après une discussion, elle explique que la situation était houleuse à la maison’’, rapporte Binta.

Embouchant la même trompette, la comptable Jeanine Mendes, 30 ans, trois enfants, raconte une mésaventure qu’elle a failli avoir à cause d’une histoire de contraception. Elle revenait d’une causerie organisée par les femmes de son quartier sur la question, aux Parcelles-Assainies. ‘’Lorsque mon mari a lu les fiches (sur la contraception), il m’a accusée d’avoir utilisé ces méthodes sans son avis. J’ai essayé de lui expliquer comment je les avais obtenues. Il a failli me battre devant les enfants. Il a brûlé toutes les fiches. Pourtant, je travaille, mais comme mon mari n’en veut pas, j’ai laissé tomber. Je préfère utiliser la méthode de comptage de mes menstrues. Je maitrise bien cette méthode. Je suis très soumise’’, confirme Mme Mendes.

Pour leur part, Sylvain Sambou et Abdoulaye Faye imputent certaines réticences à la pauvreté. ‘’La plupart des hommes, précise M. Sambou, sont durs de nature et la pauvreté les rend amers. Quand une femme aborde la question de la contraception, les hommes estiment qu’il s’agit d’une dépense supplémentaire qui s’ajoute à la liste déjà longue des dépenses du ménage’’.


DROIT À LA SANTÉ, NOTAMMENT À L’ACCÈS AUX SERVICES DE PLANIFICATION FAMILIALE

Le droit à la santé recouvre notamment le droit à la santé sexuelle et reproductive. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies a précisé que le droit à la santé, en vertu de l’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le droit à la santé recouvrait les services de santé sexuelle et reproductive, notamment l’accès à la planification familiale. Le droit d’avoir accès à des informations et aux services en matière de contraception repose sur les droits des femmes et des filles à l’égalité et à la non-discrimination, leur droit à la vie, à la vie privée, à la santé, leur droit de choisir librement et de façon responsable le nombre et l’espacement des enfants, et sur leur droit à l’information.

Dans ce contexte, le Comité sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a déclaré que les femmes et les filles doivent être ‘’informées des moyens de contraception et de leur utilisation, et avoir un accès garanti à l’éducation sexuelle et aux services de planification familiale‘’.

De la même façon, conformément à la Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples relative aux droits des femmes en Afrique, les États ont l’obligation de garantir que les femmes et les filles ont ‘’le droit d’exercer un contrôle sur leur fécondité‘’ et ‘’le libre choix des méthodes de contraception’’.

En outre, le Programme d’action de la Conférence internationale sur la population et le développement (un document de référence fondé sur un consensus politique international) a reconnu le droit de tous les individus à avoir accès à des méthodes de planification familiale de leur choix, qui soient sûres, efficaces, abordables et acceptables.
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