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Dérapage de l’affaire Imam Serigne Lamine Sall: Les dangereux glissements incontrôlés dans le dialogue interreligieux au Sénégal
Publié le mercredi 2 mars 2022  |  Enquête Plus
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C’est à croire que personne n’apprend des erreurs des autres. Malgré le vivre-ensemble bien imprégné entre différentes communautés religieuses, certaines transgressions dans l’interprétation de la foi menacent un modèle social sénégalais ou l’intolérance prend de plus en plus de place.

Quatre jours ont passé. La douleur est encore là. Les propos de l’imam Serigne Lamine Sall, jeudi 24 février sur les antennes de la télévision Walfadjri, dans l’émission ‘’Diiné ak Diamono’’, font toujours aussi mal à la communauté catholique sénégalaise. D’une voix officielle, l’archidiocèse de Dakar, au nom de l’Eglise catholique du Sénégal et du Conseil national du laïcat (CNL) s’en est plaint hier, dans une lettre de protestation adressée au président du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA). Pour des ‘’propos blasphématoires et offensants tenus à l’encontre de la communauté catholique nationale et au-delà’’, celle-ci ‘’exige du respect mutuel et réciproque pour une paix durable’’ à l’encontre d’une communauté qui n’a ‘’fait de tort à personne, ne se prononce pas sur le fondement de la foi des autres’’. Surtout sur les antennes médiatiques où les conséquences de dérives non contrôlées peuvent être très fâcheuses.

Car, révèle la lettre de l’archidiocèse de Dakar, il aura fallu ‘’beaucoup d’entregent pour calmer les fidèles chrétiens qui sont en train de s’organiser pour apporter une riposte à la mesure de l’insulte. Celle-ci a été d’assimiler la religion chrétienne à la franc-maçonnerie, avec des propos d’une rare gravité et un amalgame sans précédent. A l’antenne, l’imam Sall a soutenu, dans les propos rapportés, que ‘’quiconque peut entendre chaque dimanche des gens qui disent que Dieu a un fils, ce sont les catholiques, ce ne sont pas des croyants (‘juulit’) ; chaque dimanche, ils vivent dans ce Sénégal. La franc-maçonnerie est une religion, or il y a deux religions, l’islam et les mécréants. Si on peut donc accepter que des mécréants appellent à la prière chaque dimanche et en aient le droit, on peut aussi accepter les francs-maçons, car c’est pareil…’’

‘’Des fidèles chrétiens prêts à apporter une riposte à la hauteur de l’insulte’’

La méconnaissance et la légèreté avec laquelle l’imam Sall a abordé ce sujet sur le plateau d’une télévision sans être recadré ou interrompu, ont valu la colère de la communauté chrétienne à l’auteur, à la chaîne et à l’animateur. Trois coupables desquels l’archidiocèse de Dakar attend des excuses publiques. Car de tels dérapages interpellent, ‘’musulmans comme chrétiens, en ce sens qu’ils peuvent contribuer à saper notre cohésion nationale’’.

Au pays du Ngalax et du dialogue islamo-chrétien, de Léopold Sédar Senghor (premier président chrétien d’un pays pourtant à plus de 99 % de musulmans) ou encore de Barthélemy Dias, nouveau Maire chrétien de Dakar, les amalgames sur la foi catholique ne sont malheureusement pas un fait rare. Malgré le vivre en commun, des alertes menaçant cette cohésion sociale ont été maintes fois répertoriées ces dernières années.

Une incompréhension majeure avait abouti à des affrontements entre des fidèles chrétiens et les forces de l’ordre à Dakar, lorsqu’en 2009, le président de la République Abdoulaye Wade avait défendu la construction du monument de la Renaissance africaine, la comparant aux statues que l’on retrouve dans les églises. L’ancien chef de l’Etat avait affirmé, faisant allusion aux chrétiens qu'''ils prient Jésus Christ dans les églises, tout le monde le sait, mais (…) est-ce qu’ils (les imams, NDLR) ont jamais dit de casser les églises ?". Des échauffourées avaient alors débuté, après que le cardinal Théodore Adrien Sarr, Archevêque de Dakar, a affirmé, lors de son "message de Nouvel An", devant des centaines de personnes rassemblées dans la cour du collège de la Cathédrale qu’ils (les chrétiens) se sentaient meurtris et humiliés que ‘’la divinité de Jésus Christ, cœur de notre foi, soit mise en cause et bafouée par la plus haute autorité de l’Etat".

Des précédents qui n’ont pas servi de leçon

D’autres épisodes sont passés entretemps. L’interdiction du voile islamique à l’institution Sainte Jeanne d’Arc de Dakar (ISJA) en 2019, a montré comment un fait anodin a pris des proportions inquiétantes dans un pays où le vivre-ensemble a toujours prévalu sur les différences ethniques, religieuses, politiques, etc. Dans cette affaire, indissociablement liée à une histoire de foi, filles musulmanes voilées versus ‘’école catholique’’, la majorité des chrétiens ont pris fait et cause pour l’ISJA, indexant une laïcité à deux vitesses. De même, la majorité des musulmans ont soutenu les filles voilées au motif que le Sénégal est un pays à majorité musulmane et que l’ISJA doit prendre cela en compte. Ces positions n’ont fait qu’envenimer une situation, dans la mesure où la foi l’a emporté sur la raison et le droit.

Plus récemment, en avril 2021, des affrontements ont opposé des disciples du marabout Serigne Bara Sène à des jeunes de la communauté chrétienne, dans le village de Diohine, dans la sous-préfecture de Tattaguine. Le guide religieux qui s’est installé dans cette localité à majorité chrétienne, était accusé de saper la bonne cohabitation qui existe entre les différentes communautés religieuses, à travers des prêches incendiaires et son exubérance. Le calme n’est revenu qu’après les médiations des autorités locales et de la gendarmerie de Fatick amenant le marabout Serigne Bara Sène à présenter ses excuses.

Les exemples font légion, mais n’ont, jusqu’ici, que rarement débouché sur des affrontements directs entre communautés religieuses. Cette exception est de plus en plus menacée par les mutations sociales engendrées par les technologies de communication. L’amplification des discours irresponsables par leur accessibilité à grande échelle à travers les réseaux sociaux, augmente les risques d’une dégénération de l’équilibre social par des faits religieux. Le danger n’est pas qu’entre communautés de religions différentes. Au sein des musulmans, les différentes confréries font face à ce défi de maîtrise de la parole publique.

Walf mise en demeure, l’imam Sall s’excuse

Pour cette affaire impliquant l’imam Serigne Lamine Sall, les indignations ont eu l’effet escompté. Après réception de la lettre de protestation de l’archidiocèse de Dakar, le CNRA a mis en demeure la télévision privée. Elle est sommée de ‘’prendre les mesures appropriées pour mettre un terme définitif à de pareils manquements et à observer une application stricte de la réglementation’’. Mais aussi à ‘’présenter, notamment dans le prochain numéro de ‘’Diiné Ak Diamono’’, ses excuses à la communauté catholique et aux Sénégalais’’ (voir ailleurs).

Il faut dire que la chaîne télé n’avait pas attendu cette mise en demeure pour présenter, à travers un communiqué officiel, ses excuses à la communauté chrétienne et aux Sénégalais. Si le communiqué du CNRA n’évoque pas l’imam Serigne Lamine Sall, ce dernier aurait également fait une sortie, par audio, sur les réseaux sociaux, pour ‘’présenter (s)es excuses à (ses) parents chrétiens, si (s)es propos leur ont causé le moindre tort. Cela n’a jamais été (s)on intention de (s)’en prendre à eux’’. ‘’Je voudrais que nous vivions tous en paix et que cela continue’’, dit-il.

Lors de l’émission en cause, l’imam Sall assure n’avoir pas senti évoquer des mots qui visaient une agression envers la communauté chrétienne. ‘’Je voulais dire que les membres de la plateforme And Samm Jikko Yi n’ont pas le droit religieux de lancer une lutte en compagnie d’alliés qui ne sont pas des musulmans’’, se défend-il. En versant dans la polémique, il s’en est créé une qu’il aurait bien évitée.

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DR PAPE SERIGNE SYLLA, SOCIO-ANTHROPOLOGUE

‘’Il y a très peu de savants musulmans dans notre pays et beaucoup trop d’imams amateurs’’

L’expert questionne le vivre-ensemble au Sénégal, de plus en plus agressé par de nouveaux comportements sociaux. Pour le Dr Pape Serigne Sylla, spécialiste des questions religieuses à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS-Paris), la société sénégalaise est en train de mettre en danger les ‘’nuances sociales’’ qui font sa force, devant des convictions spirituelles parfois fondées sur des amalgames.

Le Sénégal est souvent loué à travers sa stabilité sociale, de même que religieuse. Cela inclut une bonne intégration de la communauté chrétienne dans un pays majoritairement musulman. Mais on note, de plus en plus, de transgression d’un ‘’pacte social’’ de non-agression en communautés religieuses. Comment expliquer cela ?

Il est vrai que notre pays est bien souvent cité en exemple sur les questions épineuses de stabilité politique et de paix sociale en Afrique. Toute une symbolique du vivre-ensemble y est construite par-delà les différences ethnico-spirituelles. Je pense, contrairement à ce qui ressort des opinions, que cette stabilité n’est pas du fait exclusif du dialogue inter-religieux. Bien que chaque Sénégalais se définit à l’aune d’une tradition religieuse dite révélée (islam, christianisme), notre identité commune, celle qui nous rend si proches les uns des autres, ne tient d’aucune de ces traditions religieuses. Dans la même logique, le contrat social sénégalais est bien antérieur au modèle politique laïc légué par la contingence historique de la colonisation.

Nous sommes d’abord et par-dessus tout un peuple foncièrement ancré dans une identité culturelle enrichie par des nuances et emprunts de tout bord. La transgression de ce que vous appelez ’’pacte social’’ est justement le fruit d’un étouffement de notre identité culturelle au gré de nos convictions spirituelles. De plus en plus de personnes oublient que le Sénégal n’est pas un pays musulman, mais un pays de musulmans. Cela peut expliquer les dérapages que vous pouvez constater dans certaines sorties médiatiques.

On a l’impression qu’il existe parfois des confusions dans la connaissance de textes religieux, que le chrétien est assimilé à un non-croyant. Est-ce que l’on ne devrait pas travailler ces questions dans les différentes chapelles religieuses (musulmanes ou chrétiennes) ?

Vous savez, l’on peut faire dire aux textes religieux ce que l’on veut. Il suffit simplement, à titre d’exemple, de dégainer certains extraits du Coran et les apposer à une doctrine quelconque pour excommunier, bannir ou mépriser des gens qui n’ont rien demandé. Cette approche radicale des textes religieux a jusqu’ici épargné le Sénégal. Mais depuis quelques années, la tendance inverse est remarquée. À supposer qu’il faille prôner le fait religieux au Sénégal, l’approche gnostique pour le christianisme ou soufie pour l’islam me semble plus en adéquation avec la société sénégalaise. Les organisations confrériques ont réussi ce pari depuis près de trois siècles, malgré leurs imperfections. Mais des dissidences wahabistes gagnent du terrain. Cela est palpable dans les médias mainstream, mais surtout sur les réseaux sociaux virtuels (Facebook, Instagram, etc.). Bien évidemment, il faut un vrai travail théologique pour déconstruire les tendances radicales au sein de ces traditions religieuses. Il y a très peu de savants musulmans dans notre pays et beaucoup trop d’imams amateurs. C’est malheureusement ces derniers qui semblent porter la voix crédible aux yeux des croyants. Il n’y a plus un jour qui passe sans que la communauté chrétienne du Sénégal ne soit agressée symboliquement par des discours, allusions et raccourcis spirituels de quelques ‘’prêcheurs du dimanche’’. Voilà un véritable danger qui ne cesse de guetter notre pays.

On voit les mobilisations pour la criminalisation de l’homosexualité au Sénégal, des amalgames sur le terrorisme (musulman = terroriste selon certains). Doit-on expliquer ces notions quelque peu ‘’taboues’’ pour faire face aux mauvaises interprétations ?

La force du mépris de phénomènes comme l’homosexualité est souvent proportionnelle à la radicalité religieuse. Donc, tous ces sujets se recoupent. Si vous observez bien, la grande majorité des figures de proue des mouvements anti-LGBT au Sénégal est constituée d’imams et/ou activistes favorables à l’application de la charia dans notre pays. Je ne dis pas que leur combat n’est pas légitime, mais attention au glissement vers une radicalité religieuse plus exacerbée, qui serait préjudiciable pour d’autres minorités (chrétiens, animistes, etc.).

Au-delà des faits religieux, beaucoup de limites du vivre en commun sont de plus en plus franchies (Le promoteur Gaston Mbengue qui traitait Barthélemy Dias de non-sénégalais ; un député qui demandait aux Peuls de prendre les armes pour défendre un troisième mandat du président Macky Sall, etc.). Comment retravailler cette société pour que ses acquis et gages de stabilité ne se perdent pas dans un monde en profond bouleversement ?

J’en pense qu’il s’agit là encore de symptômes de la crise identitaire déjà amorcée dans notre pays. Les verrous de certains tabous ont déjà sauté. Sans vouloir verser dans le pessimisme, je ne vois pas comment sortir de cette crise sans une volonté commune de faire société ensemble, chose qui paraît beaucoup moins évidente. Quelques lueurs d’espoir peuvent venir de circonstances fédératrices comme cette récente victoire de l’équipe nationale de football à la Can.

Est-ce que l’accès aux médias ne devrait pas mieux être régulé, vu l’impact social que peuvent avoir de telles dérives ?

Vous soulignez là une grande problématique. Il est vrai qu’une dose supplémentaire de fermeté est requise chez les organes de régulation des diffusions audiovisuelles. En regardant les chaînes de télévision sénégalaises, l’on est bien souvent contrarié par l’amateurisme qui les caractérise, notamment sur des sujets aussi sensibles que la religion, les groupes ethniques et leur cohabitation. Il est inconcevable, à titre d’exemple, qu’un imam auto-désigné puisse insulter toute une communauté religieuse à la télévision, à une heure de grande écoute, sans faire l’objet de sanction disciplinaire, voire pénale. Les propos irresponsables de certains religieux ou autres personnages publics, participent à accentuer la fissure de notre socle identitaire. L’État devrait également se saisir de cette question et faire preuve d’une plus grande fermeté.
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