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Tel Quel Pr Isaac Yankhoba Ndiaye: Le ‘’Messi’’ de la FSJP
Publié le mardi 1 juin 2021  |  Enquête Plus
Isac
© aDakar.com par DR
Isac Yankhoba Ndiaye, ancien vice-président du Conseil constitutionnel
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Il est ‘’une exception à tous points de vue’’. Ce témoignage est revenu plusieurs fois, samedi dernier, à l’occasion de la cérémonie de remise de Mélanges en l’honneur du Professeur Isaac Yankhoba Ndiaye, plus connu sous le nom de Jacob, ancien doyen de la Faculté des science juridiques et politiques, ancien vice-président de l’assemblée de l’Université, ancien vice-président du Conseil constitutionnel.

Il est à la faculté de Droit de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, ce que l’Argentin est au club espagnol de Barcelone. Comme Messi dans son club, Isaac Yankhoba Ndiaye est l’un des rares professeurs à pouvoir se targuer de faire l’unanimité ou presque, auprès même de ses propres étudiants. Et malgré les années qui passent, cette réputation reste intacte dans les murs de la Faculté des sciences juridiques et politiques comme en dehors. De lui, les étudiants ne se lassent jamais. Hier comme aujourd’hui, Jacob, comme on l’appelle affectueusement, est dans tous les cœurs.

En 2006 déjà, le Président Kéba Mbaye lui décernait ‘’le Prix de l’applaudimètre’’. Il réagissait ainsi, suite à sa brillante présentation par le Professeur, à l’occasion du Discours inaugural de l’Ucad. 15 ans plus tard, ce samedi 29 mai 2021, le natif de Thiès a encore fait trembler l’applaudimètre. C’est dans une salle archicomble, comme lors du fameux discours de 2006, qu’il a été célébré par ses pairs de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, particulièrement de la faculté des sciences juridiques et politiques, qui lui ont dédié les Mélanges intitulés ‘’Le droit africain à la quête de son identité’’. Comme à leur habitude, les étudiants ont répondu très massivement présent.

Entre Jacob et les étudiants, c’est une relation particulière connue au-delà des limites de la faculté de Droit, en raison de ses vertus pédagogiques bien au-dessus de la moyenne. Ancienne étudiante, Seynabou Fall a quitté sa maison, dès les premières heures de la matinée, pour ne rien manquer de la cérémonie d’hommage au Doyen. Hélas pour elle, la cérémonie dont le coup d’envoi était prévu à 9H30 va démarrer avec un bon retard. Mais qu’à cela ne tienne, celle qui s’est pointée, dès les coups de 7 heures du matin, a tenu à attendre jusqu’au bout. Teint noir, très élégante dans sa tenue, elle témoigne : ‘’Au-delà de ses innombrables qualités en tant que professeur, je dirai que je tenais plus à rendre hommage à l’humain, pour cette incroyable capacité qu’il a à donner, sans rien espérer en retour. Aussi bien en amphi qu’en dehors, le doyen Jacob était prêt à répondre aux multiples sollicitations des étudiants. Il a toujours été une énorme source de motivation et d’espoir pour nous qui avons eu la chance d’être ses étudiants. Je suis venue tôt, parce que j’avais peur de ne pas avoir de place, si j’arrivais en retard’’.

Et les anecdotes ne manquent pas à la jeune dame pour saluer la ‘’bonté’’ et la ‘’générosité légendaire’’ du professeur émérite. Un jour en 2e année, se rappelle-t-elle souriante, un étudiant posait la question suivante : ‘’j’entends souvent droit positif, droit positif… Existe-t-il alors un droit négatif et qu’est-ce que c’est ?’’. Et d’ajouter : ‘’Tous les étudiants en riaient, car nous étions tous censés, à ce stade, savoir c’est quoi le droit positif... Nous riions beaucoup, mais Jacob est resté zen et serein. Quand le calme fut revenu, il dit : ‘Merci d’avoir posé la question. Il faut savoir que vous êtes encore au stade de l’apprentissage ; c’est normal que vous posiez des questions….’ Et il avait pris tout son temps pour répondre. Cette grande humilité et ce sens élevé du respect m’a beaucoup marqué’’.

A la fac de Droit, même les membres du personnel administratif, technique et de services n’ignorent cette qualité dont les étudiants sont les meilleurs juges. Leur représentante à la cérémonie, la syndicaliste Dieynaba Leil témoigne : ‘’Jacob n’était pas généreux que sur sa poche. Il l’était aussi sur son savoir. A la fac, quand vous entendiez des applaudissements nourris dans l’amphi, ce n’était même pas la peine de demander. On savait que c’est Jacob qui faisait son cours avec les étudiants. Il a une relation extraordinaire avec les étudiants. Même après son cours, ces derniers le suivaient jusque dehors pour lui poser des questions. Il en a toujours été ainsi durant tout le temps où j’ai servi à la Faculté. Il mérite amplement ce jour’’.

Cette empathie a su traverser bien des générations d’apprentis juristes. Certains, devenus des collègues, s’émerveillent toujours de la constance du Prof. Leur porte-parole se rappelle le bon vieux temps, quand elle était de l’autre côté de l’amphithéâtre. ‘’Les étudiants ont toujours eu une profonde admiration envers le Professeur, pour la passion avec laquelle il professait ses cours et pour la litanie avec laquelle il les dispensait. Ce qui emplissait l’amphithéâtre, en faisant venir même les étudiants déserteurs des cours magistraux. Cette admiration qui frise l’adulation demeure toujours de par la finesse de sa pédagogie, jusque dans la diction et la gestuelle’’.

Un poète du droit et un soldat du savoir

Adulé par des générations d’étudiants, Jacob est également respecté et aimé par ses collègues et congénères pour sa maitrise exceptionnelle des sciences juridiques. Pour le Doyen Ndiaw Diouf, promotionnaire du dédicataire, son condisciple est tout simplement un homme hors du commun. ‘’Ecce homo’’ (voici l’homme), clame-t-il pour l’introduire. Avant de préciser : ‘’Dans la bouche de Ponce Pilate, gouverneur de Rome, ces mots avaient plutôt pris une autre tonalité, mais dans la mienne, ils ont le gout de l’admiration fraternelle et de l’estime. Car ils me servent d’introduire la figure d’un personnage qui a le charme des âmes saines. On les admire sans jamais leur être familiers. Mesdames et Messieurs voici l’homme, ecce homo ; ecce Isaac Yankhoba Ndiaye : le professeur, le chercheur, le soldat du savoir, le poète du droit qui est à l’honneur ce matin’’.

Parler de l’universitaire Jacob, pour Pr Ndiaw Diouf, c’est loin d’être chose aisée, ‘’tant les contributions qu’il a apportées à la science juridique, les services rendus à l’université et à la société sont immenses’’. Ayant consacré sa thèse de troisième cycle à l’université de Poitiers au Droit social, Jacob a embrassé, de par ses enseignements et ses travaux, presque toutes les branches du Droit : Droit du travail, droit de la famille, droit des obligations, même le droit constitutionnel. Ce qui est loin d’être une surprise pour son ami inséparable. ‘’Les travaux de sa thèse : ‘Le sort du contrat de travail face aux vicissitudes de l’entreprise’ révélaient déjà ses aptitudes à s’évader de son domaine de prédilection et à élargir en permanence son champ de réflexion. Ses travaux postérieurs ont confirmé cette étonnante facilité à passer d’une discipline à une autre en droit privé, voire même à s’émanciper de ce droit pour titiller le droit public’’.

Aujourd’hui, renchérit le présentateur, dans les plus grandes bibliothèques d’Afrique et d’ailleurs, ‘’les publications du Doyen Jacob en Droit social, droit des contrats, droit de la responsabilité civile, de la famille côtoie ses articles en droit constitutionnel. Cette extrême diversité a rendu très difficile la recherche d’un titre pour les mélanges que la communauté scientifique a décidé de publier pour lui rendre les honneurs’’.

Panafricaniste convaincu, Jacob a contribué à l’enseignement de plusieurs générations de juristes dans tous les pays du continent. Son condisciple précise : ‘’Remarquable universitaire, il est connu de tout l’espace africain francophone, en raison de ses riches et fructueux enseignements dans toutes les grandes universités francophones, particulièrement à l’UCAD dont il est non seulement le serviteur, mais aussi l’un des plus vaillants ambassadeurs’’. Plus qu’un simple lieu de travail, l’Université est en effet sa seconde résidence. Une de ses cousines rapporte : ‘’Souvent, quand je demande de ses nouvelles à son épouse, elle rétorque : ‘il est chez lui’. La première fois, je lui ai demandé, étonnée, où ça ? Elle rétorque : l’Université’’. Pour le Doyen Ndiaw Diouf, c’est parce que son binôme a une haute conscience de sa mission qu’il considère comme un sacerdoce.

Issus de la même promotion avec d’illustres autres personnalités dont les magistrats Cheikh Tidiane Coulibaly, Demba Kandji, Henry Grégoire Diop, l’avocate Maitre Borso Pouye, pour ne citer que ceux-là, Ndiaw Diouf et Jacob ont eu des parcours presque identiques. La même année, ils décrochent leur maitrise avec mention, se rendent en France la même année, reviennent au Sénégal la même année pour être recrutés en même temps par l’Ucad. Ce n’est pas tout, les deux hommes ont également passé et réussi l’agrégation la même année, avant d’être nommés Maitres de conférence. Sur le plan administratif, ils se seront succédé l’un par l’autre et vice-versa à bien des postes dont le décanat de la FSJP, la vice-présidence de l’assemblée de l’Université, du Conseil constitutionnel, le secrétariat général de la conférence des juridictions constitutionnelles africaines, au Comité technique spécialisé des sciences juridiques et politiques du Cames, au jury de la section droit privé du concours d’agrégation des sciences juridiques politiques économiques et de gestion…

Pourtant, dans son cursus, rien ne le prédestinait au Droit. Il a même été orienté à la faculté des Lettres, après le baccalauréat. ‘’C’est en allant voir Demba Kandji que le cours m’a séduit et j’ai décidé de le rejoindre’’. Par le hasard également, il est devenu chargé des cours en droits des obligations, alors qu’il était spécialisé en Droit du travail. ‘’Le chargé de ce cours devait partir et on me l’a proposé’’, confie-t-il simplement.

Fils du Cheminot, Issakha Ndiaye, Jacob a grandi à Thiès, entre les cités Pilon et Ballabey. Aujourd’hui encore, malgré les nombreux titres et grades, il est resté profondément attaché à son terroir, très fidèle en amitié. Tous les dimanches, confient ses amis et proches, il est à Thiès. ‘’Pour paraphraser le chanteur Ismaila Lô, il n’a pas oublié les amis avec qui il buvait le thé, parce qu’il a atteint les sommets. Tous les dimanches, on prend le thé ensemble. Aussi, il est resté un pur thiessois. Même son épouse, il l’a prise à Thiès, dans le même quartier. C’est pour vous dire qu’il n’a jamais coupé les liens avec sa ville’’.

Très humble, l’ancien assesseur avait l’habitude de dire à ses étudiants, ‘’je ne suis pas plus intelligent que vous. L’avantage que j’ai par rapport à eux, c’est juste d’être né avant vous, à une époque où on n’était pas assez nombreux…’’. Ailleurs, dans une vidéo réalisée en son honneur, il y a quelques années, il répétait : ‘’Je suis loin d’être très intelligent, comme le pensent beaucoup d’étudiants. C’était surtout une question de volonté…’’. Pourtant, il a eu sa maitrise avec la mention, le bac avec la mention, à l’école primaire déjà, ses rédactions étaient montrées en exemples de classe en classe, révéleront plusieurs témoignages, des années plus tard. Mais à n’en pas douter, l’un des secrets de la réussite du Prof, c’est sa mémoire d’éléphant, si l’on en croit un de ses condisciples à la fac.

Il disait : ‘’Un jour, de retour d’un cours magistral, il est passé à ma chambre et s’est enquis des raisons pour lesquelles je m’étais absenté. Je lui fis alors savoir que j’avais un empêchement et lui demandai son cours pour recopier. Il me dit : ‘je vais te le dicter de mémoire’. Je lui ai dit, mais tu n’es pas sérieux. Il a insisté et c’est devenu un jeu. Quand il a fini, j’ai regardé son cours et le mien, il n’y avait aucune différence’’.

Ayant connu tous les honneurs, l’ancien vice-président du Conseil constitutionnel n’en aime pas moins les choses terre à terre. Ses amis, avec lesquels il passe l’essentiel de son temps libre, sont pour la plupart cheminots, footballeurs ou chômeurs. ‘’Chez moi, c’est genre Grand Place, disait-il. On se réunit tous les dimanches entre 9H et 17H ; on se chahute entre copains. A l’époque, c’était le jeu de dames, mais avec l’âge, on nous dit que l’islam l’interdit. Maintenant, on passe le temps à discuter, se chahuter, parler politique... Si vous me trouvez là-bas, vous allez demander si c’est vraiment le doyen Jacob. Vraiment là, il n’y a pas le stress de Dakar’’, disait le chantre du Droit, qui, pour citer la porte-parole des membres du personnel qui rendait hommage à son épouse, ‘’n’est jamais venu au travail mal-habillé ou avec un sandwich’’.
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