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Campagne agricole 2020-2021 : L’équation de la distribution des intrants
Publié le mardi 7 juillet 2020  |  Enquête Plus
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© Autre presse par DR
Grand reportage : Formé à l`Institut Confucius de Dakar, un jeune Sénégalais a créé une ferme agricole à Touba
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Pour cette campagne agricole 2020-2021, les prévisions pluviométriques sont favorables, le budget alloué est en hausse. Toutefois, certains blocages persistent.

Cette année, la mise en place des semences a démarré dès le mois de mai, selon les autorités. Une innovation par rapport aux années précédentes. Malgré cela, les opérations de distribution des intrants agricoles (semences et engrais) ont une fois de plus connu un retard.

En effet, dans la région Sud où les premières pluies ont été observées en début juin, plusieurs agriculteurs ont déploré l'absence de ces éléments essentiels jusque durant la dernière semaine du mois de juin. Selon le collectif des producteurs et exportateurs d'arachides, il s'est trouvé que les magasins de stockage reçoivent également les vivres de l'aide alimentaire. Et donc, la distribution des vivres a empiété sur celle des intrants.

Le budget alloué à la campagne agricole s'élève à 60 milliards de francs CFA, soit une hausse de 20 milliards, en comparaison à l'année dernière. Dans cette somme, 23,5 milliards sont prévus pour les engrais, 15 milliards pour les semences d'arachide, 12,5 milliards pour diverses semences (riz, niébé, maïs, sorgho, sésame, fonio, pastèque et manioc) et 3 milliards pour les semences de pomme de terre.

En outre, 900 millions reviennent au prix des producteurs de coton, en guise de soutien, 3 milliards sont destinés aux programmes d'équipement du monde rural: 1 milliard pour le Programme de relance de la filière banane, 100 millions pour le Programme de micro-jardin et enfin 1 milliard pour la protection phytosanitaire.

Selon le ministre de l'Agriculture et de l'Equipement rural, les semences d'arachide s'élèvent à 72 000 tonnes comme l'année précédente. L'argent supplémentaire permettra de revaloriser le prix aux fournisseurs, qui passe de 40 à 70 F CFA/kg. Cela va servir à augmenter la subvention de 10 %, pour maintenir les prix de cession aux producteurs à des niveaux similaires à l'année dernière, malgré l'augmentation des prix observés au cours de la campagne de commercialisation.

Par ailleurs, les quantités d'engrais disponibles doivent atteindre 150 000 tonnes cette année; soit une augmentation de 50 %. Et l'Etat augmente de 5 % la subvention pour les engrais. Les semences de riz seront subventionnées à 100 % et celles de mil et de maïs vont, selon la tutelle, connaitre une hausse pour permettre une production céréalière de 3,4 millions de tonnes (une hausse de 23 % par rapport à la campagne précédente).

Ainsi, les quantités de semences de riz passent de 7 000 à 10 000 tonnes, celles de semences de niébé de 11 500 à 15 000 t, le maïs de 1 750 à 3 000 t. Parmi les 3,4 millions de tonnes (Mt) de production de céréales, on compte 1,5 Mt de riz, 950 000 t de mil et 630 000 t de maïs. Parallèlement, la production d'arachide est attendue à 1,5 Mt. Toujours dans le cadre des prévisions, le Sénégal s'attend à 3,3 Mt de diverses espèces telles que le manioc, la pastèque et le niébé, et à 25 000 tonnes de coton. Toutes ces mesures, à commencer par la hausse de 20 milliards de francs CFA, visent, selon le ministre Moussa Baldé, à augmenter les quantités des intrants, à soutenir les petites exploitations agricoles, mais aussi à les rendre plus accessibles aux producteurs de même que le matériel agricole. Sauf que dans le monde rural, les paysans sont confrontés à un bon nombre de difficultés devenues récurrentes. Un fait qui n'a pas fini de jeter le discrédit sur les chiffres officiels annoncés après la récolte.

MATAM- CAMPAGNE AGRICOLE

Les mille et un problèmes des producteurs

La région de Matam a connu ses premières gouttes de pluie, il y a deux semaines. De timides précipitations, sans lendemain, se sont abattues principalement dans le département de Kanel. Le ciel, nuageux par endroits et les récurrentes tempêtes de sable ont fini, cependant, d'annoncer l'installation imminente de l'hivernage. Les producteurs avisés sont déjà à pied d'oeuvre pour démarrer la campagne hivernale, avec le cortège d'impairs qui l'accompagne.

Le soleil, au zénith, surplombant les rares oiseaux dans le ciel, a tonifié ses rayons qui font ruisseler de grosses gouttes de sueur sur le front des paysans en action dans les champs excentrés à Ndouloumadji-village. Les terres sont défrichées à coups de hache et de coupe-coupe par de jeunes garçons, pour la plupart des talibés dans des écoles coraniques de la bourgade. L'envie de répéter cette année les incommensurables efforts est intacte, malgré le piètre rendement de la campagne écoulée. "Je n'ai quasiment rien obtenu de ma récolte de l'année dernière; c'était peine perdue'', lance M. Sao, cultivateur. Cette mauvaise récolte est en réalité la résultante de plusieurs facteurs désavantageux, en outre, d'une pluviométrie hasardeuse.

La quantité de la récolte est tributaire de la qualité de la logistique déployée. Mais à Matam, région à fort potentiel agricole, ils sont légion, les producteurs, à se plaindre de ne pas être suffisamment appuyés par l'Etat, à l'image de M. Soumaré, producteur habitant à Ndouloumadji Dembé. "Je suis producteur et je dispose d'un champ d'une superficie de 21 hectares, commence-t-il par préciser d'emblée. Mais je peux te dire que l'agriculture dans la région de Matam est minée par beaucoup de problèmes. C'est ce qui fait que les campagnes agricoles sont de moins en moins fructueuses. L'Etat a mis les moyens dans l'agriculture, mais pour en bénéficier, il faut avoir une coloration politique. Il y a des politiciens à qui on a remis des machines qu'ils ont garées dans leur maison. Ils déclarent qu'ils sont des producteurs, alors qu'ils ne disposent même pas du moindre hectare. Ils n'ont jamais mis les pieds dans un champ et pourtant c'est à eux qu'on donne les engins. Les vrais producteurs sont laissés en rade. C'est ce qui décourage ceux qui ont décidé d'investir dans l'agriculture''.

Avec la modernisation de l'agriculture, les producteurs sont invités à faire usage de tracteurs, mais cela semble loin de régler les problèmes, renseigne Soumaré. "Pour avoir un tracteur qui coute 10 millions, le ministère de l'Agriculture nous demande une caution de 4 millions. C'est une somme qui n'est pas à la portée de tout le monde. Ensuite, il faut préciser que ces tracteurs, une fois qu'ils tombent en panne, c'est difficile de trouver la pièce de rechange. Parfois, les techniciens vous demandent de passer une commande jusqu'au Brésil. La preuve en est que nous, dans notre structure (Cellule des producteurs de semences de la région de Matam) avons eu une moissonneuse-batteuse qui est tombée en panne depuis plus de deux ans. La pièce de rechange était introuvable au Sénégal. On nous dit que si nous voulons la réparer, nous devons passer une commande au Canada ou au Brésil. Voilà le problème. Quatre-vingt-quinze pour cent (95 %) des tracteurs qui arrivent dans cette région n'ont pas de pièces de rechange'', conclut-il. Lui qui finalement préfère prendre des tracteurs privés en location.

Cette présente campagne risque d'être une longue traversée du désert pour les producteurs de semences. Le ministère de l'Agriculture, dans le contexte de la Covid-19, aurait, en effet, offert 200 tonnes de semences aux cultivateurs de la région. Ce qui ne fait trop les affaires des semenciers. "L'Etat dit qu'il veut nous aider, mais il fait tout à l'envers. Ils ont apporté 200 tonnes de semences dans la région qu'ils vont distribuer gratuitement aux cultivateurs. Si vraiment ils voulaient nous aider, ils allaient acheter ces semences, ici dans la région, pour nous aider. Mais ils sont venus avec leurs semences. On ne sait pas où ils les ont achetées et ils les distribuent. C'est déplorable'', fulmine ce jeune producteur. "Je suis en train de récolter pour trier les semences. Mais à qui je vais les vendre, puisque, présentement, chaque agriculteur dispose de semences. J'ai investi plus de 4 millions dans cette campagne, mais j'ai bien peur de ne pas pouvoir écouler mes semences'', poursuit-il avec amertume.

Spéculations sur l'engrais subventionné

Toutefois, cet appui du gouvernement en semences est accueilli à bras ouverts par les paysans qui n'en demandaient pas moins. Cependant, ils réclament des aménagements pour étendre leurs terres cultivables. Dans le casier agricole sis à Ndouloumadji, dans la commune de Nabadji Civol, les terres sont morcelées en parcelles de 0,5 ha. Leur président, M. Sao, réclame plus d'aménagements, afin que chaque membre puisse disposer d'au moins 0,80 ha. "Nous voulons plus d'aménagements, car il y a encore de l'espace à côté. Si la Saed accepte de nous faire ces aménagements, chaque producteur pourrait se retrouver avec 1 ha ou au minimum 0,80 ha. C'est mieux, car avec les dépenses que nous faisons, il nous faut une plus grande surface pour nous en sortir''.

À côté de ces plaintes, des voix fustigent la qualité des aménagements. Le patron d'une grande boutique à Ourossogui se dit lésé. "J'ai aménagé plus de 20 ha avec bien entendu l'aide de la Saed, mais je suis au regret de constater que je ne pourrais exploiter que 15 ha. C'est parce que sur l'autre surface, la qualité laisse à désirer''.

Les petits cultivateurs payent le plus souvent le plus lourd tribut dans le business qui entoure la production agricole. De puissants hommes d'affaires achètent une grande quantité d'engrais subventionnés qu'ils revendent à prix fort, après quelque temps de stockage, révèle Soumaré. "Quand vous allez à la Direction régionale du développement rural (DRDR), ils vous diront qu'il n'y a plus d'engrais dans les entrepôts. C'est parce que les hommes d'affaires ont tout acheté. C'est à 9 600 F qu'ils achètent le sac, c'est-à-dire le prix subventionné. Ils vont stocker toute cette quantité. Ils sont riches et peuvent acheter d'un coup plus de 20 tonnes d'engrais. Après quelque temps, ils revendent le sac d'engrais à 16 000 Fet le petit cultivateur sera obligé de l'acheter, car n'ayant pas le choix. C'est vraiment un gros business et seuls les nantis sont privilégiés''.

Djibril Ba

EMMANUELLA MARAME FAYE
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