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Art et Culture

Harcèlement dans le cinéma : Le collectif «Même pas peur» menace de dénoncer les prédateurs
Publié le mardi 3 mars 2020  |  Le Quotidien
Azata
© Autre presse par DR
Azata Soro, la réalisatrice et comédienne
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En pleine célébration du Cinquantenaire du Festival panafricain du cinéma et de la télévision (Fespaco), le monde du cinéma découvre avec horreur l’agression dont a été victime la réalisatrice et comédienne, Azata Soro, défigurée au tesson de bouteille par le réalisateur Tahirou Ouédraogo. Une attaque dont elle porte encore aujourd’hui les marques et qui en a fait l’icône du Me Too en Afrique à travers le collectif «Même pas peur». Présente à Dakar dans le cadre du Festival film femme Afrique, Azata Soro annonce la fin de l’impunité et promet la divulgation des noms des prédateurs.

Qu’est-ce qui explique votre présence au Festival film femme Afrique ?
Je suis au festival en tant qu’invitée pour participer aux tables rondes sur le harcèlement et les violences faites aux femmes. Et partager mon expérience et parler aussi du mouvement en Afrique et présenter les perspectives qu’on a pour les victimes, comment trouver une solution pour éviter d’autres victimes de harcèlement et de violence.
Vous aviez marqué la dernière édition du Fespaco en témoignant de l’agression que vous aviez subie de la part du réalisateur burkinabè, Tahirou Tasséré Oue­draogo, qui vous a littéralement balafrée avec un tesson de bouteille. En lançant ce mouvement «Même pas peur», qu’est-ce qui a changé depuis ?
Ce qui a changé, c’est que j’ai eu beaucoup de témoignages. Le témoignage qui m’a le plus marquée, c’est celui d’une dame de 60 ans qui a été victime pendant plus de 8 ans de son chef. Elle m’a dit que c’est depuis 1981 et elle n’en a jamais parlé. C’est seulement à cette table ronde ici au Festival film femme Afrique qu’elle a pris la parole pour dire publiquement ce qui lui est arrivé. Je ne vais pas la citer parce qu’elle ne veut pas être connue. C’est une grande dame de la culture africaine qui est connue partout. Ça me touche parce que généralement les quelques victimes qui osent parler, sont de ma génération. Dans la culture africaine, on dit, un enfant ment. Nous, on nous considère comme des enfants. Mais quand une personne de son âge, de sa trempe, qui a tout ce bagage, quand elle te dit ça, tu ne peux pas ne pas le croire. Donc, c’est un atout d’avoir cette dame avec nous et ça nous touche énormément.
Les violences et les harcèlements, c’est une pratique répandue dans le milieu du cinéma ?
Ce n’est pas que dans le milieu du cinéma, c’est partout. Comme nous, on est devant les caméras, c’est ce qui fait qu’on en parle plus. Moi, ma sœur est décédée le 24 février 2016 des suites de coups. Elle a été bastonnée par son mari et a perdu la vie en donnant la vie. Pourtant elle n’a rien à voir avec le cinéma, elle est enseignante. Donc c’est partout. Vraiment, c’est parce qu’on a la chance d’être devant les caméras et les journalistes, on nous voit plus, sinon c’est partout.
Vous portez encore la trace de votre agression. Qu’est-il arrivé à votre agresseur ?
(Avec un petit rire) Rien du tout. Et il vit toujours bien chez lui. Il a même été célébré il y a quelques mois dans mon pays. Mais voilà…
C’est comme quand les Césars ont récompensé Roman Polanski du prix du meilleur réalisateur. C’est comme si c’était l’impunité qui était récompensée ?
Il y a une amie qui est aux Etats-Unis, une réalisatrice italienne, qui m’a envoyé un message pour dire, «je suis écœurée, j’espère que tu te portes bien». Elle sait que je ne suis pas bien. J’attendais ça en fait, je pensais que la France allait marquer le coup, parce que là-bas les droits sont encore mieux respectés qu’en Afrique. Donc on se disait qu’ils allaient marquer le coup en essayant de le dégager. Mais ils ont quand même eu le culot de lui donner le prix. C’est que quand on est trop puissant, on ne vous touche pas, on se permet de faire ce qu’on veut.
C’est déjà difficile en France qui est une société plus libèrée, en Afrique, ça doit être encore plus compliqué. Comment vous gérez ça dans votre collectif ?
C’est ce que je dis, notre éducation africaine fait que…moi, dans ma culture, il y a un adage qui dit aux hommes, que Dieu vous donne une femme mouton. On dit ça pour dire une femme qui ne parle pas, qui est soumise, «l’idiote» en fait. Donc quand tu parles, tu n’es pas une vraie femme africaine. Parce que je parle, je me fais insulter partout. Je ne parle pas seulement de harcèlement au travail, dans les bureaux, il y a aussi le cyber harcèlement que je vis. On m’envoie des messages, on m’insulte matin, midi, soir. Mais quand à côté tu reçois des messages de victimes qui te disent qu’elles ont vu ton message et que ça leur a donné le courage de porter plainte, tu oublies tout ce qu’ils disent.
Pour l’avenir, vous allez initier des actions dans votre collectif ?
Ce qu’on va faire, c’est d’abord en Afrique de l’Ouest. Ce qui est le plus difficile, c’est de parler. Moi-même, mon harcèlement a commencé en 2011 mais c’est en 2019 que j’en ai parlé ouvertement. Il faut qu’il y ait des spécialistes en Afrique. Chez moi, quand tu vas voir un psy, on dit que tu es folle. Permettre d’abord aux victimes de parler, de s’exprimer et dire ce qui leur est arrivé. Et ne pas être jugé. Parce que une fois que tu dis, «j’ai été victime de ça», il y a les mêmes questions qui reviennent, comment tu étais habillée, pourquoi tu t’es tue pendant tout ce temps, tu profitais de cette situation, ainsi de suite. Pour nous, c’est d’abord de mettre en place un système où les victimes pourront venir parler et un accompagnement juridique si elles veulent porter plainte et les accompagner jusqu’au bout.
Les réalisateurs prédateurs, vous arrivez à les identifier ? Il y a une liste de noms par exemple ?
Oui. J’ai fait une liste.
Vous allez la rendre publique ?
A oui ! A fond ! Au Fespaco, j’ai dit, je n’ai plus peur. C’est la phrase qui est sortie, je ne l’ai pas calculée. Je vais citer les noms et que chacun assume ce qu’il a fait. A force de se taire, ils continuent parce qu’ils disent qu’ils ne sont pas inquiétés. Mais quand on va citer des noms… Et quand je cite le nom de quelqu’un, c’est que j’ai mes preuves. Je ne vais pas juste citer des noms pour salir. Et ils doivent commencer à beaucoup trembler parce qu’on va beaucoup parler. Et ça vient.
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