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Entre concessions, consensus et mésintelligences : le jeu électoral au Sénégal, de Senghor à Macky Sall
Publié le jeudi 19 septembre 2019  |  Senenews
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© Autre presse par DR
Entre concessions, consensus et mésintelligences : le jeu électoral au Sénégal, de Senghor à Macky Sall
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Toujours au cœur des contentieux, l’organisation des élections au Sénégal n’a jamais manqué de libérer des passions entre acteurs politiques d’une part et membres de la société civile d’autre part. La tradition électorale du Sénégal remonte au 19ème siècle certes mais depuis l’indépendance, l’organisation des scrutins présidentiel, législatif, local et sénatorial butte sur des contestations avant, pendant et après. Si les deux alternances politiques sont possibles grâce à des concessions des régimes des présidents Diouf et Wade, le sentier reste encore énorme pour le président Sall surtout après les législatives controversées de 2017 et la présidentielle contestée de 2019. C’est pour cette raison que les résultats du dialogue politique actuellement en cours sont attendus avec un intérêt particulier.

Le Sénégal s’essaie à l’exercice électoral depuis 1848 même si ce premier rendez-vous ne concernait que les localités de Saint-Louis et Gorée. Mais au fur et à mesure que le collège électoral grossit, sa convocation de devient une affaire aussi sérieuse que sensible. Cet exercice démocratique, parce que les enjeux prennent parfois le dessus sur la transparence, est devenu porteur de danger. L’accession du Sénégal à la souveraineté nationale n’a pas aidé pour autant à amoindrir les contestations et à éclairer le jeu démocratique, loin de là. S’il est vrai qu’il faut saluer la stabilité politique sauvegardée par le président Léopold Sédar Senghor au tout début de l’indépendance, il faut aussi préciser que cela est dû en grande partie au fait que le jeu n’était pas ouvert à cause du parti unique d’abord et du multipartisme limité ensuite.

Les élections sous le président Senghor, des rendez-vous sans enjeux

Hormis l’épisode de décembre 1962, avec le fameux « coup d’état » du président du conseil Mamadou Dia, tout le règne du président Senghor s’est fait sans opposition majeure. Un système d’élimination des opposants minutieusement élaboré finira par installer un vide politique en face de Léopold Sédar Senghor, président et candidat de l’Ups (Union progressiste sénégalaise). Malgré le fil à retordre que lui donnaient ces challengers sur le plan idéologique, Senghor pouvait se satisfaire de leur faible poids sur le plan politique. Visiblement, l’engagement des Majmouth Diop (Parti africain de l’indépendance en 976) et de Cheikh Anta Diop (Front national sénégalais en 1963 puis le Rassemblement national démocratique en 1970) entre autres leaders, n’avait pas produit les retombées attendues politiquement nonobstant le fait qu’ils aient eu bonne presse auprès de l’opinion et qu’ils aient été porteurs d’une offre différente.

Des scrutins remportés avec 100% des voix

Lors de sa première élection présidentielle en 1963, le président Senghor, candidat de l’Ups, a obtenu la totalité des suffrages. Le score de 100% dont il était crédité s’explique par l’établissement d’un filtre qui devait retenir les candidats de l’opposition. En effet, pour être candidat à cette élection-là, il était impératif d’avoir le parrainage de 10 députés. Malgré les manifestations qui découlèrent de ce système de parrainage, et qui avaient occasionné des morts et des blessés, le candidat de l’Ups, seul face au peuple, rafla tout sur son passage. Cette méthode de Senghor, à la limite électoralement antidémocratique, sera reconduite lors des élections de 1968 et 1973 d’où le président sort à chaque fois avec un score de 100%.

Ce n’est qu’en 1978 qu’une vraie élection aura lieu pour la première fois au Sénégal indépendant. L’opposant Abdoulaye Wade, ayant profité de la brèche du multipartisme limité pour créer son parti en 1974, va réussir à se faire un bon score. Ses 17,80% ont mis fin au pseudo-plébiscite dont pouvait s’enorgueillir le régime socialiste. Ce résultat de Wade est d’autant plus honorable qu’il intervient après l’intégration de l’internationale socialiste par l’Ups en 1976, et le changement de l’appellation en Ps (parti socialiste) par la suite. Pour la première fois, le président Senghor a battu campagne en tant que porte-étendard du Parti socialiste (PS), pour la première fois il n’obtient pas 100% des voix.

Abdou Diouf, entre tensions et concessions

L’arrivée au pouvoir du président Abdou Diouf favorise l’avènement du multipartisme intégral. Les formations politiques vont crescendo et naturellement, cela va avoir des conséquences sur la hausse constatée du nombre de candidats à l’élection présidentielle. Après 20 ans de règne, le Parti socialiste est certes essoufflé mais continue de tirer son épingle du jeu. Cependant, les contestations d’une rare violence (des émeutes de rue) notées au sortir des élections de 1983 et 1988 avec les forts scores du Ps qui sont estimés respectivement à 83,5% et 73% vont pousser le président Diouf à améliorer l’organisation du scrutin pour en garantir la transparence.

Les pratiques frauduleuses et les contestations de 1983 et 1988

Les contestations de 1983 sont nées des cas de fraudes avérées fortement provoquées par une décision de la Cour suprême. A la veille de l’élection, l’institution « en principe chargée de veiller à la régularité des opérations électorales, rendit un arrêt supprimant l’obligation pour chaque électeur de présenter une pièce d’identité au moment du vote » selon M. Jacques Mariel Nzouankeu dans un article publié dans Le Monde Diplomatique en juin 1988. Les mêmes schémas de fraude seront à l’origine des violences et contestations d’une telle ampleur que Wade et des opposants furent arrêtés et l’état d’urgence décrétée en 1988.

C’est alors que le président Diouf a compris qu’il faut de grandes réformes. La première des mesures sera le code consensuel de 1992, dirigé par le juge Kéba Mbaye. Pendant plus de deux décennies, ce code restera la référence en matière électorale, du processus au scrutin proprement dit. Quoique sa pertinence n’ait jamais été remise en question par les opposants, la première élection présidentielle suivant l’adoption de ce code fera resurgir les démons de la contestation.

Le chef de l’opposition Wade et ses partisans crient à la fraude et refusent de reconnaître les résultats issus du scrutin de 1993. La démission du juge Kéba Mbaye de la présidence du Conseil constitutionnel avant la proclamation des résultats et l’assassinat de Maitre Babacar Seye par la suite n’ont fait que renforcer la colère et la rupture de confiance entre acteurs.

La création de l’Onel et de la Direction générale des élections

S’il y a un point positif dans les contestations de 1993 c’est bien les décisions fortes prises en vue des législatives de 1998 et de la présidentielle de 2000. L’opposition commence surtout à tirer profit de ces troubles avec surtout la création de l’Observatoire national des élections (Onel), le 8 septembre 1997. Cette structure qui est le résultat d’une longue concertation entre le président Diouf et son opposition va arbitrer les élections législatives de 1998 sous la direction du Général Niang. Celui-ci sera d’ailleurs muté par le président Diouf, suite aux récriminations de l’opposition, et remplacé par Louis Pereira de Carvalho.

L’autre concession et non moins importante est la création d’une Direction générale des élections (Dge) au ministère de l’intérieur en 1998 pour amoindrir les risques de fraude et de contestations post-électorales. Comme pour assurer de sa bonne foi, le président Diouf confie la structure à une personnalité neutre, en l’occurrence l’inspecteur général d’Etat Cheikh Guèye. Il est alors clair que si l’alternance de 2000 a été possible, c’est surtout grâce à l’ouverture d’esprit du président Diouf qui a bien voulu faire des concessions quant à l’organisation de l’élection, au contrôle du fichier et au bon déroulement du scrutin.

Abdoulaye Wade, le continuateur

Aussitôt arrivé au pouvoir, le président Wade prend des décisions allant dans le sens de préserver les acquis sur le plan relatif à l’organisation des élections. Conscient que la transparence doit accompagner tout le processus, en amont comme en aval, le successeur de Diouf décide de garder la structure organisatrice de la dernière élection présidentielle, à savoir l’Onel. Mieux, Wade va la renforcer sur tous les aspects, humain, juridique, logistique, financier pour en faire un organisme autonome. Tels sont entre autres les motifs de la création de la Commission électorale nationale autonome (Cena) par la loi n° 2005 -07 du 11 mai 2005.

La Cena est donc la matérialisation d’une vision consensuelle entre l’opposition et la majorité, le résultat des discussions tenues de novembre 2004 à janvier 2005. Même si l’élection présidentielle de 2007 fut contestée par l’opposition, cela n’a pas mis en cause la pertinence de la création de cette instance. Certes des irrégularités ont émaillé le scrutin mais elles n’ont jamais été assez importantes pour remettre en cause les résultats issus des urnes. En vérité, en 2007, l’opposition (l’ancienne majorité) n’avait aucune chance de revenir aux affaires et de mettre un frein au projet d’alternance déjà entamée. Les citoyens avaient juste décidé que l’alternance, ce grand miracle politique, devrait continuer.

La création d’un ministère chargé des élections

Le président Wade doit sa victoire au premier tour de 2007 à sa bonne campagne et aux grands chantiers qu’il avait soit réalisés soit entamés. Cependant, il restera sensible aux critiques et exigences de l’opposition. Alors que les canaux du dialogue sont coupés depuis le début de son second mandat, en raison des contestations, Maître Wade va pourtant céder aux surenchères des opposants au moment où ces derniers le traitent de tous les noms.

Regroupés essentiellement au tour de la coalition Bennoo Siggil Sénégal, les partis de l’opposition refusent que l’élection de 2012 soit organisée par Maître Ousmane Ngom, ministre de l’intérieur et exigent sa démission. Pour tempérer l’ardeur des opposants, Wade coupe la poire en deux : il maintient Ousmane Ngom à son poste mais lui retire l’organisation des élections. La création du ministère chargé des élections, confiée à Cheikh Guèye, jusqu’ici Directeur général des élections, est une énorme concession de la part du président sortant. C’est cette ouverture d’esprit de Wade qui va fondamentalement contribuer à la transparence du scrutin de 2012, lequel ne souffrira d’aucune contestation majeure et verra la victoire de Macky Sall.

Macky Sall, la remise en cause des acquis démocratiques

Après son investiture, le président Macky sall n’a pas attendu longtemps pour poser des actes allant dans le sens de sa réélection. Son obsession pour un deuxième mandat va provoquer des décisions fortement politiques en ce qui concerne le processus électoral. Contrairement à Diouf et Wade, le président Sall ne fera aucune concession à l’opposition. Qui pis est, il usera de stratagèmes décriés par la société civile et la classe politique pour atteindre ses objectifs.

La saisine du conseil constitutionnel pour l’autorisation du vote avec les récépissés aux législatives de 2017 et les nombreuses failles constatées le jour du scrutin sont des preuves par neuf qu’en matière d’organisation d’élection, Macky Sall a encore à apprendre de ses prédécesseurs. Le remplacement du ministre de l’intérieur Abdoulaye Daouda Diallo par Aly Ngouille Ndiaye, conséquence logique de ce simulacre d’élections législatives de 2017, est un aveu d’échec. Mais ce changement à la tête du département des élections ne convainc nullement l’opposition qui soutient que choisir entre ces deux hommes c’est exactement faire un choix entre la peste et le choléra.

Le refus de créer un ministère chargé des élections

Malgré leur volée de bois vert contre Aly Ngouille, responsable du parti au pouvoir et maire de Linguère, le président Sall n’évoluera pas dans ses positions. A l’opposition qui demande le changement d’Aly Ngouille Ndiaye et la création d’un ministère chargé d’élections, Macky Sall répondra : « Du ma ko def. Du ma ko def » (je ne le ferai pas. Je ne le ferai pas). Voilà une position qui contraste carrément avec celle qu’il avait eue en 2012 lorsque, sur un plateau de la Tfm, il récusait Ousmane Ngom pour l’organisation de l’élection. Ce refus catégorique, exprimé urbi et orbi face aux caméras de la télévision nationale, le 31 décembre 2018, constitue une rupture par rapport à ce que le jeu électoral nous habituait jusqu’ici.

Le refus de confier l’organisation des élections à une entité non partisane et la rupture du consensus sur le passage en force de la loi sur le parrainage en avril 2018 sont des actes qui ne militent point en faveur de l’actuel président. Aussi faut-il dire que c’est pour la première fois, avec le président Sall, que le consensus est rompu depuis l’adoption du code consensuel de 1992. C’est pourquoi les résultats de l’élection présidentielle de 2019, quand bien même le scrutin s’est déroulé sans heurts considérables, sont contestés par toute l’opposition qui décide de ne pas reconnaître la réélection du président Sall dans un premier temps. Le fichier électoral a été pendant toute la période de pré-campagne au cœur des débats mais là aussi beaucoup de récriminations sont adressées au régime avant, pendant, et après le scrutin.

Alors, que des débats soient en cours sur le processus électoral et tout ce qui touche aux élections est une excellente chose. Depuis quelques mois, le débat national, section politique, se déroule sans beaucoup de bruits. L’absence de médiatisation doit simplement s’expliquer par le fait que les acteurs aient enfin retrouvé la voie de la raison. Le deuxième mandat en poche, Macky Sall n’a plus aucun intérêt à faire des ruses comme il l’a affirmé au lancement du dialogue national, le 28 mai passé. Il n’a surtout pas le droit de faire moins que ces prédécesseurs et ses performances en matière d’élection seront saluées si et seulement s’il consolide les acquis et fait même plus de concessions.
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