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Pr Khadiyatoullah Fall, Universitaire : «Nous sommes à l’ère du post-halal»
Publié le vendredi 9 aout 2019  |  Le Quotidien
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© Autre presse par DR
Pr Khadiyatoulakh Fall, président du Salon international du business musulman (Sibm)
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Pr Khadiyatoulakh Fall, président du Salon international du business musulman (Sibm), et son collègue Habib Saidi théorisent le concept de post halal pour renvoyer à cette configuration nouvelle du domaine du halal et des acteurs du halal. Pr Fall, qui intervenait mardi à l’atelier de sensibilisation sur la normalisation et la certification des produits halal, explique que «le concept ne renvoie pas à l’idée de rupture mais à une formule consacrée à une ouverture, un dépassement dans l’enracinement. Le halal tourne le dos à une timidité dans laquelle l’enfermaient les discours de stigmatisation, de communautarisation et d’islamisation rampante de la droite et de l’islamophobie…».

«Nous allons échanger sur un phé­nomène que plusieurs pensent être la création du monde occidental, donc du monde non musulman : il s’agit du marché halal.

Le marché halal est plutôt une création du monde musulman. Le monde musulman en a créé l’impulsion, l’installation même si elle n’est pas aujourd’hui la grande gagnante des bénéfices de ce marché dynamique.

C’est autour de la pratique des musulmans en diaspora, les musulmans de l’immigration, les musulmans travailleurs étrangers que commence le marché halal. C’est ainsi qu’on a vu naître dans les quartiers habités par les immigrants musulmans des boucheries halal, donc spécialisées dans la vente d’animaux qualifiées par l’islam com­me licites et également égorgés selon le rituel d’abattage préconisé par l’islam. La question du halal était perçue à travers le prise du commerce et la consommation de la viande rouge et de ses quelques dérivés dont la merguez. J’ai développé cela avec des collègues dans un ouvrage sous le titre «le halal dans tous ses états».

Au départ communautaire, artisanal, ethnique, le marché halal devient ensuite industriel, de grande consommation sous la demande et la pression de pays musulmans conservateurs, même fondamentalistes. En effet, c’est l’Iran de Khomeiny qui a été le principal instigateur du marché industriel halal. En effet, avec la révolution iranienne, Khomeney voulait assurer l’autonomie alimentaire de l’Iran. Il a été vite rattrapé par la réalité. L’Iran n’ayant pas le potentiel de cette ambition. Il a alors ouvert le marché ira­nien aux entrepreneurs occidentaux de viande, mais en leur imposant ce que Blackler appelle «un contrôle islamique». Kho­meiny a imposé le contrôle des abattoirs et du rituel d’abattage par une délégation iranienne. Les pays sunnites ont imité cette surveillance islamique de l’exportation de la viande (les pays du Golfe et l’Egypte). L’Arabie saoudite, surtout un pays sunnite, n’en pas voulu être en reste. Déjà à ce moment-là, on sentait une concurrence dans l’interprétation des normes, une concurrence et des variations dans l’interprétation que l’on retrouve d’ailleurs aujourd’hui dans le terrain plus contemporain et complexe de la certification halal.

Vers la même période, il s’opérait un vent de réislamisation en Asie particulièrement en Ma­laisie. La Malaisie appelant les Mc Donald qui commençaient à s’y installer à vendre des hamburgers halal.
Le conflit israélo-palestinien aura aussi un impact sur la constitution de ce marché halal car des musulmans, surtout en Occi­dent, qui, a défaut de ha­lal, se contentaient de la viande cachère, ces musulmans ont lancé un mouvement de boycott des produits kosher et promu un mouvement de buycot qui est une incitation à acheter et consommer halal. Cette archéologie du halal a été bien décrite par Blackler

Le marché halal industriel se construit ainsi autour du carné d’animaux abattus selon le rituel d’abattage recommandé par l’islam et sur lequel le milieu religieux, le clergé et les mosquées comme en France, exerçait une grande surveillance de la production et la certification
Donc la peur du haram en milieu d’islam minoritaire, les moments de réislamisation dans des pays musulmans chiites et sunnites conservateurs en concurrence parfois dans l’interprétation des normes et parfois aussi engagés dans les tensions politiques, voici comment se crée le marché halal et les premières tentatives de normalisation et de certification.»

L’ère du post halal
«Mon collègue Habib Saidi et moi avons lancé tout récemment le concept de post halal, de l’ère post halal pour décrire le dépassement qui s’opère aujourd’hui, sous nos yeux dans le marché halal. Cela renvoie à ce que ‘’Nilufer Gole’’ appelle «la phase de l’éclectisme du halal», le halal sort de sa représentation première sur la viande pour s’ouvrir à de multiples autres produits. Il vient même englober des produits dont l’appellation résonne haram, des produits dont la production rappelle le porc, produit que l’on aime d’ailleurs ici con­sommer durant la période bénie du ramadan. On a le jambon halal, le salami halal, les saucissons halal et même le hot dog halal.

Ce que nous appelons l’ère post halal, c’est également un moment où dans plusieurs pays musulmans, même non fondamentalistes, non conservateurs, on s’interroge sur la nature et le devenir du halal.
Dans plusieurs pays musulmans, on ne se posait pas de questions sur le halal. On était dans une culture musulmane et donc le halal s’imposait. Aujourd’­hui, la certitude d’antan est ébranlée. Les débats ailleurs sur «le bon et le faux halal» ont eu des échos dans le monde musulman et surtout le halal comme force financière et commerciale dans le marché mondial des échanges commencent à intégrer les esprits.

La question n’est plus seulement qu’est-ce que le halal mais surtout que devient le halal et que faire du halal pour bénéficier de ses retombées économiques ?
Ce qui nous réunit dans cet atelier porte sur la rencontre entre les pratiques religieuses et l’économie, le commerce et la production de la richesse. La rencontre entre l’économie, le commerce et la religion a toujours existé et cela dans toutes les religions. On a souvent tendance à dissocier, à poser une opposition, une antinomie entre l’argent, entre faire de l’argent, faire du business et la spiritualité. En tout cas, l’islam n’a jamais récusé cette relation entre la religion et l’économie. Il en codifie cependant l’éthique.
Les religions sont aussi économiques et commerciales et l’islam n’y échappe pas. L’islam amène à la production, au commerce et à la consommation de biens de croyances qui sont des biens économiques. Le halal nous amène à penser le religieux également à partir de catégories économiques et commerciales.
Il y a la distinction importante faite entre la croyance (la foi) et les actes du croire. L‘islam est une religion de performativité. C’est-à-dire que la croyance s’affiche également dans le comportement et l’usage d’objets de croyance qui deviennent des produits marchands. Le voile, le hidjabm, le chapelet, le tapis électronique de prière, la boussole aujourd’hui électronique, le coran électronique, ces nombreux gadgets de l’islam électroniques, de l’artisanat des produits religieux, la fréquentation des lieux, tel le pèlerinage à la Mecque. Le croire en acte génère des produits marchands de la pratique de la croyance, des produits que l’on mange, que l’on boit, des produits avec lesquels on se soigne, avec lesquels on met en valeur sa beauté, de la musique par laquelle on invoque dieu, etc. Je viens ainsi de cibler plusieurs domaines du halal : de l’alimentaire, de la mode, du tourisme, de la pharmacie, du cosmétique, de la musique, à l’électronique, etc. Voilà aujourd’hui, le champ éclectique du halal et qui ne cesse de croître. Le halal produit ainsi de l’entreprise, de l’industrialisation, des métiers du halal diversifiés pas seulement dans l’agroalimentaire et dans la finance islamique mais dans plusieurs autres domaines de la vie économique
Le post halal est également une période où le halal rencontre les questions sur la malbouffe, sur les maladies chroniques générées par la consommation de viande, sur les problèmes écologiques et environnements soulevés par l’élevage industriel, sur le bien-être animal et par les questions de santé, de sécurité, de traçabilité des produits et de marketing.

Quel marketing et quelle éthique de la consommation pour le musulman ?
Cette complexité du champ et son rapide mouvement et extension nous ont amenés à définir à la suite d’Adraoui, «le halal comme le champ des possibles pour le musulman». Les objets, les domaines du halal industriel ne sont pas clos. L‘espace du possible du halal est ouvert et il est objet d’une quête continuelle, d’une construction en continuité qui tient compte de la tradition définie par le texte et la sunna mais avec une ouverture sur la modernité et souvent ces inédits. C‘est devenu un espace d’exploration et d’innovation où l’expertise est autant religieuse que profane. Le champ de l’expertise du halal se définit dans un cadre multisectoriel où le religieux rencontre d’autres savoirs scientifiques, techniques managériaux tout aussi déterminants.»

Certification
«Je finirai par lancer quelques remarques, remarques de prudence sur la certification halal. C‘est aujourd’hui un espace concurrentiel, les agences de certification venant se bousculer au portillon. Ce ne doit pas être un espace d’amateurisme. Il demande des compétences, un savoir-faire, un espace multidisciplnaire d’expertise et les compétences pour un suivi rigoureux qui assure la crédibilité surtout sur le marché international. Quelle structuration devons-nous nous donner pour asseoir une certification crédible qui puisse faire circuler avec succès et notoriété nos produits dans les marchés internationaux ? Allons-nous avoir plusieurs agences de certification au risque de ne plus pouvoir contrôler ? Le domaine du halal étant diversifié est-ce qu’il y aura des certifications selon les domaines ? Une seule agence peut-elle réunir toutes les expertises pour couvrir tous les domaines ? Va-t-on travailler pour des agences sous régionales ? Quels liens avec l’agence de normalisation et de certification de l’Oci, le Smiic qui ne manque pas d’observer la multiplicité des agences de certification ? Il ne revient pas à l’Etat laïc de définir la certification d’un produit religieux, mais il lui revient d’encadrer les entrepreneurs de la certification
Pour terminer, je veux mentionner cette remarque que François Gauthier rapporte dans un tout récent article. Il parle d’un rapport publié déjà en 2010 par la prestigieuse agence américaine de conseil en stratégies art kearney. Le titre du rapport est éloquent «Adressing the muslim market : can we afford not ?»

Est-il concevable de ne pas s’intéresser au marché musulman ?
Le titre du rapport semble pointer un non-sens chez ces entrepreneurs ou Etats qui n’ont pas compris l’urgence de s’intéresser ou d’être acteurs dans ce marché. Ce non-sens trouve niche, trouve lit et c’est là le paradoxe, il trouve lit dans plusieurs pays musulmans ou pays à forte majorité musulmane.
Le temps est révolu de s’émerveiller devant les chiffres mirobolants de la valeur du marché halal. De forum à forum, de salon à salon, de rencontre internationale à rencontre internationale, on ne cesse de creuser l’appétit sur les chiffres de ce marché dominé par les non musulmans. Les pays participants à l’Oci ne cessent d’envoyer dans les rencontres internationales des dirigeants qui ne cessent de dire que nous avons du potentiel mais il faut reconnaitre que seulement quelques pays se mobilisent et agissent avec efficacité et détermination.»
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