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Dr Maurice Soudieck Dione, enseignant-chercheur en Science Po à l’UGB: ‘’La pression risque d’être maintenue sur Aliou Sall, malgré sa démission’’
Publié le jeudi 27 juin 2019  |  Enquête Plus
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© aDakar.com par MC
Table ronde sur la situation de la Justice au Sénégal
Dakar, le 29 mars 2018 - Une table ronde sur: "La justice au Sénégal: état des lieux et réformes", s`est tenue à Dakar. Des juristes, des magistrats, des avocats et des acteurs de la société civile ont pris part à cette importante rencontre d`échanges. Photo: Maurice Soudieck Dionne, enseignant à l`UGB
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Fortement acculé dans l’affaire dite du ‘’scandale à 10 milliards de dollars’’ ébruité par la chaine britannique Bbc, Aliou Sall a finalement cédé à la pression populaire, en démissionnant de son poste de Directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. Cette démission, selon le Dr en Science politique, Maurice Soudieck Dione, ne l’épargnera pas des critiques, tant que cette affaire n’est pas tirée au clair.

Cité au cœur du ‘’scandale à 10 milliards de dollars’’ diffusé par la chaine britannique Bbc, le frère du président de la République, Aliou Sall a rendu avant-hier, sa démission de la tête de la Caisse des dépôts et consignations. Quelle lecture faites-vous de cette démission ?

Je crois que le régime en place, depuis l’éclatement de cette affaire, a multiplié les maladresses du point de vue communicationnel. Cela révèle un véritable malaise autour du problème Pétro-Tim, mettant en cause Aliou Sall, le frère du président de la République. En effet, depuis la sortie maladroite du Président Macky Sall sur cette affaire après la prière de la Korité, suivie le même jour du point de presse du gouvernement où Madame Ndèye Tické Ndiaye Diop qui en est le porte-parole est montée au créneau, jusqu’aux informations affirmées et maintenues du ministre-conseiller chargé de la communication de la présidence, El Hadj Hamidou Kassé, d’après qui la somme de 250 000 dollars a été versée par Timis à Aliou Sall, pour payer une consultation dans le domaine agricole, il y a une véritable cacophonie, en ce sens qu’on rajoute de la confusion et de la nébulosité à une affaire déjà ténébreuse. Cette situation a stimulé les mobilisations politiques et citoyennes qui ont conduit à la démission de Aliou Sall.

Qu’est-ce que cela peut changer dans la situation actuelle où la pression est maintenue sur le régime ?

C’est un acte fort qui vise à apaiser la situation. En effet, le pouvoir est en train de multiplier les actes politiques et communicationnels pour faire baisser la pression et la tension.

Cela peut-il participer à desserrer l’étau autour du président de la République, Macky Sall ?

Naturellement, c’est l’objectif recherché. L’idée, c’est de tenter de circonscrire et de contenir l’affaire, au mieux, pour qu’elle ne rejaillisse pas directement sur la personne du président de la République, Macky Sall, qui a signé les décrets d’approbation des contrats de Frank Timis, qui n’avait ni les capacités techniques ni les capacités financières pour mener à bien les activités d’exploration et d’exploitation, et qui était en relation d’affaires avec son frère Aliou Sall.

Cette démission fait en effet suite à la sortie du ministre en charge de la communication du président de la République, El Hadji Hamidou Kassé sur Tv5. Le régime ne cherche-t-il pas à couler le frère du président de la République pour se libérer de ce scandale ?

On peut avoir cette lecture qui consiste à vouloir protéger le président de la République de manière préventive et préemptive par rapport à cette affaire Pétro-Tim. On se pose alors la question de savoir si la sortie jugée malencontreuse pour beaucoup ne relève pas d’une stratégie communicationnelle subtile, sciemment concoctée pour apaiser la situation et préserver le Président Sall. Car une constante se dégage dans la posture de Kassé : protéger à tout prix le Président, au point qu’on a parfois du mal à comprendre sa logique.

Quand on parle de fuite d’un rapport de l’IGE commandité depuis 7 ans et non encore reçu par le destinataire, il met en cause l’existence légale du rapport, selon les procédures de l’IGE ! Quand Aliou Sall nie catégoriquement avoir reçu 250 000 dollars de Frank Timis, il considère qu’il a bel et bien reçu cette somme, constituant des honoraires pour une consultation en matière agricole ! Si on admet que ce n’est pas une stratégie de communication, mais des erreurs de bonne foi, cela reste troublant : vu l’intelligence et l’expérience de Kassé dans le domaine de la communication, peut-il se tromper de cette manière si flagrante et grossière ? En plus, il a persisté et assumé ses propos, en ajoutant qu’Aliou Sall n’a été nommé à la Caisse des dépôts et consignations que parce que le Président Sall a été mis dos au mur. À cela s’ajoute que la réorganisation de la communication au niveau de la présidence de la République crée également de l’ambiguïté : Kassé est certes déchargé de la communication du palais et remplacé par Seydou Guèye, mais il n’est pas destitué, il reste ministre-conseiller chargé des arts et de la culture.

Au demeurant, la nomination d’un porte-parole du président de la République, permet de corriger cet impair qui a consisté pour le Président, dans cette affaire Pétro-Tim, à aller directement à l’assaut le jour de la Korité, après la prière ; dans une architecture institutionnelle où il a supprimé le poste de Premier ministre, qui servait de fusible pour donner au Président une posture de transcendance, et en même temps un bouc-émissaire, en cas de crise. On se souvient que, lors du premier éclatement de cette affaire Pétro-Tim en 2016, c’est le Premier ministre de l’époque, Mahammad Boun Abdallah Dionne, qui est intervenu pour défendre les positions officielles. Au regard de tout ce qui précède, l’hypothèse consistant à vouloir préserver le Président dans ce scandale semble plus plausible.

Que peut espérer Aliou Sall avec cette démission ?

Avec cette démission, c’est une bouffée d’oxygène pour Aliou Sall, mais cette affaire n’est pas encore terminée.

Où est ce que cela peut le mener à présent ?

La pression risque d’être maintenue sur lui, car on s’achemine vers des élections locales, et il est le maire de Guédiawaye. L’affaire Pétro-Tim va-t-elle être élucidée d’ici à l’organisation de ces joutes électorales ? C’est la grande question qu’on se pose. Personnellement, j’ai l’intime conviction qu’elle ne sera pas éclaircie par le régime du Président Sall, vu le faisceau d’indices troublants qu’il y a autour de cette question politico-familiale et affairiste.

Pensez-vous que cette démission puisse le libérer des attaques dirigées contre lui, depuis l’éclatement de cette affaire ?

Cette démission ne l’épargnera pas des critiques, tant que toute la lumière ne sera pas faite. En plus, il faut ajouter que cette affaire dépasse le cadre d’une confrontation entre pouvoir et opposition ; il y a une vaste mobilisation de forces sociales significatives, citoyennes pour une large part, au-delà des partis politiques donc, pour exiger la bonne gouvernance et la transparence notamment dans la gestion des affaires publiques en général, particulièrement des ressources naturelles.

Finalement, est-ce que la pression populaire exercée sur le régime, sur le président de la République et sur sa famille, n’est pas en train de faire ses effets ?

Naturellement que cette pression est en train de produire des effets. Aliou Sall avait dit qu’il ne démissionnera pas, il a démissionné. Le Président a réorganisé la communication du palais, en déchargeant El Hadj Hamidou Kassé, même si ce dernier reste aux affaires et à la présidence, en plus d’avoir ramené en renfort Abdou Latif Coulibaly et Seydou Guèye. À travers cette affaire, c’est la résurgence forte d’une demande sociale de transparence.

Car, pendant la campagne présidentielle de février 2019, le régime en place avait mis en avant le bilan matériel, en estimant que c’était chimérique de parler de bilan immatériel ! Or, ce qui nous fait tenir ensemble dans le cadre d’un contrat social à durée indéterminée, ce sont des valeurs et des principes qui assurent le bon fonctionnement de l’État de droit, qui permet le respect des droits et libertés de tous, dans l’égalité et dans la légalité, et qui perpétuent la République, qui étymologiquement signifie « la chose de tous ». La République ne saurait donc être la chose de quelques uns, qui en usent et en abusent selon leur bon désir et leur bon plaisir, comme dans la jouissance d’une chose personnelle, au détriment des autres, dans un pays pauvre, où les services publics de la santé, de l’éducation, de la sécurité sont déliquescents, et où les jeunes sont désemparés quant à leurs perspectives de formation et d’insertion professionnelle et sociale.

Jusqu’où cette affaire peut-il le mener ?

Je ne sais pas où est-ce que cela peut le mener. En tout cas, il y a une forte demande sociale pour que cette affaire soit élucidée, parce que les ressources naturelles appartiennent de manière inaliénable au peuple sénégalais, et que les sommes avancées sont astronomiques.

Est-ce une manière de se mettre à la disposition de la justice sénégalaise ?

En principe, il pouvait être convoqué et entendu par la justice, même s’il n’avait pas démissionné de la Caisse des dépôts et consignations. Car, il n’est bénéficiaire d’aucune immunité ni privilège de juridiction. Il n’est pas député pour qu’on doive préalablement lever son immunité parlementaire avant toute action en justice, sauf en cas de flagrant délit ; et il n’est pas membre du gouvernement ayant commis une faute liée à l’exercice de ses fonctions, justifiant auquel cas qu’il ne puisse être déféré que devant la Haute cour de justice. En réalité, la pression populaire, politique et citoyenne a été si forte, qu’Aliou Sall n’a pas eu d’autre choix que de démissionner.

Est-ce une stratégie pour mettre à l’aise le régime et son frère, le président de la République ?

Je ne pense pas que ce soit une stratégie. Car il avait clairement exprimé au début de l’affaire qu’il ne démissionnerait pas. S’il l’a fait, c’est qu’il a été poussé à bout !
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