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Homicides depuis 2015: Le cycle indéterminé de tueries
Publié le jeudi 23 mai 2019  |  Enquête Plus
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© Autre presse par DR
À Yoff, un espagnol a tué sa femme avant de se donner la mort
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Depuis que le chef de l’Etat a pris l’engagement, il y a trois ans, à la Saint-Sylvestre, de mettre plus de rigueur et de vigueur dans la lutte contre la criminalité, un fait têtu persiste : la perception de l’insécurité ne s’est pas atténuée.


On est le 31 décembre 2016. Le président Macky Sall tape sur la table, lors de son adresse de Nouvel An à la nation. ‘‘Ces derniers mois, nous avons tous été émus par une série d'agressions d'une rare violence contre d'innocentes victimes. L'Etat ne cédera pas devant de tels actes inhumains qui n'ont pas de place dans notre société. Les pouvoirs publics continueront de veiller sur la sécurité des personnes et des biens’’. Les 364 jours précédents ont été émaillés cycliquement par des histoires de meurtres crapuleux ainsi que des accidents de la route qui ont ému tout le pays.

La mort par balles, en octobre 2016, du taximan Ousseynou Diop, abattu pour une priorité à la pompe dans une essencerie, suivie du meurtre, à domicile, de Fatoumata Mactar Ndiaye, Vice-Présidente du Cese un mois plus tard, ont été les points culminants d’une année 2016 particulièrement létale. Le chef de l’Etat s’est même senti dans l’obligation de jouer sur la fibre affective, pour provoquer un sursaut de fierté, en appelant à ‘‘une introspection individuelle et collective pour que tous, ensemble, nous revenions à la sagesse des anciens, par la revitalisation des valeurs éthiques et morales comme fondement de la vie en société’’.

L’année précédente aura été marquée par des actes criminels lugubres dont les mobiles, insignifiants ou indéterminés, ont consterné les Sénégalais. Le pic est atteint entre la fin juillet et la mi-août 2015, avec cinq meurtres en quinze jours. Pape Ndiaye, un jeune talibé, est poignardé mortellement dans son sommeil le 8 août, dans un ‘‘daara’’ à Darou Kane, à Thiès. Ce qui aura été sans doute le massacre qui a causé le plus d’incompréhension et d’émoi dans l’opinion. Sans compter les deux blessés graves de cette tuerie dont l’auteur présumé, ivre au moment des faits, qui serait le fournisseur du père de l’enfant en chanvre indien. L’on ne s’est pas remis de cette acte atroce que, quatre jours plus tard, le mélodrame familial d’un couple interracial vient porter la consternation à son comble. Fama Diop, une femme dans la trentaine, se fait abattre par son mari, Manuel Sanchez, qui retourne ensuite l’arme contre lui, à Yoff-virage. Une scène au mobile inconnu qui s’est passé devant les deux filles du couple.

A peine une semaine plus tard, Ndiaga Fall, plus connu sous le nom de ‘’Baye Fall’’, qui officiait près du groupe Walfadjri comme vendeur de café, est venu s’ajouter à cette liste macabre, en se faisant poignarder à mort par Ngagne Thiam. Des meurtres aux mobiles encore flous. Les Sénégalais n’étaient pourtant pas au bout de leur surprise, puisque le mois suivant, dans la nuit du 6 au 7 septembre, Nassirou Ba et Abdourahmane Ba passent au fil du couteau de Bouba Sakho, à la Cité Millionnaire de Grand-Yoff, qui les a accusés de vol de téléphone portable. Une tuerie tellement révoltante que la police a évacué la maison du présumé meurtrier mitoyenne à celle de ses victimes, pour éviter des représailles. Un peu plus tôt, dans le premier trimestre de l’année, en fin mars, un drame tout aussi macabre s’est soldé par un double meurtre à Malika. Un déséquilibré mental, surnommé ‘’Algass’’, a tué, avec une machette, un enfant de 2 ans dans sa propre maison où il était apparemment un habitué. Les riverains, outrés par ce fait, ont appliqué la loi du talion, après une course-poursuite, en tabassant l’auteur à mort.

2019, dans la continuité

Mais les tueries survenues ces dix derniers jours donnent l’impression que les scènes se rejouent implacablement. Plus de deux ans après, ces comportements létaux continuent de défrayer la chronique avec une deuxième quinzaine de mai 2019 extrêmement fatale. Les morts de Bineta Camara à Tamba, Coumba Yade à Thiès et la dépouille d’une femme anonyme au marché de Ouakam, noircissent un bilan déjà lourd. Si les deux derniers cas sont esquissés, le premier polarise toute l’attention des médias. Hier, c’était un concert de condamnations de la part des responsables ‘‘apéristes’’ dont la victime est la fille de l’un de leurs collaborateurs. Du maire de Yoff Abdoulaye Diouf Sarr, en passant par Bécaye Diop l’édile de Ross-Béthio, tous ont condamné la mort atroce de Bineta Camara, samedi, à Tamba.

Mais, du côté adverse, bien qu’on compatisse, la vague de féminicides a poussé l’ancien Premier ministre, Abdoul Mbaye, à confondre le gouvernement sénégalais dans ses options en matière sécuritaire. ‘‘Qu’attendez-vous pour protéger et sauver les vies de Sénégalaises et des Sénégalais ? Prenez en charge notre sécurité sur les routes, mais aussi dans nos maisons et dans les rues. Celle de nos filles et de nos sœurs. Là, se trouve la priorité des priorités, à savoir la vie de ceux qui vous auraient élu et dont vous devez vous préoccuper. Ne voyez-vous donc pas qu’il vous faut changer votre gouvernance de la sécurité ? Investissez moins dans le matériel anti-émeute, dans l’écoute et la surveillance des opposants politiques’’, a-t-il posté sur sa page Facebook, ce dimanche.

‘‘Offrande mortelle’’, ‘‘Djiné Maïmouna’’, ‘’peine de mort’’... Le triomphe du discours émotionnel

Les explications manquantes à ces massacres et la timidité dans la judiciarisation sont un vide qu’un contre-discours vient remplir : le retour à une forme plus radicale qu’est la peine de mort. Les leaders religieux en tête, mais aussi des intellectuels, des avocats, des citoyens lambda dans les forums demandent que cette réciprocité soit appliquée pour punir les coupables. ‘‘La première mesure de l’échec du gouvernement est l’insécurité’’, déclarait Idrissa Seck au sortir de la prière de Tabaski de 2015. En dehors de la teneur politicienne de cette déclaration, cette position a été tellement partagée par beaucoup de Sénégalais que l’idée de réintroduire la peine de mort a été agitée par le député de la majorité Seydina Fall ‘‘Boughazelli’’.

Me El Hadj Diouf de déclarer, dans les colonnes du journal ‘‘la Tribune’’ en novembre 2016 : ‘‘La personne qui tue doit être tuée, parce que sa vie n’est pas supérieure à celle de la personne tuée. Comment peut-on enterrer la victime et laisser le meurtrier vivant ? Cela fait désordre’’, a-t-il déclaré après le meurtre par balles du taximan et juste après avoir défendu ce point de vue devant le ministre de la Justice Sidiki Kaba en session unique 2016-2017 à l’Assemblée nationale.

Mieux ou pire, chez certaines franges non négligeables de l’opinion, une rhétorique de substitutions irrationnelles, de plus en plus assumée, surclasse même les explications rationnelles sociologiques à un tel phénomène. ‘‘L’offrande de la mort’’, ‘‘Djiné Maïmouna’’, ‘‘le coup de fil qui tue’’, ‘‘le grand lavage collectif’’ sont des explications sociétales qui ont pignon sur rue dans les chaumières ou grands-places, devant la résurgence d’incendies, de crimes et d’effondrements de bâtiments.

Sécurisation

La perception de cette insécurité grandissante est-elle justifiée pour autant ? Pour l’année 2017, le président de la République avait pris l’option du renforcement du dispositif déjà existant. Dans la continuité de la tournée nationale récemment effectuée par le directeur général de la Police nationale d’alors (Omar Maal) annonçant la construction d’un poste à Bignona, Macky Sall avait annoncé que ‘‘pour l'année 2017, 10 nouveaux postes de police frontaliers seront créés, 1 769 agents de police et 1 416 agents de sapeurs-pompiers tous grades confondus seront recrutés’’.

Des mesures sécuritaires assorties à une législation forte que l’autorité prévoit de corser, pour limiter l’envol du phénomène criminel. La réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale en 2016 qui s’est penchée sur les nouveaux délits tels le terrorisme et les cyber-crimes va certainement se pencher sur l’aspect juridique pour se réajuster à la gravité des événements. ‘‘J'ai demandé au gouvernement de travailler au durcissement des peines prévues pour certaines catégories de crimes et délits graves’’, avait déclaré Macky dans son allocution de fin d’année.

Si l’on considère les standards avec certains pays voisins, il est clair que le Sénégal est plutôt bien loti. Dans les rangs des forces de défense et de sécurité, hors de question de pointer une quelconque inertie. Les opérations dans les zones criminogènes sont opérées sans oublier les dispositifs de sécurisation comme ‘‘Karangué’’ ou ‘‘Sentinelle’’ ou la généralisation de la vidéosurveillance. Sans compter que la police fait face aux autres formes de menaces multiformes comme la petite délinquance, le terrorisme, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, la cybercriminalité, le trafic de personnes, le trafic de drogue, la fraude documentaire, le trafic d’armes. La sempiternelle revendication du renforcement des ressources financières et de la modernisation des moyens matériels et équipements opérationnels de la police nationale pour réduire la criminalité et anticiper les menaces terroristes se pose avec acuité.
En attendant, la perception de l’insécurité continue son bonhomme de chemin.
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