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Double meurtre de Médinatoul Salam: Chronique d’une rocambolesque affaire d’homicide
Publié le jeudi 9 mai 2019  |  Enquête Plus
Cheikh
© Autre presse par DR
Cheikh Béthio Thioune, guide des Thiantacounes
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Décédé hier des suites d’une longue maladie, le guide des Thiantacounes, Cheikh Béthio Thioune, 82 ans, a été toujours considéré comme le principal commanditaire du double meurtre de Médinatoul Salam. Une affaire de meurtre qui a tenu l’opinion publique sénégalaise en haleine pendant 7 longues années et dont le cheikh a réussi à se soustraire éternellement.

Le décès, hier, de Cheikh Béthio Thioune, est survenu dans un contexte où le commun des Sénégalais l’attendait le moins. Un coup du destin qui intervient au lendemain de sa condamnation à 10 ans ferme de prison par la Chambre criminelle du tribunal de grande instance (Tgi) de Mbour, dans le cadre de ce qui est convenu d’appeler l’affaire du double meurtre de Médinatoul Salam. Alors que le débat se posait avec acuité sur son probable emprisonnement dès son retour au bercail, il s’en est tout simplement allé pour de bon, emportant sûrement avec lui quelques pièces entières du puzzle jusqu’ici non révélées au grand public.

Les faits remontent, en effet, à avril 2012, à peu près trois mois seulement après l’avènement du président Macky Sall au pouvoir. Le double meurtre des Thiantacounes Bara Sow et Ababacar Diagne, alors en litige avec leur guide, éclabousse Médinatoul Salam. Les deux victimes sont sauvagement assassinées par des disciples de Cheikh Béthio Thioune dans l’enceinte même de sa résidence. Alors que l’une d’entre elles n’avait pas encore fini d’agoniser, les deux victimes sont enterrées en catimini, selon les témoignages même de leurs proches entendus devant la barre du tribunal.

Récit d’une altercation meurtrière

Nous sommes le 22 avril 2012. Ce jour-là, Bara Sow, accompagné d’une forte délégation, s’était rendu à la résidence de Cheikh Béthio Thioune pour renouveler son allégeance à son marabout qui l’avait banni des siens. Ils sont arrivés devant le domicile de son guide spirituel, entonnant des chants panégyriques du fondateur du mouridisme, Cheikh Ahmadou Bamba. Devant le refus des ‘’commandos’’ de Cheikh Béthio Thioune de les laisser franchir le portail de sa résidence, des échauffourées ont éclaté entre les deux camps. Au cours de la bagarre, Bara Sow a été extirpé de la foule et introduit dans la résidence de Cheikh Béthio Thioune où il a été sauvagement molesté, avant d’être jeté comme un malpropre.

Son compte réglé, certains des disciples de Cheikh Béthio Thioune sont sortis de la résidence, armés de fusil, de gourdins et de coupe-coupe. Ils ont pris en chasse les accompagnants de Bara Sow. Sur ces entrefaites, quatre coups de feu ont été tirés. L’un d’eux atteint Ababacar Diagne qui s’est affalé. Les disciples de Cheikh Béthio Thioune ont alors caché les deux corps derrière la maison de leur guide. Ils ont attendu la tombée de la nuit pour les enterrer en catimini, avant de dissimuler l’arme du crime sur un chantier de leur guide qui, selon leurs dires, n’a pas été informé de ces faits.

Le 23 avril 2012, Cheikh Béthio Thioune, Cheikh Faye, Serigne Khadim Seck, Mamadou Hanne dit ‘’Pape’’, Demba Kébé, Aziz Mbacké Ndour, Serigne Saliou Barro, Pape Ndiaye, Ablaye Diouf, Alassane Ndiaye, Samba Ngom, Mame Balla Diouf, Mamadou Guèye, Aliou Diallo, Al Demba Diallo, Momar Talla Diop, Samba Fall, Mouhamed Sène dit ‘’Eumeu’’, Adama Sow et Aly Diouf sont cueillis par les forces de l’ordre et mis aux arrêts. Ils sont accusés d’avoir, le 22 avril 2012, formé une association ou établi une entente dans le but de préparer ou de commettre un ou plusieurs crimes ou délits.

D’ailleurs, il résulte des éléments de l'enquête contenus dans le procès-verbal que Cheikh Béthio Thioune avait prononcé une interdiction formelle de la présence de Bara Sow à Médinatoul Salam. Il a, de ce fait, donné l'ordre à ses talibés de ne plus l'admettre dans ses résidences. Cette décision s'explique du fait que Bara Sow était un dissident qui avait un comportement injurieux envers son guide Serigne Saliou Mbacké et sa famille. Selon le Pv d’audition, Cheikh Béthio Thioune avait affirmé que Bara Sow risquait de se faire tuer par ses talibés, à cause de son comportement.

Ainsi, pour le parquet, l'attitude de Cheikh Béthio Thioune durant tous les évènements ayant conduit au double meurtre, démontre à suffisance qu'il a, non seulement provoqué, mais aidé ou assisté matériellement et moralement ses disciples à commettre les deux meurtres. Pis encore, l'absence de réaction du guide des Thiantacounes, pendant le déroulement des évènements dans son propre domicile, alors qu'il est bien informé, démontre aussi, de sa part, un acquiescement des actes criminels perpétrés par ses disciples. D'ailleurs, les victimes étant des dissidents et des réfractaires parmi les Thiantacounes, cela illustre le consentement de Cheikh Béthio Thioune.

Il ressort toujours du même procès-verbal que Cheikh Béthio Thioune avait armé de gourdins tous ses talibés qui n'hésitaient pas à proférer des menaces. Et que, malgré ses dénégations, il est avéré que les talibés ont agi sur instruction de leur guide dont il voulait démontrer leur dévouement sans faille. Il ressort également de l’audition que Cheikh Béthio Thioune a remis à Khadim Seck le fusil qui a servi à tuer Ababacar Diagne dit ‘’Pape Diagne’’.

Toutes choses qui ont fait que le guide des Thiantacounes a été placé sous mandat de dépôt ainsi que ses 19 coinculpés. Poursuivis pour les chefs d’accusation de meurtre avec usage d’actes de barbarie, de complicité d’homicide aggravé, recel de cadavres, inhumation sans autorisation administrative, non dénonciation de crime, détention d’arme sans autorisation administrative, recel de malfaiteurs et association de malfaiteurs.

Liberté provisoire prolongée

D’abord incarcéré à la Maison d’arrêt et de correction de Thiès, le guide des Thiantacounes sera transféré, le 15 octobre 2012, à la Mac de Rebeuss. Un mois plus tard, le 27 novembre plus précisément, il sera ensuite interné au Pavillon spécial de l'hôpital Aristide Le Dantec. Ses multiples demandes de liberté provisoire introduites auprès du juge d’instruction ne lui permettent pas de se soustraire à l’étau de Dame justice. Il a fallu que son état de santé soit au plus bas pour que le juge d’instruction ne se décide finalement à lui délivrer une ordonnance d’autorisation de sortie du territoire, allant du 6 février au 7 mars 2013, pour aller se soigner à l’étranger.

De retour de la France, le guide des Thiantacounes, qui a fait 10 mois seulement de détention, ne retournera pas en prison. Il restera libre de ses mouvements. Mais ses co-accusés n’auront pas cette chance. Ils ont passé 7 longues années en prison, avant d’être jugés.

Devant l’attente, ils ont bataillé fort pour contraindre les autorités à juger l’affaire pour qu’enfin, ils puissent être fixés sur leur sort. Pour ce faire, ils ont initié des mouvements de protestation. Las d’entamer des grèves de la faim, ils ont même, en un moment donné, menacé de se suicider collectivement. Ils n’ont pas été seuls dans leur combat. Ils ont été soutenus dans leurs initiatives par les organisations de défense des Droits de l’homme qui ont multiplié les sorties pour dénoncer les lenteurs notées dans le traitement judiciaire de l’affaire. Amnesty Sénégal allant même jusqu’à menacer de saisir les juridictions internationales comme la Haute cour de justice de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao).

Absence troublante de Cheikh Béthio

Après sept années d’âpres luttes, le procès est finalement ouvert le 23 avril 2019, en l’absence de Cheikh Béthio Thioune. Une absence qui a suscité beaucoup d’interrogations auprès de l’opinion, puisque d’aucuns pensaient qu’il avait prétexté des problèmes de santé pour se soustraire à la justice. D’ailleurs, elle a cristallisé l’essentiel des débats, au premier jour du procès, et a même provoqué des exceptions. D’emblée, ses avocats ont présenté au juge un certificat médical qui atteste que l’état de santé général du guide des Thiantacounes ne lui permettait pas de faire le voyage de Bordeaux au Sénégal. Finalement, il sera jugé par contumace.

Ainsi, après quinze jours de procès, la Chambre criminelle du tribunal de grande instance de Mbour a condamné Cheikh Béthio Thioune et son chambellan Cheikh Faye à 10 ans de travaux forcés chacun, avant de décider que les biens du guide des Thiantacounes soient placés sous séquestre. A titre de réparation, la chambre condamne Cheikh Béthio Thioune, Cheikh Faye, Serigne Khadim Seck, Mame Balla Diouf, Mamadou Guèye, Moussa Dièye, Aliou Diallo, Al Demba Diallo, Momar Talla Diop, Mohamed Sène dit ‘’Eumeu’’, Adama Sow dit ‘’Doss’’, Aly Diouf, Demba Kébé, Pape Ndiaye, Ablaye Diouf et Samba Fall à payer solidairement aux héritiers de Bara Sow la somme de 100 000 000 F Cfa et la même somme à ceux d’Ababacar Diagne.

Pour leur part, Serigne Khadim Seck, Mame Balla Diouf, Mamadou Guèye, Moussa Dièye, Aliou Diallo, Al Demba Diallo, Momar Talla Diop, Mohamed Sène dit ‘’Eumeu’’, Adama Sow dit ‘’Doss’’ et Aly Diouf ont écopé de 15 ans de travaux forcés. Demba Kébé et Pape Ndiaye prennent chacun 8 ans de travaux forcés. Ablaye Diouf et Samba Fall écopent, eux, de 5 ans d’emprisonnement ferme. Samba Ngom, pour sa part, s’en sort avec 6 mois d’emprisonnement ferme. Par contre, Serigne Saliou Barro, Aziz Mbacké Ndour et Mamadou Hann dit ‘’Pape’’ ont été acquittés de tous les chefs d’accusation.

Le prononcé du verdict fait, il se posait alors le débat sur un probable retour de Cheikh Béthio Thioune en prison, dès son retour au Sénégal. Pendant que les langues se déliaient, le guide des Thiantacounes lui, luttait farouchement contre la mort jusqu’à succomber finalement, sans donner cette opportunité à ses détracteurs.

ME OUSMANE SEYE, AVOCAT DE CHEIKH BETHIO THIOUNE

‘’C’est le verdict divin’’

‘’Je savais qu’il était gravement malade et j’ai toujours prié pour qu’il revienne au Sénégal pour se blanchir. Aujourd’hui, c’est Dieu qui l’a blanchi. Parce que sur le plan juridique, il est parti innocent, avec la présomption d’innocence et ça, c’est le jugement divin. Quand je disais au tribunal que Cheikh Béthio Thioune est parti, il n’a pas fui la justice de son pays, il est malade, certains ne m’ont pas cru. Il y a même des gens qui m’ont apostrophé dans la rue en me disant que oui, le cheikh a fui la justice de son pays. Aujourd’hui, Dieu m’a donné raison. Il a tranché. Ça, c’est la justice divine qui est différente de la justice des hommes. Je connaissais bien l’état de sa santé et je savais que c’était grave. Il remettait tout entre les mains de Serigne Saliou Mbacké.

‘’Il n’y a rien dans ce dossier qui prouve que Cheikh Béthio Thioune a donné un quelconque ordre de tuer ou était au courant de ce qui s’est passé. On a fait des expertises, des transports sur les lieux, mais on n’a rien trouvé qui l’accuse. On l’a jugé par contumace. Mais Dieu a donné son verdict. Cheikh Béthio Thioune était un disciple de Serigne Saliou Mbacké et qui connait ce dernier, sait bien qu’il n’est pas du genre à élever au rang de cheikh quelqu’un qui est mauvais. Je suis fervent mouride et je sais ce dont je parle. L’islam ne se résume pas seulement à la prière, au jeûne ou encore au pèlerinage à La Mecque. Donner à manger à son prochain est un acte de dévotion qui est fortement rétribué par le Seigneur. Et Serigne Béthio Thioune s’est toujours consacré à cela. J’avais même prévu d’écrire sur cela pour que les gens sachent que l’islam, c’est d’abord l’entraide et la solidarité. Cheikh Béthio est une personne qui est incapable de faire du mal à son prochain, à plus forte raison tuer.’’

SERIGNE MBACKE NDIAYE, ANCIEN MINISTRE

‘’J’entretenais des liens très étroits avec Cheikh Béthio’’

‘’C’est une triste nouvelle. J’entretenais des liens très étroits avec Cheikh Béthio Thioune. Je l’ai connu à Khombole, il y a de cela plusieurs années. C’est aussi un condisciple mouride envers qui j’ai toujours nourri beaucoup de respect et de considération. Ma famille est sa famille. Mes enfants ont appris les ‘khassaïdes’ (poèmes panégyriques de Serigne Touba) chez Cheikh Béthio Thioune. En tant que disciple mouride, j’ai toujours apprécié ses ‘’berndés’’ (victuailles) pendant le Magal. Je demande à sa famille de perpétuer son œuvre et de conserver son legs. Je demande à ses enfants de rester soudés et de ne pas se diviser.’’

ME MADICKE NIANG, LEADER DE MADICKE2019

‘’Ce n’est pas un hasard que sa disparition coïncide avec le début du ramadan’’

‘’La volonté divine, par son pouvoir décisionnaire, vient, il y a quelques instants, de décider d’une lourde perte au sein de la communauté mouride. Le décret divin est tombé, Cheikh Béthio Thioune, le guide des Thiantacounes, n’est plus. Devant cette triste nouvelle, nous ne pouvons que rendre grâce au Tout-Puissant, Lui le Maître des cieux. De Cheikh Béthio Thioune, je retiendrai toujours ce travailleur acharné au service de Serigne Saliou Mbacké qui a dédié sa vie à son Créateur, à l’amour de Khadimoul Rassoul et au travail. Aujourd’hui, c’est un jour triste.

Cheikh Béthio aura consacré sa vie et son destin à Serigne Saliou et ce n’est pas un hasard que sa disparition coïncideavec le début du ramadan : mois de pardon, de miséricorde et de piété. Puisse Allah lui ouvrir les portes de ses Paradis les plus élevés. Je présente mes sincères condoléances au peuple sénégalais, à l’ensemble de la Oumah islamique, à la communauté mouride, mais aussi et surtout à l’ensemble des Thiantacounes. Ma pensée va aussi vers l’ensemble de sa famille éplorée, avec laquelle j’ai une relation particulière.’’
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