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Suppression poste de premier ministre : Macky Sall ressuscite Jean Collin
Publié le jeudi 11 avril 2019  |  Enquête Plus
Présidentielle
© Présidence par DR
Présidentielle 2019 - Macky Sall en campagne à Louga
Louga, le 4 février 2019 - Le président sortant Macky Sall poursuit sa campagne électorale dans l`intérieur du pays. Il est arrivé à Louga où il a été accueilli par les responsables locaux de sa coalition.
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La nouvelle est tombée, ce week-end, comme un couperet. Le président de la République a pris la ferme résolution de supprimer le poste de Premier ministre. Ce qui ne manquera certainement pas d’occasionner un bouleversement très profond de toute l’architecture du droit constitutionnel sénégalais.

Abdoulaye Wade avait sa vice-présidence. Macky Sall tient désormais son secrétariat général de taille XXL. Bientôt, au Sénégal, on ne parlera plus du poste de Premier ministre. Telle est la volonté du chef de l’Etat qui devra être matérialisée par l’Assemblée nationale où il dispose d’une majorité plus que confortable. Comme si l’histoire se répétait, il faut remonter à 1983 pour voir un scénario presque identique. Mais avant cela, le poste de Premier ministre avait aussi été supprimé en 1963, sous le président Léopold Sédar Senghor.

Si, pour la première fois, en 1963, les choses étaient claires, pour la deuxième, elles l’étaient moins. En effet, en 1963, Senghor, qui avait souffert du bicéphalisme à la tête de l’Exécutif, avait décidé d’y mettre un terme, en supprimant tout bonnement le poste de président du Conseil, équivalent de celui de Pm. La situation ante ne permettait pas, explique le professeur de droit public Ndiogou Sarr, d’avoir une bonne lisibilité entre les compétences du président de la République et celles du président du Conseil qu’occupait le président Mamadou Dia. C’est pourquoi, au sortir de la crise de 1962, le président Senghor avait jugé utile de recentrer tous les pouvoirs au niveau de la présidence. Cela n’avait donc rien à voir avec la situation actuelle. Senghor était devenu en même temps président de la République et chef du gouvernement. Le Premier ministre, sous sa forme actuelle, sera finalement institué en 1970 et confié à un technocrate.

Entre 1963 et 1983, beaucoup d’eau aura donc coulé sous les ponts. Les raisons qui ont poussé Senghor à se séparer d’un Premier ministre tout puissant n’étaient plus d’actualité. Mais d’autres avaient fini de prendre forme au niveau de la présidence. Pourquoi Abdou Diouf avait supprimé le poste de Premier ministre ? Un de ses conseillers à l’époque explique que cela procédait surtout de la volonté de Jean Collin, alors tout-puissant secrétaire général de la présidence. ‘’Collin, rapporte notre source, ne voulait pas de quelqu’un entre lui et le président de la République. De l’accession de Diouf au pouvoir jusqu’en 1983, il occupait le poste de secrétaire général de la Présidence tout court. C’est à la suppression du poste de Pm qu’il a été nommé ministre d’Etat, secrétaire général de la Présidence. Il en sera ainsi jusqu’en 1990, à son départ’’.

Quand Diouf devient ‘’roi fainéant’’

Comme Dionne. C’est à partir de ce moment, indique toujours notre source, que Diouf est devenu ‘’roi fainéant’’. Pendant ce temps, Collin avait été davantage renforcé dans ses prérogatives. ‘’Il lui arrivait de réunir les ministres et de coordonner leurs actions’’, informe l’ex-conseiller. Qui rappelle que l’ancien ministre d’Etat va quitter plus tard l’entourage du président Abdou Diouf, à cause de la nomination de Famara Ibrahima Sagna. Les deux personnalités, indique-t-il, ne se sont jamais entendues. Le hasard a fait que le départ de Collin en 1990 coïncide avec le retour du poste de Premier ministre.

Après Collin, Ousmane Tanor Dieng, dit-on, a joué presque le même rôle. ‘’Il était comme un Premier ministre’’, selon nombre d’observateurs. Par ailleurs, pour le professeur de droit public Ndiogou Sarr, la suppression du poste de Premier ministre ne manquera pas de créer des bouleversements majeurs dans l’armature institutionnelle du Sénégal. ‘’Le poste de Premier ministre servait non seulement de fusible, mais également permettait d’avoir quelqu’un pour coordonner l’Administration. Avec sa suppression, on va vers une hypertrophie des pouvoirs entre les mains d’un seul homme, le président de la République. De ce point de vue, il y aura davantage de lourdeurs. C’est comme si le chef de l’Etat voulait tout concentrer entre ses mains. Cette réforme, en plus d’entrainer des bouleversements majeurs, est inutile’’, estime le publiciste.

Ainsi, Senghor avait supprimé pour mettre un terme à la dualité. Diouf pour renforcer le tout-puissant Jean Collin. Et Macky, pourquoi a-t-il jugé utile de se départir de son Pm ? Cette question est d’autant plus légitime que lui ne souffre ni de la dualité comme Senghor ni de la présence d’une forte tête comme Collin. Si nombre d’observateurs y voient une volonté de tout concentrer entre ses mains, d’autres mettent en garde contre toute précipitation. Pour eux, il faut attendre au moins de voir la nouvelle clé de répartition des compétences. Ainsi seulement pourraient-ils juger du scénario entrepris par l’actuel locataire du palais de la République. Soit ce sera comme Senghor, le président hyperpuissant, soit comme Diouf, le roi fainéant.

Allant plus loin dans l’analyse, d’autres se demandent si le président de la République n’est pas en train de mettre en place un poste pour sa future reconversion, à défaut de pouvoir se présenter en 2024.

Pour rappel, récemment, Macky 2012 avait recommandé au président d’opter pour un scénario à la Poutine.

Ce qui va changer

Un séisme institutionnel ! Le mot n’est pas de trop pour qualifier les multiples changements entrainés par la réforme Macky Sall. Ce qui est sûr, c’est que, désormais, si la réforme entre en vigueur, il n’y aura plus de doute sur la nature du régime politique au Sénégal. Cela n’était pas le cas, à la lecture des dispositions constitutionnelles qui, à bien des égards, comportaient des caractéristiques d’un régime parlementaire. Même si, dans la pratique, l’on s’approchait plus d’un régime présidentiel, voire présidentialiste. Avec la nouvelle réforme Macky Sall, d’importants bouleversements vont voir le jour. Principalement, il s’agira de revoir le titre IV de la Constitution intitulée ‘’Du gouvernement’’. Ce titre renvoie aux articles 53, 54, 55, 56 et 57 de la Constitution. Mais pas que !

Il ressort, en effet, de l’article 53, que le gouvernement comprend le Premier ministre, chef du gouvernement, et les ministres. D’après ledit article, le gouvernement conduit et coordonne la politique de la nation sous la direction du Premier ministre. Ce dernier est responsable devant le président de la République et devant l’Assemblée nationale dans les conditions prévues par les articles 85 et 86 de la Constitution. En ce qui concerne l’article 55, il prévoit qu’après sa nomination, le Premier ministre fasse sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale. Cette déclaration est suivie d’un débat qui peut, à la demande du Premier ministre, donner lieu à un vote de confiance. Quant à l’article 56, il parle du caractère collégial du gouvernement, dont la démission ou la cessation des fonctions du Premier ministre entraîne la démission de l’ensemble de ses membres. Enfin, pour ce qui est de l’article 57, il souligne que le Premier ministre dispose de l’Administration et nomme aux emplois civils déterminés par la loi. Il assure l’exécution des lois et dispose du pouvoir réglementaire sous réserve des dispositions de l’article 43 de la Constitution.

Toujours selon cette disposition, les actes réglementaires du Premier ministre sont contresignés par les membres du gouvernement chargés de leur exécution. Le Premier ministre préside en outre les Conseils interministériels ainsi que les réunions ministérielles ou désigne, à cet effet, un ministre. Il peut également déléguer certains de ses pouvoirs aux ministres. Ce n’est pas tout. Le Premier ministre avait aussi la prérogative de contresigner les actes du président de la République, à l’exception de certains.

A qui seront désormais dévolues toutes ces compétences ? Est-ce au ministre d’Etat Sg de la Présidence ou au président lui-même ? Qu’adviendra-t-il des pouvoirs de dissolution du chef de l’Etat sur l’Assemblée nationale et de motion de censure du Parlement ? Les prochains jours devront permettre d’avoir une réponse claire sur ces questions. Il faudra une majorité des 3/5 pour procéder à l’adoption de la réforme.

Les inquiétudes du député Théodore Chérif Monteil

Dans une interview qu’il nous a accordée et qui sera publiée ultérieurement, le député Théodore Chérif Monteil, membre de la majorité, retient que la suppression du poste de Pm peut être analysée sous deux angles. Sous l’angle des pouvoirs détenus par le Premier ministre, ‘’on peut penser, a priori, que, du fait de son rôle strictement confiné à la coordination de l’exécution des politiques définies par le président de la République, le poste n’est pas très utile et constitue, comme M. Boun Abdallah Dionne l’a dit lui-même, ‘’un échelon intermédiaire’’. Mieux, le parlementaire estime même que ‘’pour un chef d’Etat qui veut conduire son action en mode ‘fast track’, les intermédiaires sont sources de ralentissement et surtout de distorsion de l’information. Vu sous cette perspective, c’est certainement une bonne chose et aussi, par effet collatéral, une source d’économie pour nos maigres deniers’’.

Toutefois, s’empresse d’ajouter le leader de l’Union citoyenne Bunt Bi, l’interlocuteur entre le gouvernement et l’Assemblée nationale, c’est le Premier ministre. Dès lors, la question qu’on doit se poser, selon lui, c’est maintenant ‘’qui sera, en absence de Premier ministre, l’interlocuteur du Parlement ?’’. ‘’L’équilibre des forces entre l’Exécutif et le Législatif est assuré par le fait que l’Assemblée nationale a le pouvoir de faire tomber le gouvernement par la motion de censure et le président a lui le pouvoir de dissoudre cette même Assemblée nationale’’, informe-t-il, avant de s’interroger : ‘’Lorsqu’il n’y aura plus de Premier ministre, comment le Parlement va-t-il s’adresser au gouvernement ?’’ Le député de rappeler que le seul contact que le chef de l’Etat a avec le Parlement se fait à travers le gouvernement par l’intermédiaire d’un Premier ministre.

‘’Ou bien devra-t-on se contenter de messages tels que stipulé par l’article 79 de la Constitution qui dispose : ‘Le président de la République communique avec l’Assemblée nationale par des messages qu’il prononce ou qu’il fait lire et qui ne donnent lieu à aucun débat’’’, se demande-t-il, soulignant que cette réforme sera profonde et entraînera une réécriture complète de la Constitution. ‘’Si on sait que depuis 2001 le Sénégal n’a pas de texte fondamental consolidé, on voit d’ici l’ampleur de la tâche. Car, à l’heure où on parle, nul ne peut dire qu’il existe une version officielle de la Constitution du Sénégal consolidée. Si vous allez sur le site du Secrétariat du gouvernement, vous y trouverez un effort d’agrégation réalisé par le Conseil constitutionnel avec la note explicative ci-après (voir encadré).

En tout état de cause, fait savoir le député de la majorité, ‘’je vais réfléchir à haute voix sur la question que me pose ma conscience, mais aussi ceux-là qui m’ont élu député : quel est l’intérêt, pour un président en cours de dernier mandat, de réunir autour de sa personne tous les pouvoirs d’une nation ?’’.

NOTE EXPLICATIVE DE LA CONSTITUTION

‘’L’absence d’un texte consolidé fait naître des incertitudes juridiques’’

‘’À l’épreuve du temps, la Constitution, adoptée lors du référendum du 7 janvier 2001, promulguée et publiée au ‘Journal officiel’ n°5963 du 22 janvier 2001, présente un nouveau visage, en raison des nombreuses lois constitutionnelles qui ont modifié, abrogé ou remplacé la plupart de ses dispositions. Ces différentes lois ont introduit des changements majeurs tant dans l’esprit que dans la lettre des dispositions concernées.

Cependant, malgré ces importantes modifications, aucune action concertée des autorités compétentes permettant aux citoyens de disposer d’un texte unique, consolidé et officiel de la Constitution, reflétant exactement la volonté du pouvoir constituant, n’a été entreprise. L’absence de ce travail officiel de consolidation et de mise à jour fait naître des incertitudes juridiques quant à la bonne version de la Constitution.

En effet, on peut constater que plusieurs versions de cette Constitution, avec parfois des différences majeures, circulent et sont diversement appréhendées par les différents acteurs. Cette approche multiple et différenciée dans la présentation du texte de la Constitution, qui conduit à l’existence d’autant de versions de notre Loi fondamentale qu’il y a d’éditeurs, chacun apportant à sa manière les corrections qu’il juge appropriées, est nécessairement source d’insécurité.’’

MOR AMAR
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