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Le Soleil N° 13171 du 19/4/2014

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Plus de trois ans après la fuite de Ben Ali : La Tunisie, une révolution au goût d’inachevé
Publié le samedi 19 avril 2014   |  Le Soleil


Yadh
© aDakar.com par DF
Yadh Ben Achour, juriste tunisien salue le combat de la société civile dans la transition réussie par son pays
Le juriste tunisien Yadh Ben Achoura salué, le jeudi 1è avril 2014, à Dakar, le combat de la société civile dans la transition réussie par son pays


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L’adoption, le 26 janvier, d’une nouvelle Constitution et la mise en place d’un gouvernement de technocrates a provoqué une détente politique en Tunisie. Mais les difficultés économiques et le chômage massif des jeunes donnent un goût un peu amer à la révolution qui avait suscité un grand espoir.
Une fine pluie accompagne les voyageurs qui débarquent à l’aéroport Tunis Carthage, ce mardi 25 mars. L'Europe est proche. Dès l'aéroport, on a une idée de la crise économique qui frappe le pays. Les taximen essaient de soutirer le maximum aux voyageurs étrangers. L'un d'eux me réclame 50 dinars tunisiens (22,7 euros) pour un trajet qui en vaut 15 (de l'aéroport Carthage au quartier touristique de Gammarth). Il se fait larmoyant : « Monsieur, ici, c'est la crise et j'ai une famille à nourrir... » Je refuse de céder et finis par trouver un compromis avec un autre taximan. « 15 dinars ! » me dit-il. Mais en cours de route, lui aussi veut me soutirer quelques dinars de plus, arguant qu'il a deux fils à nourrir et que la fréquentation touristique, l’une des principales sources de revenus du pays, a beaucoup baissé depuis la révolution. Ce qui a fortement impacté sur son activité. Je finis par lui donner 18 dinars. S’il y a des taximen véreux, d’autres sont plus respectueux de la loi. « Le compteur, c’est halal, le reste, c’est ‘‘haram’’ (prohibé) », nous martèle un autre taximan, soucieux de « ne gagner que du licite ». A l’arrivée, la différence est nette : le compteur affiche 10 dinars, là où les autres n’en demandent pas moins de 18.
Pourtant, les signes de développement sont nombreux dans ce pays plus européen qu'africain. Dans la capitale, Tunis, les infrastructures (routes, ponts, échangeurs) n'ont rien à envier à ceux des pays développés. Les dômes des mosquées sont visibles à travers la magnifique architecture citadine. La nuit tombant, on aperçoit, de loin, le quartier touristique de Sidi Bou Saïd percé sur une falaise dominant Carthage et le golfe de Tunis. Sur la route de l’aéroport bordée de fleurs (le célébre jasmin), le printemps tunisien s’affiche dans toute sa splendeur ; le printemps politique aussi : les drapeaux en berne sont visibles dans toute la ville.
Même si la ferveur politique a baissé d’un cran depuis la constitution d’un gouvernement d’union nationale dirigé par Mehdi Jomaa depuis le 29 janvier dernier.
L’avenue Bourguiba, haut lieu de la contestation qui a fait tomber Ben Ali, puis théâtre des manifestations contre le gouvernement dominé par Ennahda après les assassinats des députés Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, a retrouvé l’ambiance des jours ordinaires. A côté des vendeurs de fleurs, quelques piétons s’arrêtent pour griller une cigarette en discutant. Ici se croisent les deux visages de la Tunisie depuis la révolution : d’un côté des femmes portant des jeans moulants et chevelure au vent, de l’autre des femmes voilées et des hommes barbus. Cette fracture se reflète dans le discours politique des uns et des autres. Depuis la révolution, les langues se sont libérées. Les Tunisiens expriment volontiers leurs opinions politiques. Fares, cadre dans une société d’assurance, est l’exemple type du camp laïc. Il garde un mauvais souvenir de l’expérience Ennahda : « Ils n’ont rien foutu de bon. L’économie est exsangue et les touristes ont déserté le pays. Ils ont bouffé l’argent et il n’y a plus de travail ». Un jugement que ne partage pas ce fervent partisan d’Ennahda qui garde l’anonymat. Loquace, il s’épanche largement sur l’héritage de Ben Ali qui, avec son clan, avait fini de vampiriser l’économie tunisienne. Notre interlocuteur va jusqu’à nous révéler que l’hôtel où nous logeons appartenait à Leïla Trabelsi, la femme de Ben Ali. Défendant le bilan des islamistes, il estime que le front social n’a pas facilité les choses au gouvernement dominé par Ennahda, avec « 40.000 grèves » répertoriées dans différents secteurs. S’ils restent politiquement divisés, entre islamistes et laïcs, ou entre salafistes et modérés, les Tunisiens s’accordent sur un point : la nécessité d’un retour à la normale et la relance de l’économie. « Ce que nous attendons du gouvernement qui sera élu à l'issue des élections [prévues avant la fin de l’année], c'est la liberté, la sécurité et le travail. Mais pour le moment, il faut laisser le gouvernement intérimaire travailler », confie Sami.

Absence de culture démocratique
A la Marsa, banlieue de Tunis, vit une certaine classe aisée et quelques étrangers. Des fonctionnaires internationaux pour la plupart. Les rues sont presque vides. Quelques travailleurs qui se sont attardés au bureau hèlent un taxi. Dans un petit restaurant chic, situé à côté du grand centre commercial le Zephyr, la clientèle est composée de personnes de tout âge. Entre la guitare qui accompagne la chanteuse de nuit et l'environnement réchauffant, on se croirait dans un casino de Las Vegas. Même si, bien sûr, il n'y a pas de salle de jeu. Les étrangers aiment surtout y venir apprécier la nourriture tunisienne.
Alena Sander, une allemande qui travaille à la Giz, l'agence allemande de développement international, a ses habitudes dans cet endroit. Elle qui vit à Tunis depuis plus d'un an, porte un regard singulier sur ce pays. Selon elle, aujourd’hui, de nombreux Tunisiens semblent regretter la révolution. « En effet, depuis la fuite de Ben Ali, beaucoup de choses ont changé – et ce pas toujours dans le bon sens. Deux ans et demi après la révolution, la Tunisie se trouve toujours en transition d’un régime à un autre, sans que l’on sache dans quelle direction elle va », écrit-elle dans son mémoire consacré au rôle des femmes dans la révolution tunisienne. « Un des plus grands problèmes consiste au manque d’expériences démocratiques des Tunisiens, ajoute-t-elle. Ayant toujours vécu sous des régimes plus ou moins autoritaires, la plupart des Tunisiens n’ont jamais appris comment se fait l’application des droits et des libertés, dont la liberté d’expression, de presse, de réunion ou de religion. Le fait que ces libertés aient été créées presque d’un jour à l’autre peut être extrêmement problématique dans une société dont le niveau d’éducation est relativement bon, mais dans laquelle l’accent n’a jamais été mis sur l’éducation politique et citoyenne ». Maintenant que les questions relatives au statut des femmes, au rôle du sacré et à la liberté de conscience sont tranchées par la Constitution, reste les questions économiques.

Pr. Yadh Ben Achour, universitaire tunisien : « On a mis en place les fondements d’un Etat réellement démocratique »
Ancien président de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, le Pr. Yadh Ben Achour a joué un rôle clé dans la transition démocratique en Tunisie après la chute de Ben Ali. Présent à Dakar pour animer une conférence sur le thème : « Révolution, Constitution et transition démocratique en Tunisie », il nous livre sa réflexion sur les acquis de la révolution (notamment en matière de libertés) et les défis qui attendent le gouvernement qui sortira des urnes d’ici la fin de l’année.
Près de trois ans et demi après la fuite de Ben Ali, quels sont les acquis de la révolution tunisienne ?
Premièrement, depuis la révolution, il s’est passé quelque chose de fondamentalement nouveau en Tunisie, c’est que maintenant, nous goûtons à la liberté et ses conséquences, notamment au niveau de la créativité de l’art, qui se développe de manière remarquable. Du reste, les artistes ont joué un grand rôle dans la révolution, à côté des jeunes et des femmes. Il y a aussi la liberté de la presse, la liberté d’édition, de réunion, d’expression, de manifestation, etc. Toutes ces libertés étaient de grandes inconnues pour nous. Deuxièmement, malgré les difficultés et les crises, nous avons gagné le pari d’une Constitution démocratique avec un gouvernement et une Assemblée constituante islamistes – ce qui est un grand paradoxe. C’est une Constitution démocratique en ce sens qu’elle reconnaît à l’article 2 le caractère civil de l’Etat, qu’elle consacre toutes les libertés fondamentales et qu’elle limite les prérogatives du législateur. On a supprimé l’article 146 qui reconnaissait l’Islam comme religion d’Etat, on a créé une Cour constitutionnelle qui, j’espère, commencera bientôt à fonctionner. On a donc mis en place les fondements d’un Etat réellement démocratique. La troisième chose que nous avons gagné, et j’aurais du commencer par là, c’est l’instauration du débat public sur toutes les questions de société. Cela veut dire que cette Constitution n’a pas été instaurée du haut de l’Etat, comme sous Bourguiba. Tout ce que nous avons obtenu est le fruit d’un consensus horizontal, et la presse y a joué un rôle important.

Les islamistes sont encore très présents dans la société tunisienne et dans la vie publique. Est-ce que la menace salafiste est écartée pour toujours ?
Une menace salafiste n’est jamais écartée, parce que le salafisme existe dans le parti majoritaire lui-même, indépendamment des partis purement salafistes, comme Ansar Al Charia. Je crois que la grande erreur que les régimes antérieurs ont commise, c’était d’exclure les partis islamistes du pouvoir et de les avoir persécuté. Ce qui les a consolidés au lieu de venir à bout de l’islamisme politique. Ce qui explique le succès des partis islamistes lors des élections du 23 octobre 2011 ayant joué la carte de la victimisation. La leçon à tirer de cela est qu’il ne faut jamais exclure une tendance de la vie politique. Il faut savoir jouer avec. Bourguiba aurait pu intégrer le mouvement Ennahda, apparu dans les années 1970, dans le jeu politique et l’administration. En l’excluant, ils (Bourguiba, puis Ben Ali) ont renforcé cette mouvance.

Vous avez parlé des acquis de la révolution matérialisés par la nouvelle Constitution qui a tranché les questions liées au sacré, à la liberté de conscience et au statut de la femme. Mais il reste de nombreux défis, tels que l’emploi des jeunes…
On a réglé le premier défi, à savoir la Constitution. Mais une Constitution ne donne pas à manger. Elle ne règle pas non plus les problèmes de justice sociale, de chômage des jeunes ou de déficit budgétaire. Donc, on a balisé le chemin pour les grandes réformes. La Tunisie a un problème économique très sérieux, un problème de déséquilibre régional et de quasi-ruine des finances publiques. On dit que l’Etat aura de la peine à payer les salaires du mois d’avril et de juin, et qu’il faudra recourir au prêt intérieur auprès de la Banque centrale de Tunis. Il faut relancer l’économie, relancer le tourisme et la croissance. Il faut surtout remettre les gens au travail et à la discipline, car, après la révolution, les gens sont dans une sorte d’ivresse de la liberté. Relancer l’économie sera le vrai défi du prochain gouvernement.

Donc, vous pensez que la Tunisie n’est pas encore sortie de la période trouble ?
En effet. Je pense qu’aucun Etat ne peut se dire à l’abri de troubles. A plus forte raison un Etat qui sort de la révolution. Les problèmes que j’ai évoqués, notamment celui de l’emploi des jeunes, ne peuvent être résolus d’un coup de baguette magique. Il faudra des années de labeur, de discipline sociale et de sérieux dans la gestion de l’Etat pour les résoudre. Ce qui veut dire qu’on a encore une bonne dizaine d’années à attendre.

Les élections générales se tiendront d’ici la fin de l’année. Quelles sont vos attentes ?
J’espère qu’enfin nous pourrons avoir un gouvernement à qui personne ne pourra reprocher d’être provisoire, car, depuis la révolution, nous n’avons eu que des gouvernements, un président et une Assemblée provisoires. Ces élections nous permettront d’avoir des institutions constitutionnelles durables, légitimes et légales qui pourront travailler sur le réel et s’attaquer aux véritables défis auxquels la Tunisie est confrontée.

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