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Conflit armé et trafic de bois en Casamance: Les recettes vertes d’une guerre trentenaire
Publié le mercredi 14 novembre 2018  |  Sud Quotidien
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© Autre presse par DR
Le président de la République veut un encadrement plus strict de la coupe de bois
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Le conflit indépendantiste en Casamance, dans le Sud du Sénégal, est en passe de franchir ses trente-six années de crise, soit le plus vieux des foyers actifs de guerre en Afrique. L’insécurité ambiante entretenue par une guérilla forestière fait le lit d’exactions multiples. Au rang des actes délictueux, figure le trafic illicite de bois. Les enjeux économiques de ce trafic dépassent les frontières et font perdurer la crise. L’ampleur des coupes installe un chaos écologique dans un contexte de réchauffement climatique et de survie, par l’entremise des mécanismes d’adaptation aux changements climatiques. Le diagnostic révèle une implication avérée d’acteurs multiples à la faveur de leur titre, rangs ou qualité. Cependant, l’accalmie sur le terrain tempère, quelque peu, les ardeurs sur ce pillage à grande échelle. Mais jusqu’à quand ? Sud quotidien, avec l’appui de E-jicom, vous propose une enquête sur le sujet.

Le trafic illicite de bois en Casamance est sur une tendance baissière, ces deux dernières années, à en juger par le silence des armes. C’est le résultat d’une accalmie qui dissipe le spectre d’attaques rebelles dans cette partie sud du Sénégal. Les bombardements assourdissants entre belligérants (séparatistes et Forces armées sénégalaises) ont cessé de frémir les oreilles. Et, pendant ce temps, les activités économiques reprennent progressivement en milieu rural. L’Etat du Sénégal n’a pas hésité à mettre cette accalmie à profit pour reprendre le contrôle de l’exploitation du couvert végétal à la faveur de l’éviction de l’ancien président gambien, Yahya Jammeh, accusé d’héberger les ennemis de la forêt casamançaise.

Pour autant, la bande frontalière avec la Gambie est loin d’être assez assainie des prédateurs véreux de la forêt. De Diogué, en basse Casamance, à Gouloumbou, en haute Casamance, le trafic fait son bonhomme de chemin. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), «le Sénégal perd chaque année 40.000 hectares du fait de la déforestation». Et, le Sud étant le plus boisé perd ses massifs forestiers à la vitesse de l’électron. Des facteurs divers et multiformes assurent la survie de ce commerce illicite, selon plusieurs témoignages.

LA TRAÇABILITE DU PARCOURS DU BOIS, LES DERNIERS MASSIFS EN SURSIS !

Notre expédition en plein cœur de la zone du Fogny, dans le Nord du département de Bignona, atteste de l’existence du trafic de bois sur toute la bande frontalière avec la Gambie. Dans la zone des palmiers, les recettes issues des coupes de bois nourrissent bon nombre de ménages. «Le trafic de bois est une activité commerciale toujours actuelle dans notre zone des palmiers. Les populations locales qui n’ont pas de sources potentielles de revenus versent dans ce commerce. Si au début l’implication des multinationales, comme les Chinois et les Indiens, a donné de l’appétit aux populations dont des élus, leur retrait constaté ne démobilise pas pour autant les coupeurs de bois. Nous sommes en zone d’insécurité et je ne citerai pas de nom, mais je reste convaincu que des chefs de village, des élus, les maquisards et des chefs de service de l’Etat sont impliqués dans le vol de bois», a déclaré Daouda Sonko dit Boss, le président du Comité d’action pour le développement de la zone des palmiers (CADP). Daouda Sonko est, par ailleurs, le président de la Plateforme des organisations des zones transfrontalières de la Sénégambie méridionale et ancien président du Conseil rural de Djignaky (Nord Bignona).

La mine très relaxe devant le microphone et sur la même question, Paul Abib Sagna, le coordonnateur de l’Association d’appui aux initiatives de paix et de développement de Diouloulou (ASAPID), dresse un état des lieux apocalyptique du massacre des arbres pieds sur terre. «Le vène, le caïlcédrat, le dimb et le linké sont les espèces les plus prisées. Beaucoup de forêts, jadis touffues, sont devenues des clairières. La sensibilité de la chose, sous l’emprise des devises étrangères, augmente le risque et la propension à se faire liquider par des exploitants et leurs acolytes parmi les autochtones», explique Paul Abib Sagna.

UN TRONC DE VENE VENDU A 60.000 F CFA ET SON TRANSPORT A 20.000 F CFA

Paul Abib Sagna, le coordonnateur de l’Association d’appui aux initiatives de paix et de développement de Diouloulou, explique le modus operandi des coupeurs de bois et l’«ingéniosité» avec laquelle ils convoient le produit vers la Gambie. «La complicité est établi à priori avec les populations locales. Il y’a des équipes de coupe et parfois de mèche avec le chef de village. Une fois le bois coupé, le tronc de vène est cédé à 60.000 F CFA en forêt. Et si le convoyeur doit l’acheminer en Gambie, chaque tronc est facturé à 20.000 F CFA. Faites le calcul pour une dizaine de troncs transportés.» Paul Abib Sagna rajoute que «des motos cylindrées et des denrées alimentaires influencent aussi, pour beaucoup, ce fleurissant commerce».

Ce schéma est identique à ce qui se passe dans la partie nord de Sédhiou, en zone du Kabada, Dator et Tankon. Mamadou Seydou Diallo, le président de l’Association pour la protection de l’environnement (AVPE), et son collaborateur Ndiawar Wade attestent avoir plusieurs fois été défiés par des populations locales, sous la hargne de vendre du bois en Gambie. «Nous nous sommes érigés en boucliers, mais le risque de se faire abattre est permanent. Il faut que l’Etat trouve une solution durable si on veut encore sauver ce qui peut vraiment l’être», ont-ils prévenu.

Par contre, dans le secteur frontalier de Pata et de Médina Yoro Foula, dans la région de Kolda, «une réelle accalmie est notée ces dernières années», a rassuré le lieutenant-colonel Babacar Dione, chef de l’Inspection régionale des Eaux et Forêts de Kolda.

LE VRAI VISAGE DES COUPEURS DE BOIS

Qui est coupeur de bois des forêts de la Casamance ? «A analyser de plus près cette interrogation, l’on est tenté de croire que c’est tout le monde, toutes couches et sensibilités confondues qui se meuvent dans le trafic», a fait savoir Daouda Sonko alias Boss, le président du Comité d’action pour le développement de la zone des palmiers habitant la commune de Djignaky. Daouda Sonko de relever que «dans cette zone des palmiers du reste très boisée, ce sont les combattants du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) qui y opèrent. Ils assurent la délivrance des permis de coupe. A côté, le reste de la population fait son propre business sur le bois. L’enjeu est gras car élus, chefs de village et autres chefs coutumiers sont dans le commerce de bois».

SALIF SADIO REJETTE LA SUSPENSION DES AUTORISATIONS DE COUPE DE BOIS

Journaliste flegmatique et observateur de la situation de conflit en Casamance, Ibrahima Gassama, situe cette implication du MFDC dans l’exploitation du bois aux années 1992, date à laquelle l’Etat du Sénégal a signé un accord de cessation des hostilités. C’est à cette période, dit-il, que «le front nord est créé et dirigé par Souwahibou Kamougué Diatta. Et, parmi les clauses, il fallait abandonner les traques contre leurs camps à peine installés. A côté et comme le besoin crée les conditions, des scieries comme Diango, Tanhgory et Teubi se sont développées sur l’axe. Vers la Gambie, des multinationales absorbent le flux d’exportation de bois via les gares maritimes de ce pays. En plus, le régime de l’ancien président gambien Yahya Jammeh avait ouvert les brèches aux exploitants forestiers, Chinois et Indiens notamment. Et, ce sont les conséquences qui subsistent jusqu’à présent», a fait savoir Ibrahima Gassama.

Au sujet du MFDC toujours, le chef de l’aile dure, Salif Sadio, a défié l’Etat qui avait décrété la suspension de toutes les autorisations de coupe de bois en Casamance. En janvier dernier, dans un entretien accordé à la radio Zig Fm à Ziguinchor, il avait déclaré ne jamais respecter cette suspension des autorisations de coupe de bois en Casamance.

LE MAIRE D’OULAMPANE CONDAMNE, POUR TRAFIC DE BOIS

Une décision de justice rendue publique par le Tribunal départemental de Bignona a condamné, en juin dernier, le maire d’Oulampane, Lansana Sané, membre du Haut conseil des collectivités territoriales (HCCT) à trois mois avec sursis et une amende d’un million de F CFA à verser à la partie civile. Ses cinq co-inculpés, à savoir Pape Alassane Cissé, Nfaly Mané, Aliou Dieng, Mar Dramé et Vieux Sagna, arrêtés aussi dans cette affaire d’exploitation frauduleuse de produits forestiers dans le village de Tankoron, ont écopé d’une peine de deux mois avec sursis et de 500.000 F CFA de dommages et intérêts. Lansana Sané est poursuivi pour exploitation abusive de bois, abattage clandestin d’arbres et trafic illicite de bois sans autorisation.

Le mis en cause dénonce «une cabale politicienne aux allures de jalousie qui est montée contre moi. Tout est parti du projet de construction de pistes de production. Et, l’entreprise Safiédine, en charge des travaux, devrait exploiter les carrières de Goungoulou. L’entreprise a terrassé 5 pieds de caïlcédrats et le maire de Sindian crie au scandale au motif que j’exploite jusque dans sa commune qui n’a aucune forêt, avec notre collectivité territoriale. Il cherchait à me nuire politiquement, c’est tout car j’ai 5 massifs forestiers dans ma commune», a expliqué Lansana Sané, maire d’Oulampane et membre du HCCT.

Dans sa réplique, son collègue maire de Sindian, Yankhouba Sagna, note: «si c’était une cabale contre lui, pourquoi alors a-t-il été condamné par le Tribunal, lui et ses acolytes ? Moi je suis bien conscient des risques climatiques du fait de l’exploitation anarchique de nos forêts. Je reste engagé, plus que jamais, à dénoncer les ennemis de la forets, dont le maire d’Oulampane», martèle-t-il depuis l’étranger où il se trouvait au moment de notre entretien téléphonique sur le sujet.

LE SYNDROME BOFFA: UNE INCONGRUENCE ENTRE LA LEGALITE ET LA LEGITIMITE ?

La tuerie de Boffa-Bayotte, dans les périphéries de Ziguinchor, intervenue le 6 janvier 2018 et non encore tranchée par la justice, s’invite à tous les débats relatifs à l’exploitation du bois. Nombreux sont ceux qui l’attachent à une veille sentinelle décidée par les habitants de la zone. «Face à l’ampleur des coupes abusives de bois, des jeunes engagés à défendre leurs forêts ont interpellé et passé à tabac des exploitants forestiers, en décembre 2017. L’un des exploitants a porté plainte, en brandissant un Certificat médical de 21 jours d’incapacité. Ce qui a valu une peine carcérale contre les mis en cause. Sursaut d’orgueil à relent vindicatif, les villageois se sont organisés à laver l’affront qui a tourné à ce drame», explique un observateur de la crise casamançaise ayant requis l’anonymat. Il apparait donc très clairement la légitimité des populations de défendre une forêt en péril et l’absence de toute légalité d’assurer cette veille éco-citoyenne.

Auparavant, du côté de Médina Yoro Foula (région de Kolda), un homme du nom de Moustapha Guèye qui prétendait défendre les forêts contre des «prédateurs gambiens» a été tué. Cela faisait suite aux différends de terre puis de forêts qui opposaient le village de Same Yoro Guèye (Sénégal) à celui de Diaxaly (Gambie). D’où l’urgence de trouver une articulation savante entre cette propension d’écocitoyenneté des populations locales et les instruments légaux qui leur permettront de jouer pleinement et sans risque leur rôle de veille sentinelle contre le pillage des ressources forestières. La convention locale est de plus en plus proposée comme alternative à cette vive préoccupation écologique, face à la menace quotidienne des changements climatiques.

SYNERGIE TRIANGULAIRE ENTRE LE SENEGAL, LA GAMBIE ET LA GUINEE-BISSAU

La nouvelle loi sur le Code forestier, votée à l’Assemblée nationale le vendredi 02 novembre dernier, alourdit les peines pour mitiger le péril. Les zones transfrontalières sont les plus vulnérables, assorties d’affrontements meurtriers.

En juillet dernier, un atelier a réuni des experts internationaux et ceux du Sénégal, de la Gambie et de la Guinée-Bissau. Il est question de «disposer des informations de base sur les ressources forestières et la gestion durable des forêts dans la sous-région, type et ampleur des exportations / importations illégales de produits ligneux et impacts des activités illégales et non réglementées sur les ressources forestières».

Cette rencontre avait également pour but d’informer les participants sur les enjeux liés à la demande en biomasse (bois de feu et charbon) et à l’exploitation des produits ligneux (légale et illégale), deux facteurs déterminants de la dégradation des forêts et de la dégradation des sols et identifier les opportunités pour les combattre.

Des recommandations sont faites pour améliorer la gestion des forêts dans les zones frontalières, élaborer des protocoles et ententes institutionnels pour les politiques et pratiques transfrontalières et éradiquer l’exploitation illégale et le commerce illicite des produits forestiers à la frontière des trois pays, figurent également parmi les objectifs de la rencontre.

DOSSIER REALISE PAR MOUSSA DRAME
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