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Études d’impacts environnementaux: Omerta autour du montant décaissé
Publié le jeudi 27 septembre 2018  |  Enquête Plus
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© Autre presse par DR
La baie de Hann, considérée comme l’une des plus belles au monde, offre aujourd’hui un des visages les plus hideux.
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Les financements annoncés pour la dépollution de la baie de Hann semblent plus troubles que la berge elle-même. Il est aujourd’hui difficile, pour ne pas dire impossible, d’avoir le montant global décaissé pour ce projet.

L’enveloppe totale pour la réalisation de la première phase du projet de dépollution de la baie de Hann s’élève à plus 33 milliards de francs Cfa, dont 13,119 milliards octroyés par le royaume des Pays-Bas, 19,678 milliards de l’Agence française de développement (Afd) et 1,443 milliard de l’Etat du Sénégal. Cependant, la somme qui a été dégagée par les autres partenaires et qui devait servir à financer la phase d’études reste un mystère.

‘’Tous les financements alloués à cet égard ont servi aux études. On ne peut pas faire un projet d’une telle envergure sur une distance d’environ 14 km avec autant d’impacts, sans faire d’études sérieuses. Et cette période demande du temps, une préparation minutieuse, une bonne attribution du marché’’, justifie le président de l’Asc Yarakh, Mbacké Seck. Même si, à l’œil nu, il est difficile de percevoir l’impact de ces études sur l’état de la baie, cet activiste insiste, persiste et signe qu’on ‘’ne peut pas dire que rien n’a été fait’’. ‘’Les études sont sérieuses et ont été déjà effectuées. Les marchés ont commencé à être attribués. Il n’y a pas eu de détournement d’objectif’’, se défend-il.

Ce sera le même son de cloche chez le maire de la commune de Hann Bel-Air. Interpelé par ‘’EnQuête’’ alors qu’il assistait à la journée de nettoiement tenue aux côtés du canal 6, le week-end dernier, Babacar Mbengue affirme : ‘’Les milliards déjà investis ont servi à des études. Tout bon projet nécessite une étude. Elle implique l’intervention de divers spécialistes de tout bord. Certains sont qualifiés, d’autres non. Depuis 2007, nous y travaillons avec l’Afd.’’

Ainsi, vu la complexité du projet, le maire a fait savoir qu’il a fallu, à chaque fois, ‘’revoir la prévision, inscrire et réinscrire’’ le projet dans le budget. ‘’L’œuvre humaine n’est pas parfaite. Mais il y a eu des études. Peut-être aussi il y a eu des manquements de part et d’autre, je ne suis pas en mesure de le dire. Cependant, les choses sont bien précises, les études ont été bien bouclées et il y a une coordination parfaite pour le bon démarrage et la réussite de ce projet’’, insiste l’élu local.

Il convient de signaler que sur le site web de l’Afd, un plan de projet pour la dépollution de la baie de Hann, datant de 2008, y est bien détaillé. ‘’Pour faire face à ces enjeux à la fois environnementaux, économiques et sanitaires, les autorités sénégalaises ont élaboré un plan d’action prévoyant l’assainissement des rejets liquides industriels et domestiques, et ont réalisé différentes études concernant la pollution industrielle, le schéma technique pour la collecte, le transport et le traitement des eaux industrielles et domestiques, la réhabilitation d’un canal de drainage pluvial actuellement utilisé comme réceptacle d’eaux usées’’, lit-on sur le document de l’Afd.

Avec un financement global de 32,797 milliards de francs Cfa (50 millions d’euros), il devait démarrer, selon la même source, le 9 janvier 2009, pour se terminer le 30 avril 2019, soit 10 ans. Ce programme comportait deux composantes majeures. D’abord, le volet ‘’infrastructure’’, pour la réalisation d’un intercepteur de 13 km le long de la baie, d’une station d’épuration dotée d’un traitement primaire de 25 000 m3/j et d’un émissaire en mer de 3 km. Ensuite, d’une composante ‘’mesures d’accompagnement’’ pour les études techniques et le renforcement des capacités à la fois auprès de l’Onas. Les deux autres directions concernées sont la Direction de l’assainissement, qui devait piloter le secteur, et celle de l’environnement et des établissements classés, en charge des relations avec les industriels et de l’application du Code de l’environnement.

Interpellé sur ce projet, le directeur général de l’Onas, Lansana Gagny Sakho a fait savoir qu’il ‘’n’a jamais démarré’’. Car le financement ‘’n’ayant été jamais bouclé’’. Le maire de Hann Bel-Air de préciser que l’argent a été ‘’reconduit’’. Dans un article du journal français ‘’Le Monde’’ publié en octobre 2015, il est écrit que l’appui des bailleurs de fonds, notamment l’Afd et la Banque européenne d’investissement (Ndlr : elle s’est retirée l’année dernière) était d’environ de ‘’53 millions d’euros’’, soit près de ‘’34,4 milliards de francs Cfa’’. Ce projet également devait, selon le média français qui cite l’Afd, ‘’se terminer en 2019’’. ‘’A terme, la qualité des eaux de la baie sera améliorée, ce qui devrait entraîner une augmentation des gains du quai de pêche de Hann, qui fait partie des huit quais agréés par l’Union européenne au Sénégal. Son chiffre d’affaires annuel est de 5 milliards de francs Cfa pour 15 000 tonnes de poissons et produits halieutiques débarqués’’, informe la même source.

En somme, il faudra sans doute attendre encore, car jusqu’ici, non seulement il n’y a pas de travaux, 10 ans après, mais aucune source n’a pu donner le montant investi sur les études d’impact.

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3 QuestionS A … Lansana G. Sakho (Dg Onas)

‘’Nous sommes dans une phase de révision des appels d’offres’’

Aujourd’hui, en tant que Dg de l’Onas, pouvez-vous nous faire le point sur le projet de dépollution de la baie de Hann ?

Ce projet trainait depuis des lustres. Il a pratiquement traversé tous les régimes de notre pays. Le déclic s’est réellement produit en 2012, avec la forte volonté politique du président Macky Sall de faire de ce projet une de ses priorités. L’Onas (Office national d’assainissement du Sénégal) va, de son côté, rassurer par une concertation régulière avec les riverains, les indemnisations aux familles affectées, la fermeture totale du point de dépotage de boues de vidange situé dans la zone industrielle, le curage du canal 6, une première en 50 ans. Les résistances à la réalisation du projet, les aspérités dans les discours et incompréhensions dans les actes sont dépassées. Une réelle volonté politique, une mobilisation des partenaires au développement, une participation effective des populations riveraines et une équipe technique compétente nous permettrons d’avoir une baie où il est possible de se baigner et de pêcher. Une baie de Hann propre qui changerait le visage de Dakar. Nous avons franchi une importante étape, avec la signature de la convention entre le royaume des Pays-Bas et le Sénégal. Cette étape boucle le financement de la phase 1 du projet et qui permet sa mise en œuvre.

Aujourd’hui, c’est quoi le problème ? Qu’est-ce qui bloque le démarrage des travaux ?

Il n’y a pas de problème, mais plutôt des opportunités… Les choses ne bougent pas, elles s’accélèrent. Nous ne sommes plus à un stade de projet, le gap de financement pour la phase 1 du projet est bouclé. Nous avons beaucoup avancé dans les dossiers d’appels d’offres. Je dois avouer qu’il y a eu des difficultés au début. Mais, le plus important, c’était de regarder l’avenir avec sérénité. Nous sommes dans une phase de révision des appels d’offres. Notre objectif est une attribution des marchés de travaux dans les plus brefs délais pour un démarrage des travaux avant le début de l’année 2019. En réalité, la phase opérationnelle du projet a commencé le 15 septembre 2018, avec la journée de nettoyage de la baie, en partenariat avec la mairie de Hann, les partenaires techniques et financiers.

Quels sont les impacts immédiats du projet et les défis auxquels fait face l’Onas dans son exploitation ?

Au-delà de la régénération de la baie, près de 500 000 personnes des quartiers de Hann, Thiaroye, Mbao et une partie de Pikine seront connectées à un système d’assainissement collectif. Nous allons mettre en place un système ‘’pollueur-payeur’’ en Afrique au sud du Sahara, ce qui constitue une innovation majeure sur le continent. Le projet de dépollution de la baie de Hann, de par sa taille, sa complexité, le nombre d’entreprises qu’il va solliciter et de chantiers ouverts simultanément dans un environnement urbain encombré, va demander à l’Onas de mobiliser du personnel expérimenté pour répondre efficacement aux sollicitations multiples qu’il va générer quotidiennement. Mais surtout, pour tirer profit de cette expérience pour se développer. Ce sera une occasion de se renforcer et capitaliser de l’expérience dans les systèmes d’assainissement collectif. L’Onas, en tenant compte de ses nouvelles orientations stratégiques, profitera du projet de dépollution de la baie de Hann pour développer et mettre en place les structures adaptées à ses besoins nouveaux et grandissants avec des outils ciblés et efficaces dans la gestion de patrimoine. Cependant, la sélection d’un opérateur privé pour exploiter le projet dès sa réception, est la seule option envisageable pour assurer sa pérennité

Réactions, Réactions, Réactions…

Mbacké Seck (Pdt Asc Yarakh) : ‘’Il y a eu des difficultés d’approche dans l’attribution de certains chapitres’’

Natif de la commune de Yarakh, Mbacké Seck, la cinquantaine, est l’une des ‘’sentinelles’’ de la baie de Hann, comme le surnomment ses proches. Pour cet acteur, cette baie est devenue un ‘’scandale environnemental’’ avec ses effets sur la santé et le bien-être. ‘’Ils sont perceptibles avec la pêche. Il n’y a plus d’oxygène dissout dans l’eau de la mer. Donc, les poissons qui étaient là sont obligés de migrer. L’eau n’est plus propice à leur croissance. Quand on était enfants, on voyait des bancs de poissons qui sautaient à partir de la plage. Ce qui n’est plus le cas’’, confie-t-il.

Aujourd’hui, poursuit M. Seck, les pêcheurs de Hann vont jusqu’en Guinée ou en Gambie pour se procurer des ressources halieutiques. Ce qui a comme conséquence immédiate l’anéantissement de l’effort de pêche. D’ailleurs, cet activiste a fait savoir que les pêcheries, les usines de transformation de poissons qui étaient installées dans cette zone, sont devenues des lieux de stockages de céréales. Et sur le plan sanitaire, il se rappelle encore que la dernière épidémie de choléra est née le long du canal 6 de l’Onas.

De nature calme, la plage de Hann n’est pas une zone où sont enregistrées beaucoup de mouvements de vagues. Donc, le président de l’Asc Yarakh estime qu’il ne devrait pas y avoir de cas de noyade. Malheureusement, elle fait partie de la liste des plages interdites de baignade, à cause de la pollution. ‘’C’est conscient depuis 1987 et 1988, que nous populations riveraines, nous avons alerté les autorités par rapport à la pollution de cette baie. De fil en aiguille, le gouvernement a commencé à prendre conscience des choses’’, dit-il. D’ailleurs, il affirme que c’est après avoir réuni 4 000 signatures avec une pétition que le premier Conseil interministériel sur la baie a été organisé en 2002 sous le gouvernement de Mame Madior Boye, ancien Premier ministre d’Abdoulaye Wade.

Toutefois, les choses ont tardé à se concrétiser après cette rencontre ministérielle. Car, selon cet activiste, les financements à mobiliser restaient importantes. ‘’Nous avons eu la France, l’Union européenne, la Banque européenne d’investissement (Bei). Techniquement, le projet est faisable. Les études ont déjà été faites, les appels d’offres lancés. Mais ils ont eu des difficultés d’approche dans l’attribution de certains chapitres au niveau de la baie’’, signale M. Seck. C’est ce qui explique, d’après lui, le fait que ce fameux projet ait pris ‘’énormément’’ de temps et les budgets ‘’ne pouvaient pas’’ régulièrement être réinscrits. ‘’Cela a montré une certaine incompétence dans la gestion de ce budget. Cette durée a poussé la Bei à se retirer en 2017’’, narre-t-il.

Cependant, cet activiste se réjouit du fait que depuis l’arrivée de Macky Sall au pouvoir, deux autres conseils interministériels aient été organisés. ‘’Il y a eu des visites de ministres sur la baie. Il y a eu plusieurs mesures, des signes qui nous montrent que le gouvernement est prêt à dépolluer la baie de Hann. Aujourd’hui, deux constances existent sur la baie. La pollution est réelle, de même que la volonté politique’’, admet Mbacké Seck.

Cheikh Guissé, lead vocal Les frères Guissé : ‘’L’état actuel de la baie fait mal au cœur’’

Même la netteté de ses eaux, la pureté de l’air qu’on y respire sont altérées par les déchets solides et liquides, au point d'inspirer la répugnance. La baie de Hann reste tout de même symbolique, pour le lead vocal des Frères Guissé. Le groupe y a tourné un de ses célèbres clips ‘’Siré’’. ‘’Cette plage, c’est notre enfance. On a eu la chance d’être natif de ce quartier, notamment entre la baie et le parc. D’ailleurs, nous nous mobilisons chaque année pour organiser un festival sur l’environnement, sur sa protection, et cette zone en fait partie’’, explique Cheikh Guissé. L’artiste chanteur était venu sur la plage, à l’occasion de la célébration de la journée mondiale du nettoiement le 15 septembre dernier. ‘’J’ai vu la baie, il y a de cela plus de trente ans, qui était parmi les plus belles au monde. Aujourd’hui, elle s’est détériorée’’, regrette-t-il. Ainsi, il estime que le combat doit être mené pour sensibiliser la population. Ceci, pour revoir la baie à l’état qu’elle était auparavant. Un challenge qui, selon lui, ‘’sera certes difficile, mais rien n’est impossible’’.

Pour ce musicien qui a appris à jouer de la guitare sur le pont situé à quelques mètres du canal 6, ‘’l’état actuel de la baie fait mal au cœur’’. ‘’J’ai appris à nager dans ces eaux, à jouer au football sur ce sable qui était tellement blanc. L’eau était claire. On y passait toute une journée et toutes les vacances’’, se rappelle Cheikh Guissé. D’ailleurs, il pense qu’aujourd’hui, la question est de savoir est-ce qu’ils peuvent ‘’espérer’’ revoir cette baie dans les mêmes conditions. ‘’Mais on peut faire ce qu’on peut pour qu’au moins, ça reste propre. Et, après, la nature va faire ce qu’elle peut pour que l’eau redevienne claire. Là, il faut au moins essayer de nettoyer, de garder les abords propres’’, optimise-t-il. Avant d’affirmer que c’est l’Etat et la population qui doivent y travailler en connivence. ‘’Donc, on se donne la main, on se parle, on mobilise les gens pour avoir cette force naturelle pour maintenir cette baie à l’état normal’’, préconise Cheikh Guissé.

Bassirou Ndiaye (environnementaliste) : ‘’Il faut que l’Etat puisse appliquer la politique environnementale dont il parle’’

La baie de Hann souffre, en réalité, de deux types de pollutions, selon l’environnementaliste Bassirou Ndiaye. Il s’agit de celle liquide et celle solide. ‘’Et l’Onas ne s’occupe que de celle liquide, à savoir les canaux qui déversent de l’eau dans la mer. Le canal 6 de l’Onas déverse à elle seule 70 000 m³ par jour. On a 13 émissaires de là à Mbao, sur une distance de 14 km’’, précise M. Ndiaye.

En effet, la dépollution solide concerne les déchets solides qui sont déversés le long de la plage. Et avec le projet de l’Etat, dont le financement a été bouclé le 14 septembre dernier, d’après cet environnementaliste, l’Onas ‘’ne s’occupe que de l’eau, des rejets et pas de déchets solides’’. ‘’C’est le travail de l’Ucg. Et celle-ci n’a pas les prérogatives de s’occuper de la baie de Hann. Donc, là, il faut un autre financement, un autre dossier pour redémarrer le travail de dépollution solide. Il faut que l’Etat puisse appliquer la politique environnementale dont il parle au profit des populations. Au lieu de capter des projets pour ne rien réaliser’’, préconise M. Ndiaye.

Pour lui, dans le cadre de ce programme, tout doit être ‘’transparent’’. Ce dernier a aussi déploré l’absence des autorités sanitaires, notamment la tutelle pour ce combat. Ce, malgré les alertes de l’Organisation mondiale de la santé (Oms). Aujourd’hui, la question fondamentale avec cette initiative est, selon Bassirou Ndiaye, de savoir quand est-ce que la mer va régénérer. ‘’Il faut savoir que le taux de toxicité au niveau du quai de pêche de Hann est 18 000 fois supérieur à la norme. Au niveau de la Sogas, c’est 35 000 fois par rapport à la norme Oms, de Marinas 12 000 fois. Donc, occupons-nous de la plage en même temps que de l’eau. On ne peut pas faire la dépollution liquide et laisser celle solide en rade. Ça n’a aucun sens. C’est cette pollution solide qui crée les maladies. C’est la grande équation qu’il faut régler’’, relève-t-il.
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